Archives

Innovation - Les pôles de compétitivité à l'heure de la fusion

Après l'évaluation de 2008, les pôles de compétitivité tentent de se réorganiser pour mieux réussir leur pari. Certains changent de gouvernance, d'autres fusionnent. Ils doivent aussi faire face au désengagement progressif de l'Etat, que les collectivités locales ne sont pas toujours prêtes à compenser.

Si en trois ans les projets des 71 pôles de compétitivité ont afflué, l'audit réalisé l'an dernier a remis un peu d'ordre et permis, le cas échéant, de corriger le tir. En témoigne l'expérience du pôle de compétitivité Sciences et systèmes de l'énergie électrique, le S2E2 de Tours, initié par ST Microelectronics. Il figure parmi les treize pôles que les cabinets Boston Consulting Group et CM International invitaient à "reconfigurer en profondeur". Il s'en est fallu de peu que le projet soit abandonné dès lors qu'il ne constituait, comme on a pu l'entendre chez ST, "qu'un aspirateur à subventions". Mais un changement de gouvernance a suffi à le relancer. Les travaux engagés, ne serait-ce que ceux liés à la consommation des appareils électroniques en veille et destinés à économiser l'équivalent d'une tranche de réacteur nucléaire, prouvent l'intérêt des recherches. La manoeuvre a été exécutée, avec la nomination d'un patron de PME décidé, Thierry Allard, qui a su rassembler soixante-quinze entreprises intéressées, dont deux tiers de petites sociétés.
Alors que le grand nombre de pôles français a souvent été critiqué, des rapprochements sont aussi en train de se mettre en place, à l'image de la fusion entre les pôles Mipi (Matériaux innovants, produits intelligents) et P2MI (Procédés de mise en oeuvre des matériaux innovants). Le rapprochement de ces deux pôles, situés dans deux régions différentes, la Lorraine et la Champagne-Ardenne, a permis de faire émerger un leader de la transformation de métaux, composé de quinze centres régionaux et de 130 membres industriels et académiques, et entretenant des liens avec la Russie, le Canada et le Japon. "C'est une évolution particulièrement intéressante pour la Lorraine et plus généralement pour le Grand Est, terre historique de la métallurgie", explique volontiers Patrick Abate, vice-président du conseil régional de Lorraine. Un fonds spécialisé de 20 millions d'euros a été dégagé pour financer les développements. "Il faut maintenant que toutes ces entités impliquées se croisent afin de mettre en place cette politique de cluster qui n'est pas encore inscrite dans notre culture", poursuit l'élu.

 

Vers un désengagement de l'Etat ?

Des rapprochements pour éviter la disparition des pôles trop petits ou trop faibles ? "C'est une bonne formule, explique Philippe Bassot, vice-président de CM International. Cela permet à certains pôles qui n'avaient pas le potentiel de l'élargir et de jouer sur une dynamique de projets collectifs, et puis certains pôles sont sur des sujets parfois très proches, comme les pôles EMC2 et Bretagne, qui travaillent sur les matériaux appliqués au naval, l'un sur l'amont, l'autre sur l'aval ; faire des rapprochements est alors une bonne idée." Mais la stratégie a parfois ses limites. "Le pôle de compétitivité Mov'eo, qui est situé sur plusieurs territoires, est parfois obligé de répondre à des stratégies territoriales pas toujours cohérentes entre elles, souligne Philippe Bassot, il risque de passer du temps à répondre à des logiques de développement local au détriment de son développement national et international."
Autre intérêt de ces rapprochements : un investissement financier plus important de la part des collectivités. "Le fait d'asseoir son financement sur plusieurs collectivités est intéressant, assure ainsi Philippe Bassot, puisque l'Etat se désengage petit à petit financièrement de cette politique." Dès 2009, le désengagement de l'Etat est en effet programmé. Si l'enveloppe d'1,5 milliard d'euros a été renouvelée pour la politique des pôles de compétitivité sur la période 2009-2011, les crédits du Fonds unique interministériel (FUI), qui permettent de financer les projets de recherche et développement des pôles, sont quant à eux en diminution. Le FUI bénéficie ainsi d'un budget de 600 millions d'euros contre 830 millions lors de la précédente programmation. La différence devra donc être compensée par les agences (ANR, Oséo) et la Caisse des Dépôts. "Le désengagement de l'Etat nous pend au nez", assure Philippe Bassot. Et dans cette logique, la réaction des collectivités est variée, "soit elle décide qu'un euro en moins de l'Etat va correspondre à un euro en moins chez elle, soit elle décide au contraire de prendre le relais". Certaines hésitent même à afficher les projets qu'elles souhaitent soutenir pour éviter de ne pas recevoir de financement de la part de l'Etat.

 

"On ne compensera pas"

Les régions ne sont pas les seules sur la sellette. Le conseil général de l'Isère, l'un des plus impliqués dans l'innovation, finance l'animation des pôles, à hauteur de 68.000 euros par an, et participe aussi au financement des projets collaboratifs de recherche et développement issus des pôles. 27 millions d'euros ont ainsi été investis par la collectivité en 2007 sur 52 projets. Pour autant, il n'est pas prêt à prendre le relais de l'Etat. "On ne compensera pas, d'abord c'est une question de principe, il y a un trop grand nombre d'années où on n'a fait que se substituer aux carences de l'Etat, explique ainsi Erwann Binet, vice-président du Conseil général de l'Isère, chargé du développement économique et de la recherche, ensuite, on ne peut plus car on est en train de vivre un tsunami social, le social est notre priorité." Le vice-président s'interroge aussi sur la pertinence de financer des pôles qui n'ont aucun ancrage territorial. "Certains pôles ont un vrai souci de développement de l'emploi local, d'autres n'ont aucun ancrage territorial et la présence des collectivités locales n'y est pas justifiée", détaille Erwann Binet. Mais désengagement de l'Etat ou pas, les pôles doivent poursuivre leur développement. Les cinquante-huit qui ont été confirmés à l'issue de l'évaluation de l'an dernier doivent notamment boucler leur contrat de performance 2009-2011. Ce document, demandé initialement par l'Etat pour fin mars 2009, doit leur permettre d'afficher clairement leur stratégie et les soutiens financiers qu'ils ont réussi à obtenir, de la part de l'Etat, des collectivités locales et du secteur privé. En juin, la signature avec l'Etat de ces contrats permettra d'y voir plus clair sur la part prise en charge par les collectivités et celle de l'Etat.

 

Emilie Zapalski