Territoires - Les pays dans la tourmente
Quel avenir pour les pays ? La question n'est pas d'hier. En 2006, le Sénat se la posait déjà, au moment du passage des contrats de plan aux contrats de projets entre l'Etat et les régions. Le maintien d'un volet territorial dans ces "CPER 2007-2013" a permis d'éclaircir leur horizon... pour sept ans. Mais la question resurgit au moment de la réforme des institutions territoriales. Ils deviennent l'une des cibles privilégiées du combat contre le "millefeuille territorial". "Supprimer progressivement les pays, en prévoyant un transfert de leurs activités aux intercommunalités." Au moins, le message est clair. Il est celui de la mission relative à la clarification des compétences des collectivités créée à l'Assemblée, qui en a fait l'un des dix principes affichés dans son rapport du 8 octobre dernier. "Les pays, affirment les députés, ont évolué vers une institutionnalisation qui risque à terme d'aboutir à la création de fait d'un nouvel échelon administratif. Dans la perspective d'une couverture intercommunale complète du territoire, les pays auront rempli leur mission et, de ce fait, cessé d'être utiles."
Certes, cette proposition n'a pas été sans poser de question. Ainsi, lors de l'examen de ce rapport, Jean-Michel Clément, député de la Vienne, observait que "si certains pays ont été créés par défaut, d'autres sont pertinents et très utiles", qu'il "apparaît que le pays est l'échelon pertinent pour devenir l'interlocuteur de l'Etat" et que "dans les faits, les pays sont souvent des regroupements d'EPCI".
D'ailleurs, Hubert Falco lui-même, lors d'une audition en juillet dernier par ces mêmes députés, laissait une ouverture : "Il faut évaluer les pays au cas par cas et laisser avancer ceux qui obtiennent des résultats", affirmait-il. Le 15 octobre dernier pourtant, sur Public Sénat, le secrétaire d'Etat à l'Aménagement du territoire, imaginant un vaste "échelon territorial" rassemblant EPCI et départements, répondait que dans un tel schéma, "oui, les pays disparaissent".
Des "Scot exemplaires"
C'est dans ce contexte plein d'incertitude que l'Association pour la fondation des pays (APFP), l'Union nationale des acteurs et des structures de développement local (Unadel) et l'Assemblée des communautés de France (ADCF) se retrouvent les 27 et 28 octobre à Caen, pour les deuxièmes Etats généraux des pays, trois ans après la première édition. Objectif : engager une réflexion collective sur la façon dont les pays peuvent mieux s'affirmer, au moment de la montée en puissance des Scot (schémas de cohérence territoriale), créés en 2000. L'inquiétude est venue d'une circulaire du 27 mai 2008 dans laquelle le secrétaire d'Etat à l'Aménagement du territoire demandait aux préfets "d'engager un travail de sensibilisation et d'accompagnement des communes et des intercommunalités" en matière d'aménagement de l'espace "à l'échelle des bassins de vie et en particulier, quand ils existent, à l'échelle des Scot".
Les pays craignent de se voir dilués dans les Scot (voir ci-dessous), d'autant que l'engouement du gouvernement pour ces derniers vient d'être confirmé. A l'occasion des 29es rencontres de la Fédération nationale des agences d'urbanisme au Havre, jeudi 23 octobre, Hubert Falco a lancé une opération "Scot exemplaires". Il s'agit de créer une sorte de laboratoire autour d'une dizaine de Scot en cours de préparation et sélectionnés pour leur exemplarité. Exemplarité en termes de périmètre (Scot transfrontalier, périmètre "à cheval" sur plusieurs régions ou départements) ou de développement durable (restructuration forte à anticiper, prise en compte des enjeux de l'étalement urbain, impact du littoral, biodiversité...). Ces Scot auront vocation à servir à "l'ensemble des responsables, sur tout le territoire".
Il y a deux ans, Jean François-Poncet, président de la délégation du Sénat à l'aménagement du territoire, expliquait qu'il fallait "avant tout préserver la nature informelle et la diversité des pays et sortir de l'idée jacobine que tout doit être normalisé". Une réflexion qui n'a jamais été autant d'actualité.
Claire Mallet et Michel Tendil
Trois questions à Emile Blessig, président de l'Association pour la fondation des pays
Localtis : Quels sont les enjeux de cette deuxième édition des Etats généraux des pays ?
Emile Blessig : Le sujet important pour les pays à l'heure actuelle, c'est la réforme des collectivités locales. On a trouvé une image : il faut réduire le millefeuille. Dans ce millefeuille, il y a trois niveaux : le rapport communes/intercommunalité, le rapport départements/régions et les satellites qui tournent autour de ces entités. Dans cet ensemble, les pays sont un peu en ligne de mire. Le gouvernement souhaiterait rapprocher les pays des schémas de cohérence territoriale (Scot), pour ne pas dire les intégrer aux Scot. Mais ce n'est pas si facile à mettre en place. Actuellement, seul 14% des pays ont un périmètre identique à celui des Scot, et deux cinquièmes seulement sont concernés par une démarche Scot.
Etes-vous opposé à ce rapprochement ?
E.B. : Le Scot est un outil de planification spatiale dont les enjeux juridiques sont énormes. Ce sont des outils très contraignants, car ils s'imposent aux communes et aux plans locaux urbains. Les pays sont quant à eux des territoires de projet. Ils ont une démarche radicalement différente de celle des Scot. Ils mènent une réflexion prospective sur les enjeux des territoires. Une réflexion sur laquelle les Scot devraient s'appuyer dans leur approche de l'organisation spatiale. De plus, ce sont des structures légères, soit association, soit syndicat, qui associent des élus et des représentants de la société civile, via les conseils de développement. Il n'y a pas d'opposition entre les deux démarches. Elles sont complémentaires. L'idée n'est pas de se battre pour des coquilles, mais de défendre les missions de chacune de ces démarches. Ce serait dommage par exemple de sacrifier les conseils de développement sur l'autel d'une simplification illusoire.
Dans ce contexte, que peuvent apporter les Etats généraux des pays ?
E.B. : Aujourd'hui, les deux vraies questions pour les pays c'est : quelle est leur valeur ajoutée et quel est leur avenir ? Il faut qu'on communique davantage sur ce qu'on apporte, sur notre plus-value. C'est le but de ces Etats généraux : sortir avec une feuille de route autour de laquelle l'ensemble des pays se réunissent et puissent argumenter auprès de leurs interlocuteurs.
Propos recueillis par Emilie Zapalski