Culture / Urbanisme - Les villes-cathédrales en quête d'une attractivité qui fasse sens
Une cathédrale constitue-t-elle un "objet encombrant" ou une chance pour sa ville ? Les deux, répond le jeune réseau des Villes-Cathédrales, qui préfère toutefois nettement mettre en avant les attraits de ses colosses de pierre. A l'invitation de "Villes de France" (ex-Fédération des villes moyennes) qui porte le réseau, une centaine d'élus et de professionnels s'est rendue le 26 juin à Sens (Yonne) pour échanger sur le thème "La cathédrale, 'objet' urbain ?". Créé en septembre 2013 (voir ci-contre notre article du 26 septembre 2013), le réseau des Villes-Cathédrales mobilise à ce jour 62 villes et intercommunalités de France, ainsi que certaines directions régionales des affaires culturelles (Drac) et la Conférence des Evêques de France.
"Il est important de voir comment, à la fois sur le plan urbanistique et sur le plan économique, les cathédrales ne sont plus des monuments 'inefficaces'", explique Caroline Cayeux, sénatrice-maire de Beauvais (Oise), à Localtis. Pour la nouvelle présidente de "Villes de France", les cathédrales "ont forcément, quand elles sont mises en valeur, des retombées économiques, touristiques, et elles donnent de la fierté à leurs habitants". Le réseau, ajoute-t-elle, a vocation à favoriser l'échange d'expériences sur ce terrain-là. Initié par les villes moyennes, il s'adresse bien à toutes les villes accueillant une cathédrale sur leur territoire.
Ouvrir le quartier-cathédrale au reste de la ville
Mise à l'honneur ce 26 juin à l'occasion de son 850e anniversaire, la cathédrale de Sens, première cathédrale gothique de France, a ainsi servi de support à une visite sur le thème de l'inscription de la cathédrale dans la ville. Pour Laurent Barrenechea, Architecte des bâtiments de France intervenant lors du colloque, il importe de "déconstruire le mythe historique" selon lequel les cathédrales auraient contribué à l'émergence du fait urbain.
La cité épiscopale devient plutôt, au Moyen-Age, une "ville dans la ville", composée de l'église, mais aussi du palais épiscopal, de jardins, des maisons réservées aux chanoines. Un quartier "où l'on prie", bien distinct des bourgs commerçants qui se développent parallèlement. Ce n'est qu'aux 18e et 19e siècles que cette configuration urbanistique évolue, la montée des préoccupations hygiénistes et de valorisation du patrimoine justifiant d'ouvrir davantage le quartier de la cathédrale au reste de la ville et aux habitants.
Cet enjeu de lien entre la cathédrale et la ville reste d'actualité. "Nos cathédrales sont souvent au cœur des opérations de requalification des centres-ville", affirme Caroline Cayeux. Certains maîtres d'ouvrage décident ainsi d'organiser leur opération d'aménagement autour et à partir de la cathédrale. A Amiens (Somme), une opération globale d'aménagement autour de la cathédrale a ainsi été confiée à partir de 1992 à l'architecte Bernard Huet : nouveaux logements, commerces et musée, percées urbaines vers la cathédrale, travail sur les sols et les matériaux de construction, agrandissement du parvis, travail sur les jardins, etc.
Une lourde charge pour les communes propriétaires
Des opérations coûteuses, qui ne sont pas à la portée de tous les territoires. Pour revitaliser le quartier de sa cathédrale, la ville de Saint-Flour a donc choisi de poser sa candidature à l'appel à projets "centres-bourgs" que vient de lancer le gouvernement (voir notre article ci-contre du 23 juin). Pour certaines collectivités propriétaires de leur cathédrale, l'effort financier nécessaire pour ces opérations d'aménagement s'ajoute aux frais d'entretien et de restauration.
En effet, sur les quelque 180 cathédrales de France, seules 87 appartiennent à l'Etat ; les autres sont la propriété de communes, de départements, de particuliers et, pour quelque exceptions, de diocèses. Pour des communes de la taille de Noyon (Oise, environ 14.000 habitants), la charge est lourde. "C'est difficile mais nous ne voulons pas sacrifier la valorisation de la cathédrale et de ses abords", explique Nicole Quainon-Andry, adjointe au maire de Noyon. Grâce à un montage partenarial impliquant, outre la ville, l'Etat et le conseil général, une opération d'aménagement est donc en cours. Avec, en outre, un travail de "dynamisation touristique". "Il y a une volonté politique d'inclure systématiquement la cathédrale dans les manifestations de la ville", ajoute l'élue qui espère ainsi "redonner une image positive de la cathédrale" et "créer un lien entre les Noyonnais et les touristes".
Des expériences pour créer de l'attachement
Les stratégies de valorisation de la cathédrale s'adaptent donc aux opportunités, notamment celles qu'offre le monument lui-même. Autun (Saône-et-Loire) mise ainsi sur le tympan du portail de sa cathédrale romane, une œuvre sculptée qui sert de support à divers projets touristiques tels qu'un "film en relief haute définition" diffusé dans un musée à proximité de la cathédrale. Il s'agit d'un "choix très artistique" qui consiste à "privilégier l'expérience par rapport à l'aspect pédagogique", explique Anne Pasquet, animatrice de l'architecture et du patrimoine à Autun.
Dans le même état d'esprit, de plus en plus de cathédrales - Amiens, Rouen, Chartres, Reims ou encore Beauvais - sont le support de spectacles d'illumination. Une fois la nuit tombée, le 850e anniversaire de la cathédrale de Sens a ainsi été célébré le 26 juin d'une "scénarisation par la lumière" réalisée par la société Spectaculaires. Une expérience visuelle et sonore qui crée de la curiosité et de l'attachement autour du monument. Faire aimer la cathédrale, puisque "la cathédrale est une raison d'aimer notre ville", pour Marie-Louise Fort, députée-maire de Sens. Avec des retombées touristiques non-négligeables. A Beauvais, par exemple, le spectacle a attiré en deux ans 100.000 spectateurs, dont deux tiers de touristes (venus d'Ile-de-France, du reste de la France et de l'étranger), assure son maire.
Parcours-cathédrales
Qui dit recherche d'attractivité touristique dit concurrence entre les territoires. Les villes-cathédrales en sont conscientes, mais estiment qu'elles ont aussi tout à gagner à collaborer. Le réseau a mis en place des groupes de travail sur trois thématiques : la recherche des financements pour l'entretien et la restauration, le tourisme et les relations entre le propriétaire de la cathédrale (Etat ou commune notamment) et son affectataire (l'Eglise catholique). Pour aller plus loin, l'architecte-urbaniste Michel Cantal-Dupart suggère une sorte de parcours ou de "chaînage" destiné à relier les cathédrales françaises entre elles et à valoriser la spécificité de chacune. "Chaque cathédrale, dans votre réseau, doit donner le fil pour aller à la suivante", imagine-t-il, un brin lyrique. En attendant, le réseau a lancé le 26 juin un concours de photographie, sur le thème de "la cathédrale, 'objet' urbain".