Polices municipales : France urbaine sur une ligne de crête

Alors que le Beauvau des polices municipales a récemment fermé ses portes, la future réforme des polices municipales est attendue avec impatience chez France urbaine. Si la nécessité de faciliter le travail des agents en renforçant leurs prérogatives fait consensus, la question reste de savoir jusqu’où (ne pas) aller, alors que pour beaucoup, la "judiciarisation" reste une ligne rouge à ne pas franchir. Tentant de concilier les positions, l’association, qui organisait le 18 mars sa biennale de la sécurité et de la prévention, plaide pour une extension encadrée, facultative et expérimentale des prérogatives des "PM", sous l’autorité de maires, officiers de police judiciaire "par définition".

En attendant le Beauvau… Ce fut pendant plusieurs mois le livre de chevet des élus et des agents de police municipale, la tenue de l’événement ayant été longtemps contrariée par l’instabilité gouvernementale. Si ce dernier a été récemment clôturé (voit notre article du 12 mars), après avoir été conduit au pas de charge, l’impatience demeure. En témoignent les échanges tenus lors de la deuxième biennale de la sécurité et de la prévention organisée, ce 18 mars, par France urbaine (sur cet événement, voir aussi notre article du 18 mars). "On n’a jamais eu de propositions", déplore Émilion Esnaut, adjoint au maire de Toulouse. "Nous commençons à être fatigués. Les Beauvau sont très utiles, mais cela fait plus de deux ans maintenant que nous en faisons [NDLR : un an, le Beauvau des polices municipales ayant été lancé le 5 avril 2024], que nous sommes auditionnés régulièrement. Maintenant, il faudrait peut-être se mettre au boulot !", exhorte le maire du Creusot, David Marti (PS). Laissant ainsi entendre que les différentes séances d’échanges n’auraient été que purs bavardages.

Beauvau canada dry ?

Au passage, l’élu confesse avoir été "surpris par le terme Beauvau, pour des polices qui ne dépendent pas du ministre de l’Intérieur... Après tout, pourquoi pas", grince-t-il. Faut-il pour autant s’arrêter à l’étiquette ? Rappelons que le dispositif avait été initialement porté par Dominique Faure, alors ministre déléguée chargée des collectivités territoriales à la fois auprès du ministre de l’Intérieur et du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, à un moment où "le Beauvau" était par ailleurs à la mode (voir notre article du 15 février). Et que les séances de ce "Beauvau" se sont tenues partout – place Vendôme, à La Grande-Motte, au congrès des maires, à Lyon, à Metz, à Meaux et au Havre –… sauf dans l’hôtel du VIIIe arrondissement. Jean-Michel Weiss, premier vice-président de la Fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT), préfère d’ailleurs insister sur "la symbolique du lancement des travaux à la Chancellerie" – que Localtis avait soulignée (voir notre article du 5 avril). Car, peu ou prou, l’exercice se résume in fine à une seule question, rappelée par Nicolas Nordman (PS), adjoint à la mairie de Paris notamment chargé de la police municipale : pour ou contre "la judiciarisation" des "PM".

Une ligne de partage toujours saillante

Au vu des échanges tenus lors de cette biennale, les "deux écoles" (voir notre article du 17 mai) restent campées sur leurs positions. D’un côté, ceux qui, comme le procureur de la République d’Alès, Abdelkrim Grini, suggèrent que, pour des raisons d’efficacité, "certains policiers municipaux pourraient être officiers de police judiciaire" (OPJ). Globalement, ou à la carte, pour certaines missions seulement, comme le propose le maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin (PS), qui plaide "pour aller plus loin dans la capacité de contractualiser". De l’autre, ceux qui n’entendent nullement sauter ce pas. D’abord, en raison d’une équation mise en avant par la sociologue Virginie Malochet, à laquelle souscrit pleinement Jean-Michel Weiss : "Plus de prérogatives judiciaires, c’est plus de procédures, et moins de disponibilité sur le terrain." Ensuite, par crainte d’un désengagement de l’État et d’un transfert de charges rampant. Virginie Malochet accrédite la thèse, en décelant notamment dans "le mouvement d’extension continu des prérogatives des polices municipales" depuis la loi Chevènement de 1999 "un État qui cherche à tirer parti des ressources des autres : les polices municipales, mais aussi la sécurité privée". Le procureur Grini n’est d’ailleurs pas sans la conforter, en concédant "une réalité malheureuse : les forces de sécurité intérieure sont débordées. Face à la moyenne et la grande délinquance, ces forces et la justice, nous sommes très bons. Mais la délinquance du bas de spectre n’est très souvent pas traitée. Si votre véhicule est rouloté, neuf fois sur dix votre plainte n’aura pas de suite", admet-il. Et de proposer que des policiers municipaux OPJ puissent combler ce vide, également pointé par Mathieu Hanotin : "Il existe un certain nombre de délits où, si la police municipale ne s’en occupe pas, personne ne s’en occupe." Reste toutefois à définir si "la police municipale doit être d’abord au service de la politique pénale ou de la collectivité locale", interroge Virginie Malochet. 

D’autres pistes…

Face à cette "judiciarisation qui divise", Michel Nordman regrette que l’on "n’explore pas d’autres possibilités, plus simples", mais selon lui tout aussi efficaces. Il évoque celle qui permettrait aux agents de police municipale de "relever toutes les contraventions, y compris de 5e classe, la forfaitisation de l’ensemble des contraventions, la possibilité d’intervenir en civil, l’accès aux différents fichiers" ou encore "la simplification des procédures d’amendes administratives". Pour Jean-Michel Weiss aussi, il faut emprunter "d’autres pistes que le judiciaire", arguant notamment de "l’engorgement de la justice". Et de prendre l’exemple de la dépénalisation du stationnement payant : "Ça marche", vante-t-il. Au vu du contentieux généré devant le désormais tribunal du stationnement payant (voir notre article du 27 juin 2022), et de la complexité et du coût du dispositif jadis pointés par des sénateurs (voir notre article du 17 septembre 2019), sans doute faut-il, là aussi, se faire prudent.

Extension encadrée, facultative et expérimentale des prérogatives

Une prudence que l’on retrouve dans la contribution publiée par France urbaine en conclusion de cette biennale, laquelle plaide pour "un renouveau du continuum de sécurité à l’échelle locale". Sur le sujet spécifique des polices municipales, l’association propose de suivre, à pas comptés, une ligne de crête : "une extension encadrée des prérogatives, assorties de garanties (notamment financières)", pour les seuls "maires volontaires", et "dans une logique d’abord expérimentale". Cette extension serait "régie par des conventions limitées dans le temps et sous couvert du maintien d’une autorité hiérarchique désignée OPJ", en soulignant que c’est une "qualité dont bénéficient les maires par définition". Concrètement, l’association propose que les policiers municipaux puissent dans ce cadre : contrôler l’identité exacte de l’auteur présumé d’une infraction ; verbaliser immédiatement les "infractions du quotidien" (consommation de stupéfiants, occupation de halls, vente à la sauvette, conduite sans permis…) ; contrôler l’alcoolémie en cas d’infraction ; procéder au contrôle visuel des bagages dans les transports ; accéder gratuitement aux fichiers relatifs aux véhicules volés, aux permis de conduire, aux immatriculations ou aux personnes recherchés ; saisir à titre conservatoire des éléments ayant servi à la commission de l’infraction constatée ; octroyer à certains d’entre eux les compétences judiciaires des gardes champêtres. Une démarche dont il n’est pas certain qu’elle réponde pleinement aux attentes, pas toujours affichées, de l’État. Pour le savoir, reste à attendre la publication du prochain volume des "Mystères de Beauvau", un feuilleton qui n’a rien à envier à celui d'Eugène Sue.

 

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