L'Igas tire un portrait d'une jeunesse rurale "délaissée"
L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a conduit une mission sur les jeunes âgés de 16 à 29 ans en milieu rural. Son rapport approfondi sur la pauvreté et les conditions de vie des jeunes ruraux, met en évidence leur précarité et les lacunes des politiques publiques. Elle formule des recommandations pour ajuster les dispositifs publics aux spécificités de la ruralité et lutter contre l'exclusion croissante de cette jeunesse souvent "invisible".
Longtemps qualifiés d'"invisibles", moins nombreux que les jeunes urbains, les jeunes ruraux focalisent moins l'attention alors que leur place et les choix qu'ils réalisent - partir ou rester - sont cruciaux pour l'avenir des territoires ruraux. Ils sont près de 3 millions sur la tranche d'âge 15-29 ans (pour 9,6 millions de jeunes urbains) mais ne représentent que 14% des résidents de leurs territoires.
Dans son rapport publié le 7 janvier 2024, la mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) apporte un éclairage sur ces jeunes ruraux âgés de 16 à 29 ans, leurs conditions de vie et analyse leurs facteurs spécifiques de fragilité au regard de ceux de l'ensemble de la jeunesse. Lancée en février 2024, la mission s'est concentrée sur huit territoires ruraux en France métropolitaine, notamment l'Aisne, le Morvan et l'Ardèche, à travers des enquêtes de terrain, des entretiens avec plus de 350 acteurs et des analyses de données.
Premier enseignement : le rapport révèle que 338.000 jeunes ruraux âgés de 18 à 24 ans vivent sous le seuil de pauvreté, l'estimation est préoccupante et repose sur des données non réactualisées pour la tranche 15-29 ans. Malgré une insertion plus précoce sur le marché du travail par rapport aux jeunes urbains, les jeunes ruraux sont confrontés à un taux de chômage de 22,4% et à une précarité marquée avec 37,8% des jeunes en contrat temporaire (CDD ou intérim). Le rapport souligne également des difficultés accrues d'accès à l'enseignement supérieur, avec seulement 28 % des jeunes ruraux accédant à ce niveau contre 37% des jeunes urbains. "À l'instar des jeunes des banlieues, les jeunes ruraux, issus en grande majorité de milieu populaire, faiblement diplômés, se trouvent placés face au dilemme récurrent : quitter leur territoire ou trouver un emploi pour y rester", peut-on lire dans le rapport.
Isolement
Au-delà des aspects monétaires, la vie rurale est marquée par un déficit de services publics et d'infrastructures, malgré le développement des maisons France services. L'éloignement géographique allonge les temps de déplacement et freine l'accès à des droits fondamentaux tels que la santé ou l'emploi. La dématérialisation des services administratifs accentue le non-recours aux aides pour les plus vulnérables.
L'accès au logement autonome est également une difficulté majeure, accentuée par des revenus faibles et le coût élevé de la mobilité. A noter enfin que l'isolement et la moindre sociabilité pèsent parmi les déterminants de dégradation de la santé mentale des jeunes ruraux.
Des réponses en proximité mais insuffisamment ciblées
Face à ces constats, l'Igas estime que "les politiques publiques transverses apportent des réponses en proximité mais insuffisamment ciblées vers les jeunes ruraux précaires". La mission inventorie les actions de l'Etat et les collectivités territoriales envers les jeunes, en matière de mobilité, mais aussi d'accès aux droits, d'insertion ; "en complément de l'action des départements, la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté puis le Pacte des solidarités sont un cadre d'impulsion, soutenu par des cofinancements de l’Etat".
De son côté, l'Igas note que les politiques de jeunesse ont élargi "leur champ d’attention aux transitions de la jeunesse et aux inégalités" en complément des actions tournées vers l'animation et les loisirs. La mission constate que "les offres d'accompagnement destinées aux jeunes se concentrent dans les bourgs ruraux ou les petites villes, avec l'objectif de rayonner jusqu'aux territoires à habitat plus dispersé", citant le service public de l'emploi, les centres sociaux, l'information jeunesse, l'action sociale des départements etc. A contrario, "les dispositifs plus spécialisés de formation, d'accompagnement vers l'emploi ou de santé [...] se concentrent quant à eux dans des agglomérations plus importantes".
Aller-vers, hors-les-murs..
Pour assurer un meilleur accès à ces interventions publiques, la mission souligne que différentes modalités se sont développées ces dernières années, souvent dans le cadre d'appels à projets. L'Igas fait référence aux actions d'aller-vers qui "ont vu le jour dans quasiment tous les domaines répertoriés par la mission, à travers différentes modalités (dispositifs mobiles, antennes) pour rapprocher l'accompagnement socio-professionnel, l'accès aux droits, mais aussi la santé et en particulier la santé mentale".. Les "démarches hors-les-murs ou de permanences" dans lesquelles les collectivités jouent un rôle clé en particulier en facilitant la mise à disposition de locaux, sont également saluées. La mission salue enfin l'existence des offres hybrides de formations qui se sont développées, notamment dans le cadre des campus connectés ou de tiers-lieux déployés par certaines régions.
Proposition d'un "zonage France Ruralité +"
Malgré ces actions jugées positives, l'Igas constate que les dispositifs nationaux peinent à s'adapter aux spécificités de la ruralité. Les aides et programmes comme le Contrat d'engagement jeune (CEJ) sont peu implantés dans les territoires isolés. Les financements des structures d'accompagnement sont souvent inadaptés aux surcoûts induits par la dispersion géographique. Les actions de proximité (comme les "promos 16-18 hors les murs" et les "campus connectés"), sont jugées positives mais nécessitent des financements pérennes et élargis.
Le rapport livre donc une trentaine de recommandations. Il recommande par exemple de créer un cadre prioritaire pour les jeunes ruraux vulnérables via le "zonage France Ruralité +", avec des bonifications budgétaires pour compenser la faible densité démographique. Des programmes innovants, tels que des internats socio-éducatifs et des offres hybrides de formation, sont préconisés pour combiner proximité et mobilité. Par ailleurs, le rapport plaide pour le renforcement de l'accompagnement en santé mentale et des aides à la mobilité, notamment par le déploiement de simulateurs de conduite dans les missions locales.