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Les risques naturels dans les outre-mer sous l'œil du Sénat

La délégation sénatoriale aux outre-mer a examiné et présenté le 24 juillet le premier volet de son rapport d'information sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer. Fruit de six mois de travail, avec au compteur trois cent experts entendus et soixante recommandations formulées, il nourrira sans nul doute la réflexion à mener dans la perspective d'un projet de loi sur la prévention et la protection contre les risques naturels outre-mer annoncé pour l'été 2019 par le président de la République. Ses préconisations sont fortes et documentées. Il recommande ainsi de mettre à niveau les dispositifs territoriaux existants, notamment les outils de planification, mais aussi de muscler la capacité d'anticipation, de prévention et de rendre plus robustes les conditions de gestion de crise et de mobilisation du fonds Barnier.

"La culture du risque est ancrée dans les outre-mer. Mais il faut la réveiller, l'activer pour répondre à la nécessité d'un urgent rattrapage." C'est l'un des constats faits par le sénateur LR de Saint-Barthélemy Michel Magras, qui préside la délégation sénatoriale aux outre-mer à l'initiative d'un épais rapport d'information sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer présenté ce 24 juillet à Paris. L'enchaînement fin 2017 des ouragans Irma, José et Maria - "du jamais-vu en quelques jours aux Antilles" a souligné la ministre des outre-mer, Annick Girardin - a convaincu de l'intérêt de cette étude couvrant les onze territoires ultramarins habités et formulant des propositions concrètes.

Libérer la parole

Cette délégation mène en effet sur deux ans un travail de fond sur le sujet, multiplie à distance en visioconférence ou sur place les auditions, les rencontres avec des experts et élus locaux, des représentants civils et militaires de l'État, des opérateurs scientifiques, acteurs associatifs ou représentants de médias, et se prévaut d'avoir "libéré la parole" à plusieurs niveaux, dont le plus haut en termes de gouvernance et de commandement.
Loin de tirer à tout-va le signal d'alarme, elle analyse l'efficience des dispositifs en place et sonde la situation de chaque territoire : "Ils sont très différents en termes de niveau de développement, de configuration géographique ou topographique, de régime statutaire et institutionnel mais aussi d'exposition aux risques. Certains comme la Martinique et la Guadeloupe sont avancés en termes de planification et d'autres plus délaissés. D'où l'intérêt d'une investigation méticuleuse menée au plus près des acteurs impliqués au sein des collectivités, de l'État et de la société civile", complète Michel Magras.
Le second volet de ces travaux sera présenté l'an prochain. Il portera sur les enjeux de reconstruction et d'organisation de la résilience de ces territoires exposés à des aléas multiples, parfois cumulatifs et liés à la géologie (risque volcanique, risque sismique très présent), au climat (inondations, tempêtes, feux de forêt) ou à l'exposition littorale (submersions marines, tsunamis).

Vulnérabilité croissante, déploiement inégal des plans

"Les risques naturels majeurs ne se réduisent pas dans nos territoires aux cyclones. Nous sommes impactés à divers degrés par d'autres risques. Cette vulnérabilité croissante est accentuée par le réchauffement climatique. Nos territoires sont comme des sentinelles du réchauffement climatique", poursuit Michel Magras.
Côté planification, la mise en application des plans de prévention des risques naturels (PPRN), qui revient aux collectivités autonomes dans les cas de Saint-Barthélemy et de la Polynésie, reste embryonnaire en Nouvelle-Calédonie. C'est plus flou encore à Wallis-et-Futuna où nulle disposition relative à la prévention des risques naturels n'est applicable, les aléas n'y sont pas cartographiés et aucune contrainte relative à l'aménagement, au littoral ou à l'évacuation d'habitations ne vaut "sur ces terres coutumières". Des plans de prévention des risques littoraux (PPRL) sont en cours d'approbation ou de révision à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin. L'enquête publique du PPRI de Guyane est attendue à la rentrée. La Réunion est bien dotée en PPRN inondations et mouvements de terrain mais pas Mayotte, où ils sont en train d'être concertés dans les communes de l'île.
Quant au plan submersions rapides (PSR) engagé après Xynthia et dont certaines actions devaient être mieux adaptées aux outre-mer, le constat n'a pas évolué depuis 2016 et le rapport de l'administration publié sur le sujet (voir notre article dans l'édition du 3 mars 2016). Des programmes d'actions de prévention contre les inondations (PAPI) sont néanmoins en cours à Saint-Martin et La Réunion. Le problème d'accès au foncier, la pénurie de terrains rendent peu aisé le relogement des populations exposées à des risques naturels. Les maires font face à des blocages et ce malgré un dispositif d'aide au relogement instauré par la loi Letchimy mais qui reste difficile à mobiliser (seulement deux cas d'application).
Pour préparer l'urgence, le plan communal de sauvegarde (PCS) reste l'outil fondamental, mais trop peu de PCS sont rédigés et actualisés dans les outre-mer, malgré un effort d'accélération en Nouvelle-Calédonie et l'exemplarité martiniquaise.

Fonds Barnier : ne pas s'accommoder de la situation

La délégation sénatoriale consacre une partie de son rapport et une série de recommandations au fonds Barnier, activable dans ces territoires mais en fait "difficilement mobilisable" et capté pour plus de la moitié des crédits dépensés par le plan séisme Antilles, essentiellement pour financer des études et travaux commandés par les collectivités. "Il y a un enjeu d'ingénierie, pour solliciter le fonds Barnier et monter des projets de travaux de prévention, les personnels font défaut dans les municipalités", pointe l'un des rapporteurs de cette mission, le sénateur LR de l'Ardèche Mathieu Darnaud.
Autre blocage mentionné, la mécanique du fonds Barnier qui semble ne pas pencher en faveur des projets d'ouvrages et constructions provisoires, pourtant adaptés dans les outre-mer en cas de sécurisation, de mise en sécurité immédiate d'une école par exemple. "Par ailleurs il n'est pas tenu compte de la situation financière des collectivités. Elles peinent à fournir la contribution financière complémentaire qui est généralement de l'ordre de 20% de la valeur du projet. Résultat, les projets ne sont pas réalisés et un retard important a été pris nécessitant un rattrapage rapide et massif", ajoute le rapporteur.
Pour ce faire, la délégation propose de dynamiser ce fonds pour qu'il remplisse ses objectifs outremer en créant en son sein une section propre aux outre-mer, assortie de conditions d'éligibilité assouplies, et de faire bénéficier les collectivités d'un appui en ingénierie pour le montage  - voire la gestion - des dossiers notamment par l'Agence française de développement (AFD). Les ressources semblent disponibles et les sénateurs ont obtenu du gouvernement un chiffre : une trésorerie disponible en début d'année de 200 millions d'euros.
Des moyens d'actions sont donc possibles, l'État se doit d'aller au-devant des projets qu'il sait nécessaires, pressent les sénateurs, qui proposent également de revenir sur le plafonnement des ressources de ce fonds. Un point est par ailleurs fait sur le faible rythme de réalisation du plan séisme Antilles : les financements prévus sont sous-utilisés en raison d'un nombre de projets portés par les collectivités que le ministère estime insuffisant. Les rapporteurs relèvent une autre lacune, la faible prise en compte du bâti de l'État dans le champ de ce plan séisme, et conseillent de mobiliser davantage le fonds Barnier pour la mise aux normes sismiques de ce bâti.

Alerte de masse et plans sirène

La ministre des outre-mer, Annick Girardin, a souligné lors de l'examen du rapport l'importance de l'information lors de la survenance d'un aléa et le sentiment de déconnexion vécu par les habitants. Signalétique d'évacuation en cas de tsunami, actualisation des documents d'information communaux et territoriaux sur les risques (Dicrim et Ditrim), messages éducatifs et préventifs notamment dans les lieux touristiques et les médias locaux : les recommandations sénatoriales sont nombreuses. Pour renforcer les moyens d'anticipation et d'alerte ils proposent d'engager un "plan sirènes". Ce moyen d'alerte de masse est jugé indispensable. Mais le déploiement de sirènes de nouvelle génération patine. Si une nouvelle vague d'installations est prévue aux Antilles, là aussi Mayotte et Wallis-et-Futuna sont plus démunis.
Le recours aux alertes téléphoniques reste aussi à mieux "calibrer selon le contexte territorial". Des propositions concrètes sont aussi faites concernant la mise à l'abri des populations (construction d'abris de survie cycloniques en Polynésie française) et les dispositifs de secours. Ils suggèrent d'étudier la pertinence de nommer des préfets délégués pour la sécurité et la défense afin d'assister et conforter les préfets de zone (recommandation n° 37). Ou encore de créer un régime juridique d'état d'urgence calamité naturelle, comme il en existe en Nouvelle-Zélande, "afin de mieux asseoir l'autorité du représentant de l'État". Dans chaque territoire devrait être idéalement instauré une Semaine des risques naturels pour "susciter l'adhésion du plus grand nombre avec des exercices grandeur nature, des partenaires des pays voisins et des exercices en milieu scolaire et dans l'entreprise".
Pour renforcer la dimension collective de la gestion de crise, la légitimité des exécutifs territoriaux à être représentés au sein des centres opérationnels des préfectures doit être reconnue, car ils sont des "relais de poids dans les territoires, offrant une audience renforcée aux messages publics". Enfin, pour que cette association des élus des collectivités se mue en un partenariat durable, le rapport propose d'organiser chaque année un séminaire territorial des risques naturels réunissant les principaux acteurs de la sécurité civile et des secours.