L'objectif de "neutralité climatique" d'ici 2050 bientôt inscrit dans le marbre européen

La Commission européenne a présenté son emblématique "loi climat", dont la principale disposition entérine l'objectif de la neutralité climatique en 2050. Elle remet en revanche à plus tard l'éventuelle révision de l'objectif intermédiaire de 2030. Le texte réaffirme en outre la nécessité d'un dialogue avec toutes les composantes de la société, dont les autorités locales. L'examen au Parlement a été reporté sine die pour cause de coronavirus.

Le Covid-19 plus fort que la lutte pour le climat. Alors que le vice-président Timmermans devait présenter officiellement au Parlement européen, lundi 9 mars, le projet de "loi climat" dévoilé par la Commission européenne le 4 mars – qui constitue la mesure phare du "pacte vert" de la commission von der Leyen, qui en compte une cinquantaine (voir notre article) – la session a été ajournée pour cause de coronavirus. Pour les mêmes raisons, les députés ne pourront débattre comme prévu du nouveau plan d'économie circulaire de la Commission (autre mesure du pacte vert présenté par la Commission le 11 mars) ni voter leur résolution sur les projets énergétiques bénéficiant d’un financement de l'UE afin de faire en sorte qu’ils soient conformes aux objectifs de l'UE en matière de neutralité climatique pour 2050.

Objectif 2050 réaffirmé, objectif 2030 rééxaminé

"Nous aurions souhaité que le texte arrive en plénière de juillet, mais nous avons à l'heure actuelle aucune garantie de cela", regrette-t-on à la Commission ENVI du Parlement européen. Pour le président de cette commission, Pascal Canfin, cette loi climat est la "locomotive" du pacte vert, puisque tout en dépend : la réforme du marché du carbone, celle des normes sur les carburants... Dans une tribune publiée le jour de la présentation du texte, le député français a salué un "bon point de départ" mais a appelé à "aller plus vite et plus loin", dans la droite ligne de la résolution du Parlement adoptée mi-janvier.

Si la Commission fixe un objectif contraignant de neutralité climatique au sein de l'Union d'ici 2050, elle n'a, pour l'heure, toujours pas modifié sa stratégie à l'égard de l'objectif intermédiaire pour 2030 d'une réduction d'émission des gaz à effet de serre (GES) actuellement fixée à 40% par rapport à 1990. Or lors de la présentation du "pacte vert", le Parlement s'était en effet prononcé pour porter sans attendre cette réduction des émissions de GES à hauteur de 55% en 2030 (voir notre article). Mais, avant de se prononcer sur un nouvel objectif de réduction (situé entre 50 et 55%), la Commission attend les conclusions de l'étude d'impact en cours, attendues au mois de septembre 2020. "D'ici à juin 2021, la Commission examinera et proposera de réviser, s'il y a lieu, tous les instruments d'action pertinents afin de parvenir aux réductions supplémentaires des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030", précise l'exécutif européen

Un calendrier en tous points conformes à celui annoncé par la feuille de route du pacte vert publiée le 11 décembre dernier, qui prévoyait bien, d'une part, pour "l'été 2020" un "plan global visant à porter les objectifs climatiques de l'UE à au moins 50%, et si possible à 55%, de façon responsable" et, d'autre part, des propositions de révision des mesures législatives concernées d'ici juin 2021.

Mais un rythme bien trop lent pour les tenants de l'urgence climatique, dont l'activiste Greta Thunberg qui, invitée par les institutions européennes, a dénoncé la semaine dernière la "capitulation" de la Commission. Des partisans qui viennent en outre de recevoir indirectement le renfort de l'Agence européenne de l'environnement, qui a publié le 10 mars un rapport (en anglais seulement) soulignant que "le rythme annuel de réductions des émissions doit presque doubler" pour atteindre les objectifs de 2030 (le rapport soulignant les progrès accomplis dans le secteur du bâtiment et déplorant à l'inverse les résultats obtenus par les secteurs des transports et de l'agriculture).

"Dialogues multiniveaux" et "processus inclusifs" aux niveaux régional et local

Aux termes du projet de règlement, les États membres sont eux tenus d'élaborer et de mettre en œuvre "des stratégies et des plans d'adaptation" afin d'améliorer la capacité d’adaptation, de renforcer de la résilience et de réduire la vulnérabilité au changement climatique.  Au plus tard le 30 septembre 2023, puis tous les cinq ans, la Commission évaluera ces mesures et pourra adresser aux États des recommandations, publiques, lorsqu'elle jugera leurs actions "incompatibles avec l'objectif de neutralité climatique" ou "inappropriées pour améliorer la capacité d'adaptation".

Les États devront en outre mettre en place, sauf s'ils disposent déjà d'une structure ayant la même finalité, "un dialogue multiniveaux sur le climat et l'énergie […] dans le cadre duquel les autorités locales, les organisations de la société civile, le monde des entreprises, les investisseurs et les autres parties prenantes concernées ainsi que le grand public peuvent s'investir activement et discuter de la réalisation de l’objectif de neutralité climatique […] et des différents scénarios envisagés pour les politiques en matière d'énergie et de climat, y compris sur le long terme".

De son côté, la Commission, qui pourra "s'appuyer sur ces dialogues multiniveaux", devra elle aussi "dialoguer avec toutes les composantes de la société" et faciliter "un processus inclusif et accessible à tous les niveaux national, régional et local, et avec les partenaires sociaux, les citoyens et la société civile, afin d’échanger les bonnes pratiques et de recenser les actions permettant de contribuer à la réalisation des objectifs du présent règlement".

D'ores-et-déjà, le président du Comité des régions Apostolos Tzitzikistas a appelé la Commission à mettre en place un plan d'action sur cinq ans pour soutenir financièrement les collectivités dans leurs objectifs de neutralité climatique. Ces objectifs doivent se "doubler d'un investissement significatif pour soutenir chaque région, métropole, ville ou village, surtout les plus dépendants au charbon", a-t-il déclaré.

Consultations à tout va

Pour emblématique qu'elle soit, cette "loi climat" ne constitue toutefois qu'une pierre – certes maîtresse – d'un édifice qui ne prendra réellement forme qu'au fur et à mesure de la présentation de l'ensemble des mesures. Ce à quoi s'emploie la Commission, qui vient de lancer une consultation publique sur le "nouveau pacte européen pour le climat" – autre élément du "pacte vert". Cette consultation, ouverte pendant douze semaines, est destinée "à permettre aux citoyens et aux parties prenantes de s'exprimer et de prendre part à la conception de nouvelles actions en faveur du climat, à l'échange d'informations, à la mise en place d'activités sur le terrain et à la présentation de solutions susceptibles d'être reproduites ailleurs". Elle alimentera le contenu du "pacte pour le climat", qui sera lancé avant la conférence des Nations unies sur les changements climatiques prévue à Glasgow en novembre 2020 (COP26). La Commission a le même jour ouvert quatre semaines de consultation sur les analyses d'impact initial de son futur mécanisme d'ajustement carbone aux frontières d'une part, et du réexamen de la directive sur la taxation de l'énergie d'autre part.

"Nous devons aller vite car nous devons être prêts avec un accord en trilogue avant la COP26 à Glasgow en novembre. Ne pas être au rendez-vous de Glasgow serait un immense raté pour l’Union européenne", estime encore Pascal Canfin, dans sa tribune. L'Allemagne qui prendra la présidence de l'UE en juillet 2020 "aura un rôle clé à jouer". Douze pays mettent la pression sur la Commission pour que l'étude d'impact soit publiée dès le mois de juin 2020 et non en septembre, afin d'arrêter une position en amont de la COP26.

Avec la loi Energie-Climat promulguée en novembre 2019, la France fait partie des trois premiers pays de l'UE à s'être fixé un objectif de "neutralité carbone" à horizon 2050, avec le Danemark et la Suède (cette dernière entend même faire mieux en avançant l'échéance à 2045). Elle fait également partie des neuf Etats membres à plaider pour l'inscription d'une réduction de 55% des gaz à effet de serre dès 2030.

Référence : Proposition de règlement établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant le règlement (UE) 2018/1999 

 

"Neutralité climatique", "neutralité carbone", "zéro émission nette"… de quoi parle-t-on ?

Pour la Commission européenne, le concept de "neutralité carbone" (2 occurrences dans le document) a définitivement cédé le pas devant celui de "neutralité climatique" (66 occurrences). La Commission définit la première comme "zéro émission nette de CO2" alors que la seconde "concerne tous les gaz à effet de serre (et pas uniquement le carbone)". Le paragraphe 1 de l'article 2 du projet de règlement définit ainsi la neutralité climatique comme "l'équilibre entre les émissions et les absorptions des gaz à effet de serre".

Le concept de "neutralité carbone" est toutefois souvent entendu au sens large (i.e. visant l’ensemble des GES). C’est ainsi le cas, en France, de la loi n° 2019-1147 "énergie-climat" du 8 novembre dernier, qui dispose que "la neutralité carbone est entendue comme un équilibre, sur le territoire national, entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre".

Une interprétation large également retenue par le Giec, qui n’opère pas vraiment de distinction entre les deux notions (v. glossaire du "résumé à l'intention des décideurs" de son rapport spécial Réchauffement planétaire de 1,5°C, 2019, p. 85), les renvoyant toutes deux aux "émissions nettes de CO2 égales à zéro". Il y rappelle que les gaz à effet de serre sont "les constituants gazeux de l'atmosphère, tant naturels qu'anthropiques", les principaux présents dans l'atmosphère terrestre étant la vapeur d'eau (H2O), le dioxyde de carbone (CO2), l'oxyde nitreux (N20), le méthane (CH4) et l'ozone (03).