L’hybridation des formations, un concept à géométrie variable
La crise sanitaire aura marqué un point de bascule pour les acteurs de la formation continue à travers, notamment, le développement des enseignements à distance soutenu par l’avènement du numérique qui a généralisé la mise en place d’outils de formation en distanciel. Pour autant, existe-t-il un lien de causalité entre digitalisation de l’offre de formation et pratiques innovantes ? Un phénomène complexe que France compétences décrit comme une "hybridation des formations professionnelles continues" et qui a fait l’objet d’un webinaire le 28 novembre.
Premier enseignement de l’enquête menée auprès d’une dizaine de structures du secteur de la formation continue : "la notion est floue pour les acteurs" eux-mêmes, relève d’emblée Daniela Rodriguez, ingénieure de recherche à HESAM Université et cheffe de projet d’une enquête menée en collaboration avec le Cnam pour le compte du Réseau emplois compétences de France stratégie. Floue au point que les apprentis eux-mêmes se disent parfois "en présence" à l’occasion de sessions à distance "synchrones", s’étonne l’universitaire. En cherchant à décrire le phénomène, Emmanuelle Betton, enseignante-chercheure au Cnam spécialiste de l’enseignement à distance, isole deux grandes tendances : une première, "ethnocentrée", à travers laquelle la digitalisation est considérée comme un outil de compensation en cas d’empêchement du présentiel et une seconde, envisagée d’un point de vue technique, où "la fascination pour l’outil numérique" semble devoir être une fin en soi, "alors qu’il n’est pas pour autant synonyme d’innovation pédagogique", insiste l’enseignante. Elle souligne au contraire "que le numérique peut venir renforcer les tendances pédagogiques traditionnelles" et qu’il convient, dès lors, de distinguer l’outil de l’activité pédagogique elle-même.
L’apprenant autonome, "une idée reçue"
Au final, est-il plus facile de suivre une formation à distance plutôt qu’en présentiel ? S’agissant du distanciel, Anne-Lise Ulmann, enseignante-chercheure au Cnam, reconnaît que "les apprenants plébiscitent beaucoup cette forme de formation qui offre davantage de souplesse". La difficulté étant que "lorsque l’on entre dans un processus d’apprentissage, il n’est pas facile d’apprendre entre la poire et le fromage !", à savoir sur des temps et dans des conditions extrêmement variables en fonction des candidats. "On voit d’ailleurs des apprenants qui réclament de revenir, dans un deuxième temps, dans des lieux protégés." Un comportement qui renforce l’importance de l’accompagnement et qui pointe la nécessité pour certains "de rompre avec la solitude" induite par les activités à distance. Car considérer que l’apprenant serait par nature autonome "est une idée reçue", tranche Anne-Lise Ulmann.
La question de l’adaptation aux domaines d’activités comme aux publics concernés
Sur le terrain, l’enquête révèle également une transformation "très importante" des organisations avec une séparation induite des fonctions d’ingénieurs pédagogiques et de celles de formateurs qui glissent vers un métier d’accompagnateur plus proche du tutorat. Valérie Castay, directrice du département Etudes et Projets à l'AFT, témoigne pour sa part du fait que l’hybridation n’est pas forcément adaptée à un secteur tel que celui du transport pour lequel la réglementation ne permet pas de faire de formation à distance. Y compris sur les enseignements théoriques, même si les choses évoluent concernant spécifiquement le métier d’ambulancier, explique-t-elle. Un métier soumis à la délivrance d’un diplôme d’Etat et qui dépend de la convention collective du transport routier, et dont le volet théorique de la formation peut désormais se faire à distance pour 70% des contenus. Plus globalement, dans les métiers en tension du transport routier, l’hybridation de la formation continue pourrait jouer un rôle en matière d’attractivité auprès des jeunes, veut croire la représentante de l’AFT. "C’est également un enjeu vis-à-vis des adultes qui à 90% accèdent au métier de chauffeur routier, un métier de reconversion, par le biais de la formation continue."
"L’offre de formation doit répondre à une demande"
Plus globalement, Aurélia Bollé, déléguée générale du Forum des acteurs de la formation digitale (FFFOD), pense que "l’on sous-estime souvent l’accompagnement au changement qui est clé dans la réussite d’un projet d’hybridation". Ce pourquoi le FFFOD a mis en place "un cadre de référence de l’accompagnement à l’hybridation de la formation continue" qui propose une palette d’outils à destination des acteurs du secteur. Des acteurs, organismes de formation en premier lieu, qui ne peuvent faire l’économie d’une réflexion sur la rentabilité de l’hybridation – "ou plutôt le retour sur investissement" - reconnaît Armel Guillet, directeur de Cnam Entreprises, qui pointe les coûts d’ingénierie et de conception des dispositifs liés à "des demandes d’expertises spécifiques". En résumé, la seule interrogation qui vaille est "y a-t-il une plus-value et combien de personnes va-t-on toucher ?" Dit autrement, "l’offre de formation doit répondre à une demande, le fait de l’hybrider n’est pas une réponse en soi". Et lorsque les acteurs de la formation continue souhaitent aller vers plus de souplesse, des demandes "paradoxales" émanent des publics cibles eux-mêmes qui dans certains cas, relève Armel Guillet, veulent plus de souplesse mais aussi plus de réseau, "et le distanciel ne permet pas ça".