Les PPRT confrontés à la force de l'habitude et aux fins de mois difficiles
Dans le cadre des "Rendez-vous majeurs", co-organisés le 20 mai par l'Association des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris), le ministère de la Transition écologique et Ineris, une table ronde a notamment été consacrée au bilan des plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Si tous les sites concernés – ou presque – sont désormais couverts, les mesures prescrites restent, elles, peu usitées. Surtout sans une action déterminée des collectivités.
"Le PPRT, c'est la cerise sur le gâteau de la prévention des risques". En ouvrant les débats de la table ronde consacrée au bilan des plans de prévision des risques technologiques (PPRT) – dans le cadre des "Rendez-vous majeurs", co-organisés le 20 mai par l'Association des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris), le ministère de la Transition écologique et Ineris – c'est peu dire que Philippe Merle, chef du service des risques technologiques à la direction générale de la prévention des risques au ministère de la Transition écologique, a pris l'auditoire – virtuel – et ses co-intervenants à contre-pied. Il entendait souligner ici que le PPRT ne constituait "pas un but en soi", mais l'ultime recours – "faire en sorte qu'il y ait le moins de gens autour de l'usine" – d'une démarche devant commencer "bien en amont", visant à prévenir et minimiser les risques à la source. Pour autant, il s'est félicité que seuls "5 PPRT sur 389" n'aient pas encore été approuvés – évoquant un site dans le Pas-de-Calais, un en Corse, deux dans les Bouches-du-Rhône et un site militaire –, chiffres qui rejoignent ceux transmis par le ministère à la commission d'enquête sénatoriale sur l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen dont le rapport a été rendu public en juin 2020 (lire notre article). Toujours selon le ministère, cité dans ce rapport, les PPRT concernent environ 800 communes. 630 biens (logements et activités) sont fortement exposés et ciblés par des mesures foncières d’expropriation ou de délaissement, et environ 16.000 biens privés, essentiellement des logements, font l'objet de prescriptions de travaux.
Faibles mises en œuvre des expropriations, délaissements et travaux
Au regard des enjeux, l'image du gâteau est restée sur l'estomac. Comme d'autres phrases du représentant du ministère, d'ailleurs. Ainsi de son "Braderie avant fermeture définitive", lancé en évoquant le fait que les aides octroyées aux riverains afin de procéder aux travaux prescrits n'étaient pas vouées à durer éternellement (pour les PPRT conclus avant 2016, le dispositif a été prorogé jusqu'au 31 décembre 2023 par la loi de finances pour 2021). Philippe Merle déplore que les personnes éligibles ne s'en saisissent pas. Plus largement, il relève que sur les 165 expropriations prescrites, 60 seulement ont été mises en œuvre, que seuls un tiers des propriétaires de logement et 33 entreprises sur 183 ont délaissé leur bien et que seuls 1.300 logements environ ont bénéficié des travaux de renforcement du bâti prescrits par les PPRT, "sur un peu plus de 15.000 concernés". Pourtant, estime-t-il, "le reste à charge n'est que de 10%". Dans ce cadre, un financement quadripartite est en effet prévu entre État (un crédit d'impôt de 40%), collectivités (25%), industriels à l'origine du risque (25%) et propriétaire pour le solde (travaux dans la limite de 10% de la valeur vénale du bien et plafonnés à 20.000 euros).
Attachement et fins de mois difficiles
Au contact direct "et quotidien" des personnes concernées, Alban Bruneau, maire de Gonfreville-L'Orcher et élu de Le Havre Seine Métropole, n'est lui nullement surpris par ces résultats – le problème est connu de longue date (v. notre article de 2012). "Pour beaucoup de personnes, leur maison, c'est toute leur vie. En outre, si beaucoup sont prêts à entendre qu'on puisse leur imposer des travaux, ils n'acceptent pas que cela soit à leurs frais, puisqu'ils estiment ne pas être à l'origine du problème. Enfin, certains n'ont tout simplement pas les moyens financiers de réaliser de tels travaux, même en tenant compte des aides". Sa commune compte 290 logements concernés par de telles mesures. "Environ 40% ont réalisé des travaux, et 30% supplémentaires les ont engagés", estime-t-il. Un résultat que l'élu explique par un engagement de tous les instants de sa collectivité. "Si les travaux bénéficient d'un crédit d'impôt à hauteur de 40%, beaucoup d'habitants ne pouvaient avancer la somme. La commune leur a donc fait l'avance". Philippe Merle rappelle que pour pallier cette dernière difficulté, le ministère de la Transition écologique a signé, l'an dernier seulement, une convention avec le réseau Procivis afin d'assurer ce préfinancement, sous conditions. Un dispositif qui, en outre, n'est "pas opérationnel partout".
Les collectivités en première ligne
Philippe Merle confirme également que pour que le dispositif "marche, il faut que ce soit porté au niveau local. Les collectivités territoriales doivent être en première ligne dans le travail de sensibilisation", affirme-t-il. Pour les convaincre de jouer pleinement leur rôle, ont également été évoqués au cours des débats les risques pour ces collectivités de voir leur responsabilité engagée (comme l'ensemble des acteurs concernés d'ailleurs) en cas de sinistre, dans le cas où elles n'auraient pas mis en œuvre l'ensemble des moyens à leur disposition – y compris le pouvoir de police du maire, insiste Soraya Benabdessadok, avocate au barreau de Lyon. Là aussi, le risque zéro n'existe pas.
Côté riverains, les incompréhensions restent nombreuses. S'ils entendent l'interdiction de nouvelle construction, le fait de ne pas pouvoir agrandir celles existantes les laisse parfois circonspects. Le fait que la procédure de "porter à connaissance" n'offre pas de dispositif d'accompagnement similaire est également source de mécontentement, "alors que les risques sont les mêmes", souligne l'un des auditeurs en commentaire.
Force de l'habitude
Intervenant dans la table ronde consacrée aux plateformes industrielles, Pierre Athanaze, vice-président de la métropole de Lyon, a également fait part de la "difficulté à enclencher les travaux". Il pointe pour sa part "beaucoup d'ignorance et le manque de culture du risque" des habitants, habitués à "vivre avec" – même si, souligne Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, "les PPRT ont contribué à l'acculturation des risques".
Interrogé sur l'éventuelle saturation des habitants face à l'implantation de nouvelles industries favorisée par ces plateformes, l'élu lyonnais réfute tout "problème d'acceptation des habitants", qui "demandent de l'emploi". Pierre Athanaze insiste en outre sur le fait que ces sites, qui "font vivre le territoire, ne sont pas déconnectés de la vie de la cité. Ce ne sont pas que des lieux de travail, mais aussi des lieux de vie. La vallée de la chimie, qui existe depuis un siècle et demi, c'est 12.000 salariés et 26.000 personnes dans la zone PPRT", rappelle-t-il. "Et puis, à quoi cela servirait-il d'installer une nouvelle installation à 50 km ? Cela ne ferait qu'engendrer des problèmes de transport", remarque-t-il. L'élu estime d'ailleurs plus généralement que les plateformes sont "un atout pour faciliter la transition écologique", qui constitue selon lui le véritable enjeu pour les habitants. "Pas les risques d'accident, mais la pollution" – même s'il relève que "la pollution, c'est toujours la faute des autres".
Nicolas de Warren tempère néanmoins le constat, notant "parfois une contestation du caractère trop institutionnel des instances de concertation. Spontanément, le dialogue n'est pas toujours fluide. Peut-être faut-il des formes de concertation plus souples ?", s'est-il interrogé, tout en confessant que "des instances institutionnelles sont plus confortables pour les exploitants".