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Aménagement numérique - Loi Montagne : le Sénat redéfinit les zones blanches, les opérateurs fulminent

Les députés avaient déjà musclé l'aspect numérique de la loi Montagne, à l'origine peu ambitieux. Les sénateurs, sensibles à l'agacement des collectivités face aux difficultés de couverture mobile des territoires, sont allés beaucoup plus loin. Jusqu'à susciter, quelques jours plus tard, une tribune commune des patrons des trois opérateurs historiques dénonçant des dispositions "contre-productives".

Les débats de l'Assemblée nationale autour de la loi Montagne et du numérique avaient donné lieu à de fortes convergences transpartisanes. Chacun partageait l'objectif d'une amélioration de la couverture en réseaux mobiles des territoires enclavés, mais choix avait été fait d'y parvenir en premier lieu par voie d'incitation. Au Sénat, le projet de loi a pris, du 12 au 14 décembre, une tournure bien différente (sur les autres volets du texte examinés et amendés lors de cette lecture sénatoriale, voir ci-contre notre article daté du 16 décembre). Les sénateurs ont, par exemple, supprimé l'exemption de l'IFER (imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau) pour les équipements radio-électriques de montagne, proposée par les députés.

Rôle de l'Arcep renforcé, le recours à la mutualisation généralisé

L'article 9 du projet de loi, qui rassemble les dispositions relatives au numérique, prend des tournures désormais plus impératives. Les sénateurs proposent que l'Arcep réalise un suivi statistique des déploiements spécifiques aux zones de montagne ; la prise en compte des contraintes physiques montagneuses dans les aides de l'Etat pour le déploiement d'antennes-relais est également précisée, de même que le recours à des technologies alternatives, qui ne doivent pas nuire à la qualité du service.
Outre cela, les parlementaires se sont attaqués au grand tabou de l'aménagement numérique du territoire : la mutualisation des infrastructures entre opérateurs privés. Le projet de loi esquisse notamment une procédure de demande d'accès aux infrastructures physiques. Il y est mentionné que les opérateurs doivent faire droit aux "demandes raisonnables" ; en cas de désaccord, l'Arcep peut intervenir dans le processus et forcer la mutualisation.

Les opérateurs ne l'entendent pas de cette oreille

C'est ce point qui a suscité l'ire des opérateurs historiques. Arguant de leurs investissements continuels pour l'amélioration de leur réseau, ils dénoncent une mesure qui pourrait permettre à Free d'étendre sa couverture à moindre frais et plus rapidement, en implantant ses antennes-relais sur des pylônes déjà construits par ses concurrents. Comme souvent face aux velléités de réglementation des pouvoirs publics, les opérateurs précisent que ces dispositions coercitives auraient un effet contre-productif pour l'investissement et ralentiraient leurs travaux de déploiement dans les aires non encore couvertes. Inquiétude redoublée, les articles sur la mutualisation se couplant avec une redéfinition des zones blanches changeant totalement les critères d'évaluation d'une couverture mobile adéquate : selon le Sénat, toute commune dont au moins 25% du territoire et 10% de la population ne sont pas couverts, devrait bénéficier du statut de zone blanche. Une mesure qui, en zone rurale, change toute la donne.
Ce virage des sénateurs est une pierre dans le jardin du gouvernement, qui avait annoncé quelques jours plus tôt le lancement de la plateforme France Mobile, un "appel à problèmes" permettant aux élus locaux de faire remonter les anomalies de couverture constatées sur leur territoire. Le Sénat, poussé notamment par le président de l'Avicca, Patrick Chaize, oppose donc une vision plus ferme qui laisse moins de place à la négociation au cas par cas avec les opérateurs. Modérer les inquiétudes des opérateurs sans doucher les ardeurs des collectivités... Lourde tâche pour la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un compromis en vue de la version finale du texte de loi.