Loi Egalim : peu d'effet sur les prix payés aux producteurs
La loi Egalim de novembre 2018 ne semble pas encore avoir produit d'effet sur les prix payés aux producteurs. Une table ronde organisée le 13 février 2019 par la commission des affaires économiques du Sénat a fait ressortir les difficultés : une déflation des prix de 1,5 à 4% par rapport à 2018, des contournements de la loi, des pressions et menaces de sorties des produits… Des difficultés que la grande distribution relativise, estimant que les choses avancent. Mais dans les faits, seul le secteur du lait semble être impacté positivement.
La loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) a-t-elle produit ses effets ? Ce n'est pas ce qui ressort de la table ronde organisée par la commission des affaires économiques du Sénat sur le sujet le 13 février 2019, jour où le comité de suivi des relations commerciales se tenait également à Bercy. Promulguée le 1er novembre 2018 et élaborée à la suite des états généraux de l'alimentation, la loi vise à mieux rémunérer les agriculteurs, renforcer la qualité des produits et favoriser une alimentation plus saine. Mais après quelques mois d'application, les bienfaits ne se font pas vraiment sentir, à l'exception du secteur du lait.
D'après l'Observatoire des négociations commerciales, 96% des entreprises alimentaires interrogées à partir d'un panel de plus de 450 entreprises de toutes tailles et tous secteurs, estiment que la situation avec la grande distribution n'est pas meilleure, voire s'est dégradée par rapport à l'an passé. Près de la moitié n'a toujours pas de visibilité sur leurs plans d'affaires 2019. La fin des négociations annuelles, où fabricants de produits alimentaires et distributeurs discutent des nouvelles conditions tarifaires, arrive pourtant à grand pas, dans à peine quinze jours…
"Rien n'a changé !"
71% des entreprises de l'agro-alimentaire ont aussi formulé des demandes de hausses de prix, qu'elles justifient par la hausse des coûts des matières premières agricoles. Demandes qui n'ont pas été prises en compte. S'appuyant sur ces données, l'Association nationale des industries alimentaires (Ania) s'indigne de la situation dans un communiqué publié le 13 février. "Malgré les états généraux de l'alimentation, malgré les promesses de la grande distribution, malgré la loi Egalim et l'impact du relèvement du seuil de revente à perte, qui redonne à la grande distribution de réelles marges de manœuvre financières, rien n'a changé !", affirme l'association, pointant un état des lieux déplorable, avec des demandes de baisses de prix systématiques de la grande distribution à l'encontre des entreprises alimentaires, des pressions, du chantage, des menaces de sorties de rayons pour les produits si les entreprises n'acceptent pas les conditions imposées, et des premiers contournements de la loi.
Une première ordonnance dans le cadre de la loi Egalim a été publiée en décembre 2018, qui impose à la grande distribution de réaliser au moins 10% de marge sur les produits alimentaires, afin que les coûts de distribution soient pris en compte, et surtout qu'ils ne soient plus vendus à perte.
"Acheter au prix toujours le plus bas reste le seul leitmotiv des distributeurs, quelle que soit la qualité du produit, quelles que soient les démarches engagées vis-à-vis de l’amont agricole, quel que soit le coût des matières premières", assure l'Ania, qui appelle les pouvoirs publics à faire respecter la loi Egalim et à sanctionner durement les infractions et contournements abusifs. "Les premiers éléments chiffrés qui nous ont été communiqués nous indiquent une déflation entre 1,5% et 4% par rapport à 2018 qui était déjà une année où les négociations avaient abouti à une baisse des prix, tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne, mais pour reprendre les propos de Dominique Chargé, président de Coop de France, qui a le sens de la formule, 'il ne faudrait que le lait soit l'arbre qui cache la forêt' !"
Une déflation des prix entre 1,5 et 4% par rapport à 2018
L'ordonnance prévoit aussi d'autres mesures pour encadrer les promotions. Une deuxième ordonnance devrait arriver pour établir le niveau des prix, considérés comme trop bas. L'obligation des 10% de marge qui entrait en vigueur le 1er février dernier a eu un effet immédiat sur les prix, mais rien ne permet d'assurer qu'elle bénéficiera aux agriculteurs.Une étude récente menée par la société Nielsen sur 15.000 références vendues dans les rayons de la grande distribution a en effet montré qu'entre le 31 janvier et le 3 février, ces marques ont vu leur prix augmenter de 0,8 % (en hypermarchés) et 0,6 % (en supermarchés). La hausse est 4% pour les 100 marques les plus vendues, avec un record de 9% pour les marques de spiritueux les plus prisées. Or "les agriculteurs ne voient pas pour l’instant 'ruisseler' la valeur", constate le Sénat.
Du côté de la grande distribution, on se veut évidemment plus rassurant. "Globalement les choses se passent mieux que les années précédentes, a ainsi assuré Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) lors de la table ronde organisée par le Sénat. "Nous constatons des demandes de tarifs de +4% en moyenne", a-t-il signalé, avec "des hausses qui sont complètement déconnectées des matières premières, quand on nous demande des hausses sur le sucre, le café, le jus d'orange, les huiles, alors que les matières premières diminuent, il y a très clairement un sujet là-dessus." D'après la FCD, entre 20 et 30% des contrats ont été signés avec les grandes marques et entre 15 et 40% des contrats ont déjà signés avec les PME, "avec une prise en compte tout à fait claire des effets matières premières", a précisé Jacques Creyssel signalant toutefois qu'il est encore trop tôt pour estimer ce que cela donnera en termes de tendance de prix, mais il ne s'agira pas d'une déflation, selon lui. "Sur le lait, de nombreux contrats ont été signés, avec la quasi-totalité des grands industriels, a souligné Jacques Creyssel, sur la viande, les choses vont se mettre en place progressivement, il y a quelques difficultés avec certaines entreprises".
D'après le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, les effets commencent à se sentir pour le lait, les distributeurs ayant tous joué le jeu. "Sur la viande, pas encore, mais il faut que le mois qui vient, les prix remontent chez le producteur et chez l'éleveur", a reconnu le ministre lors d'un entretien sur RTL le 11 février, estimant que la réunion du 13 février avec la grande distribution et les syndicats agricoles permettrait d'avancer, avec, en parallèle le travail mené avec le médiateur des négociations commerciales et la directrice générale de la consommation et de la répression des fraudes, chargée de constater les changements dans les magasins.
Pour Thierry Cotillard, président d'Intermarché, il y a "une vraie différence par rapport à l'année dernière, avec des industriels qui ont joué le jeu de la transparence", et avec qui "nous avons été assurés que les augmentations de tarifs que nous acceptions n'allaient pas au profit des comptes d'exploitation des industriels mais allaient bien à la meilleure rémunération des agriculteurs". Or le revenu des agriculteurs français se situe en moyenne entre 13.000 et 15.000 euros par an, d'après la Mutuelle sociale agricole (MSA), qui signale aussi qu'un tiers des agriculteurs touchent moins de 350 euros par mois… Et pour la Commission européenne, globalement en Europe, ce revenu devrait décliner d'ici 2030.
Le sujet sur les prix et le revenu des agriculteurs sera sûrement à nouveau sur la table lors du salon de l'agriculture qui ouvre ses portes le 23 février à Paris.
Les Européens pour une consommation plus locale et plus responsable
Les Européens souhaitent consommer plus local et plus responsable. C'est l'un des enseignements de la nouvelle édition de l'Observatoire de Cetelem publié le 13 février 2019 qui décrypte les modes de consommation des ménages. 89% des Européens apprécient ainsi les produits locaux, qui sont reconnus pour leur qualité (84%) et le respect des conditions et procédés de fabrication (81%) et sont considérés comme rassurants. "94% des personnes interrogées estiment ainsi que la fabrication de biens dans leur pays constitue une garantie de qualité, et 93% lorsque celle-ci se situe dans leur région, détaille l'observatoire, l’origine européenne des produits recueille 75% d’avis positifs, contre 61% pour le made in USA".
Pour un consommateur sur deux "consommer local" représente une bonne manière de soutenir l'économie et l'emploi, mais aussi de réduire l'impact environnemental de notre consommation, de faire perdurer des savoir-faire et de s'opposer à la mondialisation. Mais si les Européens estiment qu'il faut encourager la production locale, ils sont 64% à considérer que les produits qui en sont issus sont chers. Ils dénoncent aussi l'écart d'engagement entre les différents acteurs concernés, pointant du doigt les médias, les gouvernements, et l'Union européenne. Les Européens considèrent qu'il pourrait y avoir plus de labels ou appellations contrôlées, considérés comme des "marqueurs fiables", "garants de la qualité et de la traçabilité des produits".