L’irrésistible ascension des polices de villes moyennes

A quelques jours de la restitution des travaux du "Beauvau des polices municipales", prévue le 13 mai, Villes de France publie la 7e édition de son "panorama" des polices municipales. Celle-ci fait apparaître une montée en gamme des polices dans les villes moyennes : de mieux en mieux équipées avec des effectifs en augmentation, elles s’affirment de plus en plus comme des "polices d’intervention". Attention à ne pas venir remplacer les effectifs nationaux, met une nouvelle fois en garde l’association.

Année après année, les polices des villes moyennes gagnent en effectifs et sont de mieux en mieux équipées… Au point parfois de faire envie à leurs homologues de la police nationale ou de la gendarmerie. "D’une police de prévention on arrive de plus en plus à une police d’intervention", commente Gil Avérous, le maire de Châteauroux (Indre), président de Villes de France, à la lumière du 7e panorama des polices municipales de Villes de France, présenté le 23 avril. La "grande tendance" est la hausse des effectifs qui ont augmenté de 22% ces cinq dernières années. Les services comptent en moyenne 20,6 agents (sans compter les ASVP et autres médiateurs), contre 17 en 2020. Ce qui représente 6 policiers municipaux pour 10.000 habitants contre 4,5 en 2018, selon ce panorama effectué auprès de 55 communes, dont Agen, Belfort, Melun, Niort ou Tarbes... "Dans le mandat en train de s’achever, la police municipale a été prioritaire" sur fond de contraintes budgétaires et de crises à répétition, souligne Frédérique Macarez maire de Saint-Quentin (Aisne). 

93% de policiers armés

Autre enseignement : l’armement ne fait quasiment plus débat. Aujourd’hui, 93% de ces polices sont armées, contre 58% au niveau national. Les policiers municipaux disposent généralement de pistolets semi-automatiques chambrés en 9mm "de type AKP30, Sig Sauer, Glock 17 ou Beretta", précise le panorama. Par ailleurs, ces dernières années, la "panoplie" du policier municipal s’est "considérablement étoffée" : acquisition de gilets pare-balles, généralisation d’armes non létales (taser, flashball…) ou des caméras piétons. Les attentats ont constitué un "tournant" analyse Gil Avérous, qui renvoie aujourd’hui au contexte de l’explosion du narcotrafic. De même, la vidéoprotection, autrefois sujet à controverse, est devenue "quasiment incontournable", relève le panorama :  95% des villes moyennes en sont équipées, avec une moyenne de 126 caméras en 2023 contre 66 en 2020. Seules trois communes (Saint-Lô, Saumur et Saint-Martin aux Antilles) n’en disposaient pas au moment de l’enquête. "En tant que maire, je n’ai jamais eu une réclamation au titre des libertés individuelles, nous sommes plutôt confrontés à une très forte demande" de la population, souligne Frédérique Macarez. Si l’investissement moyen annuel pour la vidéoprotection atteint 203.000 euros, les frais de fonctionnement représentent le double, soit 400.000 euros pour une ville comme Saint-Quentin. Sachant que le budget moyen pour une police municipale se monte à 1,35 millions d’euros, soit environ 5% du budget des villes moyennes.

Auparavant fortement soutenu par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), le déploiement de ces dispositifs de vidéo est de moins en moins subventionné, ce qui constitue une charge importante pour les mairies souvent confrontées au renouvellement des caméras de première génération. Ce désengagement de l'Etat passe d'autant moins bien qu'il s'agit d'un outil mis au service de l'Etat et de l’autorité judiciaire, notamment pour les flagrants délits.

Une commune sur cinq rencontre des problèmes de recrutement

 "La sécurité publique est désormais portée par le bloc communal, de manière souvent plus importante que l’Etat", constate Luc Carvounas, maire d’Alfortville (Val-de-Marne), posant la question de l'attractivité des métiers. De plus en plus de policiers nationaux "vont vers la fonction publique territoriale" où les conditions sont meilleures, observe-t-il. Le revers de la médaille est que les communes se concurrencent entre elles, les agents se livrant à un "benchmarking" pour aller vers le mieux offrant. Selon Gil Avérous, le premier critère de choix d'affectation est l’équipement, devant la rémunération. 20% des communes rencontrent de problèmes de recrutement. Mais des communes qui ont poussé "au maximum" le régime indemnitaire, à l’image de Rillieux-la-Pape, où il s’est rendu il y a quelques jours, n’ont pas de problème pour recruter, relève-t-il.

A quelques jours de la restitution des travaux du Beauvau des polices municipales, prévue le 13 mai par le ministre François-Noël Buffet, cette montée en gamme des polices municipales n’est pas sans quelques "inquiétudes" pour les maires. "Notre police municipale ne doit pas intervenir en remplacement", martèle Gil Avérous. Un crédo que l’association assène depuis son premier panorama mais un récent rapport de la Cour des comptes invitant à prendre en compte les effectifs municipaux dans la répartition territoriale des forces de sécurité (voir notre article du 13 janvier) a jeté le trouble. Gil Avérous se dit favorable aux "contrats de sécurité intégrée", surtout déployés dans les métropoles, reposant sur des engagements réciproques, notamment en termes d’effectifs. Seulement la donne a changé. "Chez nous (…) le préfet veut bien signer [un nouveau contrat] mais il ne veut pas s’engager sur les effectifs", s’offusque-t-il. "La parole de l’Etat doit valoir quelque chose."

"Des maires pas des shérifs"

Ces interrogations interviennent au moment où le gouvernement s’apprête à accorder plus de pouvoir aux polices municipales. L’une des mesures phares de ce Beauvau qui doit déboucher sur un projet de loi "avant l’été" serait la création d’un statut d’officier de police judiciaire pour les responsables de services de police municipale. Les maires de Villes de France y sont favorables à condition de respecter le principe de libre administration des communes. L’association prône aussi un logiciel commun à toutes les polices municipales et connecté aux commissariats et gendarmeries, l’interopérabilité des moyens de communication, le croisement des mains courantes, la création d’une inspection générale de la police municipale, l’accès aux fichiers (véhicules volés, personnes recherchées…)... Frédérique Macarez pointe par ailleurs les "procédures très pénibles" en matière d’autorisation de caméras mobiles, pour pouvoir suivre le déplacement d’un point de deal par exemple. Des délais de "trois à quatre mois" jugés bien trop longs. Elle s’inquiète aussi d’une baisse importante des travaux d’intérêt général (TIG) proposés par l’autorité judiciaire depuis quelques années. Les TIG se font sur la base du volontariat, rappelle-t-elle, mais "si les alternatives sont plus 'cools' que le nettoyage de la chaussée, c’est un sujet qu’il faut régler", insiste-t-elle.

Favorables pour accorder plus de prérogatives à leurs polices (pour accorder des amendes forfaitaires délictuelles par exemple), les maires de villes moyennes restent attachés à leur doctrine d'emploi. Celle d'une police de proximité. "Nous allons monter en charge" mais "nous nommes des maires pas des shérifs", résume Luc Carvounas.

 

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