Loi spéciale : la France sans budget évite le blackout

La menace d'un shutdown s'est éloignée avec l'adoption définitive, ce 18 décembre, du projet de loi spéciale dont la promulgation sera suivie, au plus tard le 31 décembre, de celle d'un décret sur les "services votés". Mais le dispositif consécutif à la censure du gouvernement n'est qu'un pis-aller, y compris pour les collectivités, qui ne pourront temporairement pas bénéficier de nouvelles subventions de l'Etat, qu'il s'agisse notamment de DETR ou du fonds vert.

Les services publics ne fermeront pas leurs portes au début du mois de janvier. A ce moment-là, la France ne sera dotée ni d'une loi de finances ni d'une loi de financement de la sécurité sociale - pour cause de censure du gouvernement le 4 décembre dernier -, mais elle disposera d'une loi spéciale, qui garantit la "continuité de la vie nationale". Le texte "devrait" en effet "être promulgué dans les prochains jours, sous réserve d’une saisine du Conseil constitutionnel", écrit le Sénat, qui a décidé de donner son feu vert au texte, ce 18 décembre.

Les sénateurs n'ont apporté aucune modification à la copie que les députés avaient rendue deux jours plus tôt. C'est à l'unanimité (avec une seule abstention) qu'ils l'ont validée. L'Assemblée nationale avait montré la voie, puisqu'aucun de ses membres ne s'était opposé au projet de texte (63 députés, essentiellement LFI, choisissant toutefois de s'abstenir).

Ce projet de loi "minimaliste" - puisque constitué de quatre courts articles - est une sorte de roue de secours. Il rend possible, à compter du 1er janvier 2025, "la perception des ressources de l’Etat et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’Etat". Par ailleurs, il autorise le ministre chargé des finances et certains organismes et régimes de Sécurité sociale à recourir à des emprunts. Des mesures temporaires qui ne valent que jusqu'à l'adoption des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2025. 

"Il faut de la prévisibilité aux élus locaux"

Sur les 37 amendements déposés par les députés en vue de l'examen dans l'hémicycle, seulement 3 ont été adoptés. Dont un du président de la délégation aux collectivités territoriales, le socialiste Stéphane Delautrette, qui inscrit "explicitement" dans le texte les prélèvements opérés sur les recettes de l’Etat au profit des collectivités territoriales, un ensemble de crédits qui s'est élevé à 45 milliards d'euros en 2024, et dont font partie la dotation globale de fonctionnement (DGF, 27,2 milliards) et le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA, 7,1 milliards). "Des divergences d’appréciation existent quant à la nécessité de mentionner ces prélèvements", a argué l'élu.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'Etat avait considéré que l'autorisation donnée de percevoir les impôts emportait la reconduction des prélèvements sur recettes destinés aux collectivités territoriales "soit pour un montant résultant des règles en vigueur qui leur sont applicables, soit pour celui fixé pour l'exercice précédent, en l’espèce 2024". Mais le secrétariat général du gouvernement aurait recommandé de les mentionner dans le texte pour garantir leur versement. "Dans cette période de construction budgétaire", les élus locaux "ont besoin de ne pas être dans le flou : il leur faut de la prévisibilité et de l’assurance", a plaidé le président de la délégation aux collectivités territoriales. Un argument qui a convaincu une majorité de députés, malgré l'avis défavorable du rapporteur général, Charles de Courson et du ministre du Budget, Laurent Saint-Martin.

Barème inchangé pour l'impôt sur le revenu

Concrètement, la DGF fera l'objet de versements aux collectivités locales par douzièmes, comme d'ordinaire. Et ce sur la base du montant de 2024, en tout cas jusqu'à ce que la loi de finances pour 2025 soit votée. Si le futur nouveau texte augmente la DGF, les montants des versements par douzièmes seront relevés, comme l'a confirmé le ministre du Budget au rapporteur général. Et si, à l'inverse, la dotation est réduite, ces versements seront baissés, l'Etat récupérant la différence. En sachant aussi que les montants de DGF tiendront compte de l'éventuelle évolution des différents critères servant au calcul de la dotation. 

En revanche, les amendements visant à indexer sur l'inflation le barème de l'impôt sur le revenu ont été jugés irrecevables par la présidente de l'Assemblée nationale. Yaël Braun-Pivet s'est notamment appuyée sur l'avis du Conseil d'Etat. Pour ce dernier, l'indexation n'entre pas dans le périmètre de la loi spéciale. En l'absence de correction, 380.000 nouveaux foyers pourraient se retrouver imposables en 2025, selon le ministre du Budget.

De même, dans l'hémicycle du Sénat, le 18 décembre, le seul amendement jugé recevable, d'origine socialiste, a été repoussé. Il visait à garantir explicitement "la continuité des ressources des associations de service public", et donc à répondre à "l'inquiétude" de ces dernières sur leur financement l'an prochain.

Mesure temporaire

Après la publication de la loi au Journal officiel, le gouvernement prendra un décret ouvrant les "services votés", lesquels "représentent le minimum de crédits" qu'il "juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement", selon l'article 45 de la loi organique d'août 2021 relative aux lois de finances (Lolf). Ils "ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année", en l'occurrence celle de 2024.

Le dispositif n'a donc pas vocation à durer, mais seulement à permettre "la jointure", selon le cabinet du ministre de l'Economie, Antoine Armand. "S'il devait se prolonger sur plusieurs mois, cela ne serait pas sans poser des difficultés sérieuses, voire insurmontables au fur et à mesure de l'avancée de l'année", abonde Jean-François Husson, rapporteur général du budget de la Haute Assemblée, dans son rapport sur le projet de loi. En cas d'augmentation des besoins, le financement des aides de guichet ne serait tout simplement plus possible, illustre-t-il. Il s'inquiète aussi pour les rémunérations des agents de l'Etat, puisque celles-ci augmentent mécaniquement d'une année à l'autre avec les avancées de carrière.

Les dotations d'investissement bloquées

L'un des autres "défauts majeurs" du dispositif des services votés, selon Jean-François Husson, tient à l'incapacité à financer certaines dépenses, notamment les subventions et dotations "discrétionnaires". Tant que ne sera pas entrée en vigueur la loi de finances pour 2025, les dotations dédiées à l'investissement local (DETR, DSIL, DSID), de même que le fonds vert pour les projets des collectivités liés à la transition écologique, ou encore le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ne pourront être engagés au titre de 2025.

D'où certaines interrogations des maires, dont la députée Véronique Louwagie (Droite républicaine) s'est faite l'écho dans l'hémicycle. Sur le terrain, les réunions des commissions d'élus chargées d'examiner les demandes au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) doivent-elles être dès maintenant décalées ? Dans un récent courrier au président de l'Association des maires de France (AMF), les ministres chargés respectivement du Budget et du Partenariat avec les territoires répondent qu'"il reviendra au prochain gouvernement de donner des instructions aux préfets pour anticiper l'exercice de programmation annuelle et de priorisation des projets dans l'attente de l'adoption du projet de loi de finances".

Relancer les débats en janvier

Au Sénat, de nombreuses voix – dont celles du président de la commission des finances, le socialiste Claude Raynal, et du rapporteur général du budget – s'élèvent donc pour que la loi de finances pour 2025 soit adoptée le plus rapidement possible. Et le meilleur moyen d'y parvenir est, selon eux, de poursuivre les débats budgétaires qui ont été menés cet automne sur le projet de loi déposé par le gouvernement de Michel Barnier. Mais une partie de la gauche - communistes, écologistes - ne l'entend pas de cette oreille : "Il faut revoir la copie", a lancé Pascal Savoldelli, souhaitant que le Parlement "ne reprenne pas des travaux comme si rien ne s'était passé".

A l'Assemblée nationale, le binôme formé par Charles de Courson et Eric Coquerel pousse plutôt pour l'examen dès la mi-janvier d'un projet de loi "contenant les dispositions budgétaires qui (…) relèvent de l’urgence politique", comme les mesures d'aide aux agriculteurs, la reconduction de plusieurs niches fiscales prenant fin le 31 décembre 2024, "l'extension du prêt à taux zéro", ou encore l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation. La commission des finances a adressé un courrier au Premier ministre lui exposant cette solution. Compte tenu de l'urgence, on peut penser que François Bayrou n'attendra pas son discours de politique générale prévu le 14 janvier pour dévoiler la stratégie qui a sa préférence.

 

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