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Les SEM locales sont "l’angle mort de la gestion publique", selon un rapport de la Cour des comptes 

Moins de 20 jours après l’adoption le 9 mai 2019 par le législateur d’une loi "tendant à sécuriser l’actionnariat des entreprises publiques locales", un rapport de la Cour des comptes pourrait conduire à remettre l’ouvrage sur le métier. Les magistrats estiment que "malgré son succès apparent", le modèle juridique et financier des SEM représente toujours un risque pour les collectivités territoriales, premières actionnaires de l’économie mixte. Trop de pluriactivité, trop investi dans le champ concurrentiel, le fonctionnement des SEM doit encore être sécurisé avertit la juridiction financière qui propose neuf recommandations. 

Dix-huit  jours après l’adoption, au Parlement de la loi visant à sécuriser l’actionnariat des EPL, un rapport de la Cour des comptes du 27 mai conclut que le modèle juridique et financier des sociétés d’économie mixte locales "présente des faiblesses et est porteur de risques" pour les collectivités locales. 74 % des SEM existantes ont été créées depuis 1983, dans le cadre des lois de décentralisation, rappellent les magistrats avant de souligner que "leurs évolutions, notamment le développement de la pluriactivité, les pratiques de filialisation ou de prises de participation dans des sociétés commerciales, génèrent des risques de nature financière, juridique ou opérationnelle, susceptibles de les mettre en danger [...]". 

Un contrôle tout relatif

Les SEM seraient "traditionnellement présentées comme des sociétés très contrôlées" mais la Cour est d'avis que l'effectivité et la portée de ces contrôles doivent être relativisées. "Ils sont peu assortis de sanctions et ne sont plus adaptés au fonctionnement actuel des SEM", selon elle. "Le manque de transparence à l’égard des assemblées délibérantes des collectivités actionnaires est patent, alors même que les SEM développent de plus en plus leurs activités en dehors du cadre et des objectifs qui avaient présidé à leur création", ajoute-t-elle. 

Les magistrats observent que "progressivement, la dynamique de développement des SEM les a éloignées de leurs finalités d’origine et les a conduites à intervenir de manière croissante comme des opérateurs privés, s’ouvrant ainsi à de nouvelles et multiples activités". Opérations pour des tiers non actionnaires, opérations pour compte propre, parfois en dehors du ressort territorial de leurs collectivités actionnaires, recours à des filiales ou à des prises de participations dans des entreprises privées ou d’autres SEM etc. "Elles sont devenues un moyen pour les collectivités d’intervenir dans le champ concurrentiel", pointent les magistrats.   

La pluriactivité, une "tendance lourde"

Alors que la pluriactivité avait un caractère exceptionnel dans l’esprit du législateur de 1983, le rapport établit que : 

  • 67 % des SEM déclarent exercer dans plusieurs domaines et
  • 43 % des SEM en pluriactivités ont trois activités ou plus. 

"La pluriactivité, dans une société qui globalise les ressources, permet en effet la compensation financière entre activités, avec le risque que les prix facturés aux collectivités et aux usagers soient déconnectés de leurs coûts de production", note la Cour. "Dans un tel schéma, des activités structurellement déficitaires peuvent être prises en charge par les revenus générés au titre d’autres activités structurellement bénéficiaires", poursuit-elle notant que le développement de la pluriactivité est aujourd’hui une "tendance lourde, revendiquée comme un axe majeur de développement par les professionnels du secteur". 

On apprend par ailleurs que les secteurs de l’aménagement et de l’immobilier sont ceux disposant du nombre le plus important de SEM cumulant plusieurs activités. "Ce sont des domaines où les marges sont réputées faibles, ce qui peut conduire les SEM à rechercher des activités rémunératrices, au risque d’investir le champ concurrentiel ou de développer des activités dans une logique de complémentarité financière", redoutent les magistrats qui rappellent toutefois les critères qui rendent l’exercice de plusieurs activités non contestable :

  • intérêt public local ;
  • complémentarité entre activités posé par le CGCT ;
  • correspondance entre l’objet social de l’entreprise et les compétences détenues par
  • l’ensemble des collectivités et groupements actionnaires ;
  • individualisation comptable des opérations pour les SEM immobilières ;
  • soutenabilité du modèle économique ne reposant pas sur une logique purement financière de compensation entre les différentes activités d’une SEM.

La Cour souligne que c'est ce dernier critère, précisément, qui risque d’être détourné. "En exerçant plusieurs activités, une SEM peut dégager des synergies entre différents métiers proches ou contra-cycliques, ce qui lui permet d’amortir ses frais de structure et d’améliorer sa compétitivité", constatent les magistrats qui estiment pour autant que "la multiplication des activités ne doit pas se traduire par des prestations rendues aux usagers de moins bonne qualité ou à un prix plus élevé, destinées à en compenser financièrement d’autres". "Une telle pratique [...] peut soulever des difficultés en termes de transparence de la démocratie locale", mettent en garde les magistrats.  

Des filiales non soumises au CGCT

Autre angle d’attaque de la Cour : les filiales et les prises de participation. Très présentes dans les secteurs de l’immobilier et de l’aménagement, elles permettent le développement de la pluriactivité.  Environ 300 SEM disposent d’au moins une filiale et/ou 429 d’une participation, a relevé la Cour qui estiment que "ces filiales sont mal connues des collectivités actionnaires et sont potentiellement porteuses de risques financiers".
Les magistrats craignent que leur développement ne fasse peser un risque d’actionnaire sur les collectivités membres sans qu’elles en aient pleinement la connaissance ou même la conscience. "Ce risque nécessite que les collectivités et groupements se dotent des compétences et des moyens suffisants pour suivre et expertiser les projets portés par leurs SEM. C’est une condition essentielle pour qu’elles jouent leur rôle d’actionnaire actif et vigilant", insistent les magistrats, qui rappellent que les filiales et participations ne sont pas soumises aux dispositions du CGCT. La Cour va même jusqu’à s’interroger "sur le principe même d’autoriser les SEM à constituer des filiales et prendre des participations".  

Actionnariat, seulement environ 20% pour le privé

Une autre idée à laquelle la Cour tord le cou est celle de la mixité de l’actionnariat. "La composition constatée de l’actionnariat des SEM reflète la faible présence d’actionnaires privés dans ce secteur." Ainsi, poursuivent les magistrats, "en 2018, le montant consolidé du capital social des 925 SEM, qui s’élève à 4,6 milliards d’euros, est détenu à 79% par des actionnaires relevant de la sphère publique : 

  • 63 % par des collectivités et leurs groupements, 
  • 16 % par d’autres acteurs relevant de la sphère publique comme la Caisse des dépôts et consignations ou les organismes consulaires, 
  • voire même d’autres SEM". 

La Cour attire l’attention sur le fait que "la part laissée au secteur privé est modeste pour une économie à caractère mixte, de l’ordre de 20%".  

La loi de mai 2019 ne sécurise pas assez, selon ce rapport 

Moins de 20 jours après l’adoption par le législateur, le 9 mai 2019, d’une loi "tendant à sécuriser l’actionnariat des entreprises publiques locales", le rapport de la juridiction financière remet en cause la sécurisation de l'actionnariat des EPL. Cette loi, présentée par le sénateur Hervé Marseille (UC, Hauts-de-Seine), vice-président de la fédération des EPL, qui autorise les collectivités à participer au capital d’une SEM dès lors qu’elles détiennent une des compétences correspondant à l’objet social de la SEM, ne suffit pas, d’après la Cour des comptes. Elle considère que ce nouveau cadre juridique ne traite ni le défaut d’information des actionnaires ni la faiblesse des contrôles des SEM ni les nouvelles contraintes du droit communautaire. C’est pourquoi la Cour considère que les collectivités doivent privilégier, autant que faire se peut, le recours aux SPL et aux Semop pour porter leurs projets. Ces deux types de structures paraissent également juridiquement plus sûres en ce qui concerne le droit européen pour le travail en quasi-régie, avancent les magistrats.

Un champ concurrentiel en extension

Enfin, la juridiction financière rappelle que les chambres régionales des comptes, dans leurs contrôles, constatent de manière générale une extension du champ d’intervention des SEM, "alors que la réglementation de l’intervention des collectivités territoriales dans le champ concurrentiel n’a pas évolué". Elle préconise donc que le développement des SEM en ce domaine soit mieux encadré, "surtout lorsque leur champ d’intervention ne se fait plus dans une logique d’ancrage territorial ou d’intérêt public local mais dans une démarche de concurrence avec le secteur privé".   

Les neuf recommandations de la Cour 

  1. Mettre en place, sur le plan national, un dispositif statistique indépendant de suivi et d’évaluation des SEM, de leurs filiales, directes et indirectes, et de leurs participations, fondé sur des obligations déclaratives dont la méconnaissance serait sanctionnée (recommandation déjà formulée dans le référé de la Cour de 2017, non mise en œuvre, ne peut donc qu’être réitérée) ;
  2. Aligner le régime juridique de transmission des actes des SEM relevant du droit à l’information de l’autorité préfectorale sur celui des actes de leurs collectivités ou groupements actionnaires afin que ces actes ne soient exécutoires que s’ils ont été transmis au représentant de l’État ;
  3. Prévoir que les actes pris par le conseil d’administration ou de surveillance d’une SEM, en l’absence des délibérations préalables des collectivités et groupements actionnaires prévues par le CGCT, soient dépourvus d’effet juridique à l’identique de la disposition déjà prévue pour les statuts (article L. 1524-1 du CGCT) ;
  4. Rendre obligatoire la présentation du rapport d’observations définitives d’une CRC au conseil d’administration ou de surveillance d’une SEM sur le modèle en vigueur pour les collectivités territoriales ;
  5. Étendre aux SEM l’obligation de compte rendu des actions entreprises à la suite des observations formulées par une CRC, établie par l’article L. 243-9 du code des juridictions financières, et rendre obligatoire la transmission de ce compte-rendu aux collectivités et groupements actionnaires de la SEM avec obligation pour leur assemblée délibérante de délibérer sur celui-ci et d’adresser cette délibération à la chambre régionale des comptes ;
  6. Modifier le CGCT en vue d’enrichir le rapport du mandataire à l’assemblée qui l’a désigné, de données relatives à l’activité passée et à venir de la SEM ainsi que sur les risques correspondants pesant sur la collectivité actionnaire, et de l’intégrer au rapport d’orientations budgétaires de la collectivité ou du groupement actionnaire ; 
  7. Prévoir, dans la mesure où les SEM ou leurs filiales, par leurs missions et par la structure de leur capital sont comparables aux entreprises publiques, un régime de plafonnement similaire à celui de l’État pour les titulaires des postes dirigeants non élus (recommandation déjà formulée dans le référé de la Cour du 15 juin 2017). 
  8. Ouvrir, par une disposition au CGCT, les droits d’information et de contrôle de l’actionnaire, prévu par le code de commerce, aux membres des assemblées délibérantes des collectivités et groupements actionnaires, ou, en cas de secret protégé par la loi, aux membres d’une commission constituée à cette fin. Dans ce cas, elle pourrait être exercée individuellement par les membres d’une commission spéciale chargée du contrôle des SEM dont la collectivité est actionnaire. Cette commission serait alors composée de l’ordonnateur de la collectivité, ou de son représentant, et de membres de l’assemblée délibérante de telle sorte que chaque groupe politique y soit représenté ; 
  9. Utiliser, à l’issue de son analyse, à plein les possibilités offertes par les statuts de SPL et de Semop, dans la mesure où ils ont été créés pour tenir compte du droit européen en conservant la souplesse d’utilisation qui était celle des SEM à l’origine. Toutefois, pour transformer une SEM en SPL, il convient d’envisager un dispositif législatif qui permette de valoriser le transfert d’actions entre collectivités évitant tout blocage (cf. supra chapitre I – II.D). Un tel dispositif est prévu s’agissant de transformations en Semop ; il peut être étendu ou adapté au cas des SPL.