L'Insee analyse un an de crise dans les territoires
La publication de "La France et ses territoires" est l'occasion pour l'Insee cette année d'analyser l'impact de la crise et des confinements dans les territoires. Si la spécialisation des économies dans le tourisme et certaines industries a été un facteur aggravant dans les départements du sud, de montagne et de l'est, l'Insee a aussi pu mesurer l'impact des déplacements de population en particulier en Savoie qui a perdu 30% de sa population lors du premier confinement, avec des incidences très nettes sur les achats par carte bancaire.
En soixante-quinze ans d’existence, l’Insee en aura vu passer des crises. Mais comme le souligne Christine Charton, chargée de mission études au sein de l’institut, à l’occasion de la publication du nouveau portrait de "La France et ses territoires", ce jeudi 29 avril, "la géographie de la crise du Covid est assez inédite, les activités les plus perturbées sont les services, hébergement-restauration, services à la personne, transports…". La précédente crise, celle de 2008, avait plutôt touché les départements industriels. Avec le premier confinement, les heures rémunérées ont chuté de 80% dans l’hébergement-restauration, de 55% dans les services aux ménages et de 55% dans la construction. Conséquence, "les départements les plus affectés sont les départements touristiques du sud, de montagne et urbanisés, les plus préservés sont les départements ruraux du centre ou orientés vers l’industrie agroalimentaire à l’ouest", a développé Christine Charton, lors d’une présentation à la presse d’une analyse visant plus spécifiquement les impacts du confinement sur les départements. L’ampleur de la crise est donc directement liée à la spécialisation des territoires.
En mettant fin à la saison touristique hivernale, le premier confinement du 17 mars au 11 mai 2021 a ainsi brutalement mis les départements alpins ou pyrénéens à l’arrêt. Les départements industriels fortement marqués par la construction de matériels de transport, le Haut-Rhin et le Doubs pour l’automobile, ou la Haute-Garonne pour l‘aéronautique, ont aussi fait les frais d’une baisse brutale de l’activité. En région parisienne, la situation est contrastée. La baisse des heures rémunérées a été très marquée en Seine-et-Marne, avec la fermeture de Disneyland Paris et l’interruption du trafic de Roissy Charles de Gaulle. En revanche, l’ouest parisien, notamment les Hauts-de-Seine, où les activités sont davantage susceptibles de passer en télétravail (information, communication), a mieux résisté. Les départements d’outre-mer pour leur part ont été très pénalisés par l’interruption du trafic maritime et aérien (avec des effets en chaîne sur les activités de transport et d’entreposage).
Amplification
"Les différences de profils économique n’expliquent pas tout, certains facteurs ont pu amplifier" ces tendances, souligne Christine Charton. Au-delà de la baisse d’activité, l’Insee a pu mesurer les flux de population, grâce aux données communiqués par les opérateurs de téléphonie mobile (données anonymes il va de soi). Avec le premier confinement, la Savoie a ainsi perdu 30% de la population soit 180.000 personnes en moins, c’est la plus forte baisse enregistrée pour un département, en valeur relative. Paris s’est vidée de 450.000 personnes, plus de la moitié n’y résidant pas habituellement (touristes, professionnels), mais l’autre moitié constituée d’habitants partis en résidence secondaire ou rejoindre leur famille… À l’inverse, les départements possédant de nombreuses résidences secondaires ont fait le plein - l’Yonne a gagné 7% d’habitants. C’est le cas de la périphérie des métropoles, du centre, du sud-ouest dynamique ou de la façade atlantique.
Autre indicateur : les achats par carte bancaire. Dès la première semaine complète de confinement (du 23 au 29 mars 2020), ils ont chuté de 60% (ils avaient au contraire augmenté juste avant, de nombreux Français ayant cherché à s’approvisionner… pas seulement en papier toilette). Les secteurs les plus touchés par cette chute sont l’achat de carburant, l’habillement, l’hébergement-restauration, les loisirs… La baisse touche tout particulièrement les départements qui ont perdu des habitants, elle dépasse "70% en Savoie, à Paris et dans les Hautes‑Alpes, où les départs de population ont été massifs". C’est également le cas dans le Haut‑Rhin, le Bas‑Rhin, le Territoire de Belfort, la Seine‑Saint‑Denis, ainsi que "dans les départements sièges de ville universitaire comme Paris, le Rhône ou la Haute‑Garonne, dont une partie des étudiants sont partis".
L'intérim, variable d'ajustement
Au regard de l’emploi, l’intérim a servi de variable d’ajustement. Les deux tiers des 500.000 emplois supprimés au premier trimestre 2020 l’ont été sur des postes d’intérimaires. La baisse de l'emploi est donc plus marquée dans les départements où le nombre d’intérimaires est important : les départements de montagne et les stations de ski et les départements de l’est comme le Territoire de Belfort, la Haute-Saône, la Haute-Marne, le Doubs ou l’Ain où les industries, notamment dans les matériels de transport, recourent à de nombreux intérimaires. Si les territoires ruraux ou tournés vers l’agroalimentaire, notamment dans l’ouest, ont été moins exposés, ils ont aussi pu bénéficier de la présence de retraités. "Les handicaps d’hier, comme le vieillissement de la population ou la faible densité de peuplement, ont paradoxalement amorti les effets de la crise du printemps 2020", constate l’Insee. "Dans la durée, l’impact de la crise actuelle dans les territoires dépendra de la persistance des différentes mesures de restriction, puis de la vitesse de la reprise, notamment dans certains secteurs spécifiques comme le tourisme, surtout pour les territoires dépendant de la clientèle internationale, ou l’aéronautique", souligne l'institut au moment où l'exécutif s'apprête à annoncer le calendrier du déconfinement.
Sans préjuger des effets du dernier confinement, l'Insee constate que le quatrième trimestre a fait replonger des départements déjà fragilisés : les départements touristiques, ceux de montagne (qui connaîtront une saison blanche en 2020-2021), mais aussi le Haut-Rhin et le Bas-Rhin avec l’annulation des marchés de Noël, les départements d’outre-mer généralement très fréquentés à cette période, et l’Île-de-France avec la chute du tourisme et du tourisme d’affaire…
Au-delà de son analyse de l'impact de la crise et de son étude spécifique dédiée aux déplacements (voir notre article de ce jour), l'Insee inclut dans "La France et ses territoires" une importante compilation de données et cartes relatives aux "disparités de revenus et de conditions de vie des ménages". La plupart de ces données ne surprendront guère : quel que soit l'indicateur choisi, les disparités territoriales sont fortes. Mais ne sont pas toujours exactement là où on les attendrait.
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