Union européenne : dernière ligne droite avant les élections

Alors que la crise du Covid puis l’invasion de l’Ukraine ont fortement bouleversé son agenda, la Commission européenne va essayer de pousser les feux ces prochains mois pour que "ses" principaux textes puissent être adoptés avant les élections européennes de juin prochain. L’année s’annonce d’autant plus difficile que le ciel économique européen s’assombrit (inflation, dette, menace de récession…) et que les divisions entre les États membres n’ont peut-être jamais été aussi grandes, y compris – et singulièrement – au sein du duo franco-allemand.

Alors que l’échéance électorale approche à grands pas – les élections des parlementaires européens auront lieu du 6 au 9 juin 2024 –, la Commission européenne met les bouchées doubles pour que "ses" textes – notamment ceux du pacte vert – soient définitivement adoptés. Un empressement d’autant plus grand que l’actuelle Commission redoute que les électeurs ne portent à Strasbourg des élus bien moins favorables à la ligne conduite jusqu’ici. "Les équilibres politiques traditionnels ont de bonnes chances d’être bouleversés", prédit ainsi Pascale Joannin, directrice de la fondation Robert-Schuman, dans une note du 12 juin dernier. Morceau de choix, l’adoption définitive du paquet climat "Fit for 55" est toutefois plus qu’en bonne voie (voir notre article du 27 juillet), depuis que l’accord provisoire sur la directive sur les énergies renouvelables (dite RED III) trouvé en mars (voir notre article du 31 mars) a finalement été officialisé le 16 juin dernier par le Coreper, après avoir été un temps bloqué par la France. La route reste en revanche encore longue pour certains textes emblématiques, mais loin de faire l’unanimité, à l’image du règlement sur la restauration de la nature, qui a failli être retiré de l’agenda par la présidence suédoise et qui n’a été voté que d’un cheveu par le Parlement, dans une version fortement édulcorée (voir notre article du 12 juillet).

Une crise peut en cacher une autre

Il faut dire que la Commission Von der Leyen n’a pas été épargnée par les événements. Après le Covid, l’invasion de l’Ukraine par la Russie – et singulièrement ses conséquences en matière énergétique – a fortement bouleversé sa feuille de route. Certes, la Commission a fait valoir que la crise énergétique ne remettait nullement en cause la transition énergétique qu’elle promeut, mais en renforce au contraire la nécessité. Il n’en reste pas moins que ces derniers mois, l’Union a notamment dû plancher sur le plan REPowerEU, qui vise notamment à sortir de la dépendance aux énergies fossiles (voir notre article du 18 mai 2022), et son intégration dans les plans de relance nationaux (voir notre article du 28 juin 2023). Elle a également vu l’enjeu de la souveraineté reprendre fortement du galon, non sans contrarier certains de ses objectifs, notamment en matière agro-alimentaire. Poussée par certains États membres, dont la France et l’Espagne (voir notre article du 6 janvier), elle a encore dû lancer la révision du marché de l’électricité (voir notre article du 20 mars). Elle se voit en outre contrainte d’organiser la riposte face à une concurrence mondiale aiguisée, phénomène qu’elle a elle-même alimenté (voir notre article du 13 février). Ces derniers textes avancent difficilement, tant les différences de vue sont grandes entre les États membres. Si le Conseil a ainsi arrêté sa position de négociation sur la proposition de règlement sur l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie (dit Remit) le 19 juin dernier, les autres volets de la réforme du marché de l’électricité restent encore ouverts. La présidence espagnole espère clore le dossier avant Noël et la ministre Teresa Ribera s’est engagée, lors de la réunion informelle des ministres de l’Energie à Valladolid mi-juillet, à soumettre une nouvelle proposition "dans les plus brefs délais". 

L’Union européenne, combien de divisions ?

Si la guerre en Ukraine a mis en lumière la faiblesse de l’Union en matière de défense, les derniers mois ont surtout souligné combien les sources de divisions entre les 27 sont nombreuses – des "valeurs" (qui empêchent la Pologne de bénéficier de son plan de relance) au gaz russe, en passant par les aides d’État ou le nucléaire. Le "moteur franco-allemand" n’a, loin s’en faut, pas été épargné. Alors qu’on a pu un temps le croire relancé (voir notre article du 24 janvier), les dernières semaines ont montré combien il était fragile (voir notre article du 28 mars). "L’accumulation de différends entre les deux pays apparaît au grand jour. Politique énergétique, de défense, politique économique et monétaire, environnementale, tout semble éloigner les deux principales économies européennes", observait récemment Jean-Dominique Giuliani, qui préside la fondation Robert-Schuman. Outre une certaine tendance à faire cavalier seul, dénoncée sans ambages il y a peu par le député François-Xavier Bellamy auprès du Chancelier Olaf Scholz, il faut avouer que l’Allemagne a multiplié les revirements, que ce soit sur l’interdiction de la vente des véhicules thermiques neufs en 2035 ou sur le principe de neutralité technologique dans le bouquet énergétique (voir notre article du 2 février). Le nucléaire reste sans doute la principale pierre d’achoppement (voir notre article du 29 mars), et la France doit batailler à chaque texte pour l’imposer, avec plus ou moins de succès. Une nouvelle "guerre des blocs" se dessine ainsi au sein même de l’Union. Elle oppose d’un côté "l’alliance du nucléaire", portée par la France (voir notre article du 28 février) et qui vient de présenter le 11 juillet à la Commission une "nouvelle stratégie sur l’utilisation de l’énergie nucléaire pour l’UE" (v. infra). Et de l’autre les "amis du renouvelable", coalition menée par l’Autriche, incluant l’Allemagne, et dont la France a récemment été exclue. Même si, pour le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, la France, "championne du renouvelable, a vocation à participer à toutes ses réunions".

Inflation, ressources propres, dette, récession…

Pourtant, les défis communs ne manquent pas. Parmi eux, l’inflation (6,4% en moyenne dans l’UE en juin, indiquait Eurostat le 19 juillet), qui pèse sur le remboursement des intérêts de l’emprunt souscrit pour le plan de relance (voir notre article du 12 mai) et sur le budget de l’Union, que la Commission propose par ailleurs de revoir à la hausse (voir notre article du 23 juin). S’y ajoute évidemment la nécessaire détermination de nouvelles ressources propres pour rembourser le principal à compter de 2028, qui tarde à se concrétiser. Or "la maîtrise du financement du budget européen est d’autant plus importante qu’elle intervient à un moment où certains pays européens, comme la France, doivent redresser sensiblement leurs finances publiques", alerte la Cour des comptes française dans un récent rapport (v. notre article du 28 juillet). La moyenne de la dette publique s’établit en effet à 83,7% du PIB de l’UE au 1er trimestre 2023. Mais elle est supérieure à 100% du PIB en Belgique, en France (112,4%), en Espagne, au Portugal et surtout en Grèce (168,3%). Une donnée à prendre d’autant plus au sérieux que la menace d’une récession plane sur l’UE (le FMI venant de constater le 28 juin dernier que l’économie européenne a "glissé dans une légère récession technique au début de 2023"). La Commission doit également tenir compte d’autres enjeux, qui passent relativement inaperçus dans l’Hexagone, mais qui mobilisent beaucoup d’autres ailleurs, comme celui des migrations. L’Italie vient ainsi organiser le 23 juillet une conférence réunissant 21 pays (dont la Grèce et l’Espagne) sur le sujet, en présence des présidents du Conseil européen et de la Commission.

Année tumultueuse

Reste que cette dernière année de mandat pour la Commission promet d’être sportive. Les élections du 23 juillet en Espagne, qui préside le Conseil de l’UE jusqu’en décembre, n’ont pas permis de dégager une majorité claire. En l’absence de coalition, de nouvelles élections devront être organisées. Or on sait d’expérience, avec la récente présidence française de l’UE (voir notre dossier), que cela n’est guère propice à l’avancée des dossiers. Même si la Belgique – qui présidera le Conseil de l’UE à compter du 1er janvier – a déjà montré que l’absence de gouvernement n’était pas nécessairement préjudiciable. D’autres élections vont encore perturber l’agenda. Le vice-président de la Commission Frans Timmermans devrait ainsi prochainement quitter le navire pour tenter de prendre la tête du gouvernement des Pays-Bas, après la démission surprise de Mark Rutte début juillet, la question de l’accueil des demandeurs d’asile ayant eu raison de la coalition qu’il animait (élections législatives en novembre). Des élections législatives doivent également se tenir en Slovaquie (en septembre), au Luxembourg (en octobre), et en Pologne (octobre/novembre). A minima.

 

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