Lutte contre la pollution sonore : la Commission européenne veut passer la vitesse supérieure
Constatant l’absence de progrès en matière de lutte contre la pollution sonore, la Commission européenne préconise un renforcement de la réglementation – pas toujours appliquée –, en ciblant prioritairement le transport routier (mais aussi en élargissant le périmètre des installations visées, comme les éoliennes ou les activités commerciales). "Au cœur de la réduction du bruit", les collectivités sont invitées à adopter des plans locaux déterminant leur propre niveau d’ambition et les mesures appropriées.
L’objectif de réduire de 30% d’ici 2030 (par rapport à 2017) le nombre de personnes souffrant de troubles chroniques dus au bruit des transports – fixé par le plan d’action Zéro pollution de la Commission européenne (voir notre article du 12 mai 2021) – ne sera pas atteint si de nouvelles mesures ne sont pas adoptées à tous les échelons (européen, national, régional et local). Telle est la principale conclusion que la Commission tire dans son dernier bilan – le troisième – de la mise en œuvre de la directive de 2002 relative à l’évaluation et à la gestion du bruit dans l’environnement, qu’elle doit remettre au Parlement européen et au Conseil tous les cinq ans. Le diagnostic n’est pas nouveau. La Commission le reprend d’ailleurs d’un autre rapport qu’elle a publié en décembre dernier, qui estimait que les mesures déjà programmées permettrait au mieux de réduire de 19% le nombre de personnes affectées (une "reprise" qui au passage n’est pas exempte d’approximations).
Un Européen sur cinq affecté
D’après l’agence européenne pour l’environnement, le bruit serait le deuxième facteur de maladie "environnementale" dans l’Union, après la pollution atmosphérique. 20% de la population vivrait dans des zones où les niveaux sonores nuisent à la santé (maladies cardiovasculaires, troubles du sommeil…). D’après le centre thématique européen sur la santé humaine et l’environnement, seraient actuellement exposés en journée à des niveaux de bruit supérieurs aux maxima recommandés par l’Organisation mondiale de la santé près de 120 millions de citoyens confrontés au trafic routier, plus de 21 millions au trafic ferroviaire et près de 63 millions au trafic aérien. Or, en tenant compte des mesures actuelles et des prévisions de croissance de la population et du trafic, à l’horizon 2030, ce chiffre ne devrait être réduit que de 1% pour le trafic routier. Pis, le nombre augmenterait de 30% pour le trafic ferroviaire – à l’inverse, il baisserait de 32% pour le trafic aérien.
Pas de progrès en 20 ans
En dépit des efforts conduits depuis 20 ans, la Commission estime que l’exposition au bruit est restée relativement stable, et n’a dans tous les cas pas décru. Elle observe que nombre d’États membres ont dû se faire tirer l’oreille pour définir notamment les cartes et les plans d’action prévus : nombreux sont ceux qui n’ont pas été communiqués avant 2021. Pis, environ 2% de la population de l’UE ne serait toujours pas couverte par ces derniers alors qu’elle devrait l’être. La France fait partie des récalcitrants (voir notre article du 27 novembre 2018 et celui du 9 septembre), s’attirant l’automne dernier les foudres du Conseil d’État (voir notre article du 2 février).
La Commission relève encore que la désignation et la protection des zones calmes ont principalement concerné les villes, moins les zones rurales. Plus encore, elle estime que peu de preuves attestent que les mesures sont effectivement appliquées à l’échelon local, alors que certaines tendent à être "coûteuses et peu rentables" (prenant l’exemple des barrières anti-bruit), ou parce que les autorités idoines ne sont pas toujours habilitées à prendre les mesures nécessaires.
Passer la vitesse supérieure
La Commission propose donc de passer la vitesse supérieure (sans franchir le mur du son), d’autant que, d’après une étude de 2021 commandée par la Commission, chaque euro investi dans des mesures de réduction du bruit engendrerait 10 euros de bénéfices pour la société. D’abord, en appliquant effectivement la réglementation actuelle, en la corrigeant. Ainsi de la nécessaire définition cohérente d’une "zone calme" ou de l’élargissement des sources de nuisances sonores aux éoliennes et aux activités commerciales, dont se plaignent également les citoyens (la directive ne mentionnant explicitement que les moyens de transport et les sites industriels). Ensuite, en adoptant une palette de nouvelles mesures, en visant prioritairement le transport routier, sans se focaliser sur les zones confrontées à des niveaux de bruit "aigus", mais au contraire en incluant les zones où les niveaux de bruit sont "modérés".
Nouvelles mesures pour la Commission et les États
Concrètement, à son niveau la Commission prévoit de réviser la réglementation sur les pneumatiques, d’accélérer l’introduction de "wagons de fret silencieux", de promouvoir des procédures pour réduire le bruit à l’atterrissage et au décollage des avions ou encore d’introduire des redevances environnementales pour favoriser l’utilisation "d’avions silencieux".
Elle entend que les États membres incluent systématiquement dans leur plan de réduction du bruit : la mise en place de revêtements silencieux à chaque fois qu’une route fréquentée sera rénovée ; la réduction des vitesses limites là où d’autres co-bénéfices, comme la sécurité, sont attendus, et ce, d’autant que la Commission estime que "l’électrification des véhicules n’apportera aucun bénéfice" en matière sonore ; l’entretien des voies ferrées ("les roues lisses des nouveaux wagons de fret sur des rails non lisses réduisent moins le bruit que sur des rails entretenus") et l’installation de voies à faibles émissions à proximité des habitations ou encore la fixation d’objectifs "appropriés" de réduction du bruit aéroportuaire – et des mesures efficaces pour les atteindre.
Les collectivités locales au cœur du dispositif
Enfin, soulignant la nécessaire "coopération optimale" entre autorités nationales, régionales et locales, la Commission appelle à responsabiliser davantage les acteurs locaux. "Les plans d’actions locaux sont au cœur de la lutte contre le bruit", estime la Commission, qui incite les échelons compétents "à déterminer le niveau d’ambition local et les mesures à prendre, après avoir évalué leurs bénéfices sanitaires et les avoir éventuellement corrigées en fonction des retours du grand public". Pour faciliter la rédaction de ces plans, dont la Commission relève qu’ils nécessitent "une expertise qualifiée", elle encourage les collectivités à s’inspirer de "l’accord sur la ville verte" déjà signé par 100 villes pionnières (voir notre article du 26 octobre 2020).