Dumping social - Les marchés publics quasiment absents de la proposition de loi sur les travailleurs détachés
C'est la transposition d'une directive qui n'existe pas encore : la proposition de loi contre le "dumping social" votée mardi par les députés à une très large majorité est la traduction du compromis trouvé à Bruxelles, le 9 décembre dernier, sous l'impulsion de la France.
Ce compromis, qui renforce les règles de contrôle et de responsabilisation des donneurs d'ordre, doit se traduire dans une directive venant actualiser le texte de référence sur les travailleurs détachés : une directive qui date de 1996, avant donc l'entrée des pays de l'Est dans l'Union européenne.
Le compromis doit encore faire l'objet d'un accord du Parlement, sans doute dans les prochains jours, pour une entrée en vigueur en 2016. L'idée est de contrecarrer les contournements dont fait l'objet cette directive et qui créent des situations de concurrence déloyale, sachant que le recours aux travailleurs détachés a explosé ces dernières années, du fait de l'élargissement à l'Est. Ainsi en France, le nombre de travailleurs détachés est passé de 16.545 en 2002 à 230.000 en 2013. Mais si l'on y ajoute les travailleurs que les entreprises omettent de déclarer à l'administration, leur nombre serait plus proche de 350.000 selon certaines estimations.
La directive de 1996 prévoit que le travailleur détaché est embauché dans les conditions en vigueur dans le pays d'accueil (salaire, volume horaire…), mais qu'il reste affilié à la sécurité sociale de son pays d'origine pendant vingt-quatre mois. Or toutes sortes de dérives ont été observées, en France ou ailleurs. La crise bretonne a ainsi mis en lumière la concurrence déloyale des abattoirs allemands embauchant des travailleurs roumains ou bulgares payés quatre euros de l'heure... Les ruses sont nombreuses : certaines entreprises facturent aux salariés détachés des frais d'hébergement ou de nourriture pour compenser le salaire, d'autres recourent à des "boîtes aux lettres", permettant de bénéficier des meilleurs conditions de cotisations d'autres pays, sans parler des accidents non déclarés, des heures supplémentaires non payées, jusqu'au trafic d'êtres humains…
Sans attendre la réforme de Bruxelles, la proposition de loi "Savary" renforcera la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre par rapport à leurs sous-traitants, en instaurant un principe de "responsabilité solidaire". Ce principe, déjà présent dans le compromis de décembre, permettra de poursuivre un maître d'ouvrage ou un donneur d'ordre pour des fraudes commises par leur sous-traitant.
La proposition de loi se veut plus large que le compromis. Alors que celui-ci ne vise que le BTP où les infractions sont les plus fréquentes (les autres secteurs sont optionnels), là, tous les secteurs sont visés, y compris l'agro-alimentaire ou les transports. Ainsi, en cas de fraude relevée par l'administration (infractions aux libertés individuelles et collectivités, aux congés payés, aux congés de maternité, au Smic, à la durée du travail, aux discriminations hommes-femmes…), celle-ci en informera le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre qui devra aussitôt enjoindre sons sous-traitant de mettre fin à ces pratiques. Un amendement gouvernemental a élargi le principe de responsabilité solidaire aux conditions d'hébergement "incompatibles avec la dignité humaine". Pour tout manquement à son obligation d'injonction, le donneur d'ordre sera sanctionné dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. Plus encore, le texte prévoit de créer une "liste noire" des entreprises et des prestataires de services condamnés, dans ce cadre, à au moins 15.000 euros d'amende. Cette liste sera consultable sur le site du ministère du Travail. Les entreprises condamnées pour travail dissimulé ou travail illégal se verront en outre interdire toute aide publique de l'Etat ou des collectivités pendant au moins cinq ans.
Mais si le texte s'attache à sanctionner les dérives du détachement de travailleurs détachés, il ne donne pas d'outils pour intervenir en amont, notamment au moment des marchés publics où la règle du moins disant est encore la plus répandue. Seule disposition prévue dans ce domaine (article 8) : "Tout candidat à l'obtention d'un marché public doit être en mesure de justifier qu'il a souscrit un contrat d'assurance le couvrant pour cette responsabilité."
Les députés ont enfin ajouté un article sur les employeurs de chauffeurs routiers. Ils devront veiller à ce que leurs chauffeurs prennent leur repos hebdomadaire normal en dehors de leur camion, sous peine d'un an de prison et de 30.000 euros d'amende.
La proposition de loi sera soumise au Sénat en première lecture au mois d'avril.
Michel Tendil
Référence : proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.