L’hébergement, "réceptacle des insuffisances de toutes les politiques publiques"

Interrogée ce 4 février par Christophe Robert, le directeur général de la fondation Abbé-Pierre, en réaction aux chiffres alarmants dévoilés quelques heures plus tôt dans le 30e rapport de la fondation, Valérie Létard a réaffirmé son engagement envers l’hébergement d’urgence et le logement social. Des enjeux que la ministre du Logement entend traiter en bonne intelligence avec les différents acteurs - collectivités, préfets, associations, fédérations… - et dans une approche globale. 

Présentés officiellement mardi 4 février au matin par la fondation Abbé-Pierre (FAP), les chiffres du mal-logement en France laissent peu de place à l’interprétation. Tandis que le nombre de personnes à la rue atteint un niveau record (lire notre article du 3 février au soir sur le contenu du rapport), de même que les demandes de logement social et que la production de nouveaux logements suit la courbe inverse, tous les regards sont tournés vers le gouvernement et le ministère du Logement. Dans un échange ayant eu lieu avec Valérie Létard suite à la révélation du bilan de l’année 2024, Christophe Robert, directeur général de la FAP, a mis l’accent sur les difficultés que rencontrent les publics précaires, en particulier les personnes en situation de handicap auxquelles ce 30e rapport consacre un focus particulier. Discriminations dans l’accès au logement, ressources plus faibles, besoins liés à l’aménagement des appartements… Vingt ans après la loi handicap de 2005, "les choses progressent petit à petit", a déclaré la ministre. "S’il y a bien un sujet profondément transversal, c’est celui du handicap ! Le logement est au cœur de la vie de tous les Français, et ne pas avoir de logement accessible, cela veut dire ne pas avoir de logement", a-t-elle souligné.

Accessibilité des logements

L’occasion pour Christophe Robert d’interroger Valérie Létard sur l’impact de la loi Elan en matière d’accessibilité des logements : en effet, le décret n° 2019-305 du 11 avril 2019, entré en vigueur le 1er octobre 2019, prévoit que 20% des logements construits doivent être livrés directement "accessibles". Donc beaucoup moins que ce que prévoyait la loi Handicap (100% des logements). Par ailleurs, un rapport d’évaluation de cette réforme majeure (l'application du volet accessibilité de la loi Elan) a été rédigé par l’Igedd… mais jamais publié. "Il est vrai que ses conclusions sont plus que critiques", a souligné la FAP : d’une part, ce rapport explique qu'avant la loi Elan, les dérogations aux règles d’accessibilité étaient déjà très larges ; d’autre part, il regrette que la loi Elan et ses textes d’application aient accentué la dégradation des obligations en matière d’accessibilité. "Il faut rouvrir la discussion sur cette question", a considéré Christophe Robert.

"Notre idée est de faire en sorte que ce rapport soit publié ce trimestre, afin que nous puissions avoir effectivement un rendu sur cette question en toute transparence", a concédé Valérie Létard, en indiquant que de nombreux travaux étaient en cours sur l’accessibilité du cadre bâti pour les établissements recevant du public et les locaux de travail. La ministre a également insisté sur les 37.000 logements accompagnés en 2004 dans leur mise en accessibilité (200 millions d’euros de crédits) : "Il a été demandé à l’Agence nationale pour l’habitat de stabiliser les moyens afin que le même effort soit consenti en 2025, malgré un contexte budgétaire qui peut inquiéter. Sur le budget, je me suis battue pour qu’on ne touche pas aux autorisations d’engagement. Nous avons eu des garanties de la part de Bercy qui sera au rendez-vous", a assuré Valérie Létard.

Desserrer l’étau

S’agissant du logement social, la ministre a réaffirmé son intention de baisser la réduction de loyer de solidarité (RLS) en vue de redonner des fonds propres aux bailleurs. Couplée à la baisse du taux du livret A, cette mesure constituera ainsi un levier pour redynamiser la production de logements sociaux. "Cette semaine, avec tous les présidents de fédérations, nous devons nous mettre d’accord sur les objectifs que nous souhaitons atteindre collectivement en 2025." L'extension du prêt à taux zéro représentera aussi un moyen pour de nombreux ménages de sortir du parc locatif et de libérer des logements en accédant à la propriété. "Ces éléments mis bout à bout commenceront à créer des conditions pour desserrer l’étau sur le logement. Mais ce ne sera pas suffisant : il faut s’inquiéter aussi des moyens que mobiliseront les investisseurs privés", a-t-elle estimé. 

Tandis que 6.000 à 8.000 personnes appellent tous les soirs le 115, la FAP pointe du doigt la baisse de la capacité du dispositif national d’accueil pour les demandeurs d’asile, qui se répercutera inéluctablement sur l’hébergement généraliste. "Ce n’est pas une bonne nouvelle, a regretté Christophe Robert. Face à la situation, nous proposons de mettre en place des cellules d’urgence dans les secteurs très tendus sous l'égide des préfets et, simultanément, de mobiliser les bâtiments publics vides en donnant les moyens aux associations de les aménager et les gérer."

Une coopération interministérielle

Un constat face auquel il conviendrait, selon Valérie Létard, de présenter une réponse globale et interministérielle. "Le secteur de l’hébergement est, malheureusement, le réceptacle des insuffisances de toutes les politiques publiques. Le parc ne doit plus être géré en fonction du froid ni du thermomètre, nous devons nous adapter. Je souhaite simplifier le pilotage de l’hébergement, main dans la main avec les différents acteurs. Les cellules pilotées par les préfets doivent être développées voire généralisées partout où c'est nécessaire. Nous devons développer cette pratique et coproduire des solutions entre préfets, collectivités et associations." La ministre a en outre rappelé avoir plaidé pour le maintien des 203.000 places d’hébergement d’urgence le 22 janvier dernier au Sénat. 

Dans le cadre du plan quinquennal pour le Logement d’abord, Valérie Létard entend par ailleurs développer des chemins vers l’emploi et vers la santé avec les ministères consacrés (convention nationale avec France Travail et les opérateurs de compétences (Opco) pour faciliter l’accès à l’emploi des publics hébergés, accès aux Ehpad pour les moins de 60 ans à la rue, expérimentation des maisons de répit pour mieux gérer les troubles psychiques…). "Ce sont des pistes que nous avons commencé à creuser. Notre feuille de route pour 2025 vise à essayer de déterminer une série de mesures permettant d’avoir une approche globale des publics. L’ensemble de ces conditions réunies entraîneront une libération de logements, puisque les personnes auront retrouvé une autonomie."

 

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