"Le traitement de la crise immobilière l’emporte sur celui de la crise du logement", regrette la fondation Abbé-Pierre
Dans son 30e rapport sur l’état du mal-logement en France, présenté officiellement ce mardi 4 février, la fondation Abbé-Pierre dévoile des chiffres alarmants et estime à 350.000 le nombre de personne sans domicile en 2024. Elle dénonce en outre la "cécité" des pouvoirs publics à l’égard de la crise du logement.
En dépit des drame (tels que le procès de la rue d’Aubagne en novembre 2024) et des débats qui ont fait l’actualité en 2024, l’électrochoc attendu autour de la question du mal-logement peine à venir. "Pourtant, tous les signaux sont au rouge et les motifs d’espoir bien rares", souligne la fondation Abbé-Pierre, qui livre à travers son 30e rapport sur l’état du mal-logement en France une nouvelle estimation à 350.000 du nombre de personnes sans domicile, en hébergement ou à la rue, contre 330.000 en 2023, 300.000 en 2020… et 143.000 en 2012. La France hexagonale compte en outre plus de 15.000 personnes en bidonvilles, sans même compter les réalités massives de Mayotte et de la Guyane. "Et nous n’évoquons pas non plus les 100.000 'habitations de fortune' dénombrées par l’Insee dans le recensement général de la population", précise la Fondation.
Des chiffres qui démontreraient l’échec de l’action publique en matière de logement, mais aussi "la faillite de l’accompagnement des jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance, des sortants de détention ou de psychiatrie, et les effets d’une politique d’inhospitalité et de précarisation des personnes exilées". La fondation Abbé-Pierre regrette aussi que les préoccupations économiques de relance de l’activité immobilière aient "pris le pas" sur la dimension sociale de la politique du logement.
Le rapport recense également 735 morts de personnes sans domicile fixe en 2023, "un sinistre record depuis 12 ans", et 19.023 expulsions locatives (+17% en un an).
Vives inquiétudes autour du logement social
La demande de logement social connaît elle aussi une progression constante ces dernières années, pour compter plus de 2,7 millions de ménages mi-2024 (contre 2,1 millions en 2017), quand dans le même temps, le nombre de logements sociaux disponibles à la location suit une pente inverse. En effet, "avec 393.000 attributions en 2023, soit près de 100.000 de moins qu’en 2016, moins d’un demandeur sur cinq reçoit désormais une réponse positive dans l’année et les délais pour obtenir un logement social peuvent atteindre plusieurs années", constate la Fondation. Cette dernière redoute que l’absence d’amélioration des conditions de financement du logement social conduise à une période de ralentissement durable de la construction. "Alors que les agréments HLM ont chuté à 82.000 en 2023 et sans doute environ 84.000 en 2024 (lire notre article), la Banque des Territoires estime dans son étude annuelle Perspectives que les contraintes financières actuelles limiteront à terme la production autour de 72.000 logements sociaux par an", indique le rapport.
La précarité énergétique concernerait quant à elle 12 millions de personnes en 2024, et plus d’un ménage sur quatre a souffert du froid cette année (30% contre 14% en 2020), "tandis que les passoires thermiques des mois d’hiver se transforment en bouilloires durant les périodes de fortes chaleurs de plus en plus fréquentes".
Afin de développer une stratégie d’action efficace, la fondation Abbé-Pierre met en exergue deux orientations fondamentales : redonner des capacités aux organismes HLM pour relancer la construction et améliorer le parc existant (en diminuant la RLS et la TVA) et restaurer le "pouvoir solvabilisateur" des aides personnelles au logement. Des orientations auxquelles s’ajoutent plusieurs mesures comme la consolidation du Logement d’abord "avec une action résolue de production de logements à faible niveau de loyer, en particulier dans les communes SRU", l’abrogation de la fameuse loi "anti-squat" Kasbarian-Bergé, mais aussi le soutien aux collectivités locales pour réussir le ZAN, "en particulier en abondant le fonds vert et en dissuadant davantage la vacance et les résidences secondaires".
› Les personnes handicapées sur-représentées parmi les victimes de mal-logementAlors que la loi de 2005 sur le handicap s’apprête à fêter ses 20 ans, la fondation Abbé-Pierre a rappelé la dure réalité à laquelle sont confrontées les personnes en situation de handicap : d’après l’enquête nationale Logement (ENL) 2013 réalisée par l’Insee, dernière enquête en date disponible, "5.474.000 ménages sont concernés par un handicap ou par des difficultés/gênes dans la vie quotidienne en France métropolitaine. Parmi ces ménages, 6,4% (soit 350.000 ménages) subissaient une des deux principales manifestations du mal-logement au sens de la fondation, c’est-à-dire la privation de confort ou le surpeuplement accentué, contre 4% de la population générale." Une sur-représentation que l’on peut retrouver également dans la précarité énergétique (8% des ménages comptant une personne avec un handicap, contre 5% pour l’ensemble de la population française). "Au total, l’ensemble des problèmes de logement (privation de confort, surpeuplement, précarité énergétique, effort financier excessif pour se loger, impayés de loyer, copropriété en difficulté…) touche 24% des ménages comprenant une personne en situation de handicap ou de gêne (soit 1,3 million de ménages) contre 20% des ménages français", souligne la fondation Abbé-Pierre. À cela s’ajoute l’inadaptation des logements aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. |