Congrès des maires - Les maires prêchent dans le désert médical

La ministre de la Santé n'était pas au Congrès des maires, mercredi 21 novembre, pour entendre les nombreuses initiatives mises en place par les maires pour lutter contre la désertification médicale : centre médical de santé, cabinet éphémère, cabine de télémédecine... Alors que le plan Ma Santé 2022 (qui vise notamment à favoriser les regroupements de médecins) va se mettre en place, l'AMF présentera début 2019 un guide méthodologique aux associations départementales de maires.

Deux mois après la présentation du plan Ma Santé 2022, la ministre de la Santé, Agnès Buzyin, n’était pas présente au Congrès des maires mercredi 21 novembre alors qu’il y était question des "inégalités d’accès aux services essentiels de proximité". Dommage, car le débat a très largement tourné autour de la "désertification médicale", l’une des principales préoccupations des maires et de leurs administrés. Cette désertification est même l’une des illustrations de ces fractures territoriales dont il est tant question. Les raisons en sont connues : manque de recrutements, concentration des médecins dans les zones les plus riches, nombreux départs à la retraite... Avec pour conséquence un allongement des délais d’attente. Les mesures incitatives proposées depuis des années n’ont pas endigué le phénomène : aujourd'hui, 148 cantons n’ont plus de médecin généraliste, contre 91 en 2010. Et 47% des médecins ont plus de 60 ans, contre 27% en 2007, selon le dernier atlas du Conseil national de l'ordre des médecins. "L’urgence est terrible", a témoigné depuis la salle le maire de Saint-Julien-sur-Sarthe (Orne), Antoine Perrault, qui, après avoir été quarante ans "médecin de campagne", vient de prendre sa retraite et rencontre beaucoup de difficulté à trouver un successeur. Selon lui, le plan gouvernemental comprend "des mesures intéressantes", mais "il ne répond nullement à l’urgence" car la suppression du "numerus clausus" (le quota d’admissions d’étudiants en deuxième année de médecine) à compter de 2020 "ne produira des effets que dans dix ans", le temps de formation des médecins. Lui propose de limiter la durée des remplacements à deux ans. Et si, en début de semaine, François Baroin avait déclaré qu’en outre-mer, les problèmes de la population sont les mêmes "fois 3, fois 4", on en a une illustration avec la situation médicale en Guyane, où 17 médecins urgentistes sur 32 ont récemment démissionné pour dénoncer leurs conditions de travail (plus de 70 heures de travail par semaine), a indiqué Maria Boceno, maire de Mana, une ville de 10.000 habitants. Elle a aussi dénoncé des incongruités : lorsqu'un patient fait un infarctus, il est envoyé en Martinique. "C’est comme si un Parisien était amené vers Moscou", s'est-elle offusquée. Enfin, 17% de la population guyanaise n’a pas accès à l’eau potable : "C’est quand même énorme, 46.000 habitants en Guyane n’ont pas l’eau."

Guide méthodologique

"La situation est très critique, le monde brûle chez nous au niveau de l’accès au soin", a confirmé Bernard Vauriac, qui co-anime la commission Santé de l’AMF. Face à ces nombreuses remontées de maires, "il n’y a pas une solution", a-t-il commenté. 
Début 2019, l’AMF fournira aux associations départementales de maires "un fil rouge", une sorte de guide méthodologique pour permettre aux maires d’entrer en relation avec les institutions et les professionnels de santé. "Il ne faut pas laisser aux ARS le soin de le faire seules. La santé ne fait pas partie de nos compétences naturelles. Par contre, si nous ne faisons pas le lien, si nous n’agissons pas, si nous ne réunissons pas les gens, il y a des chances que rien ne se fasse", a encore déclaré le maire de Saint-Jory-de-Chalais, par ailleurs président de l’Association des maires de Dordogne.

Le plan Ma Santé 2022, qui s’accompagnera d’un projet de loi début 2019, ne comporte pas de mesures coercitives, comme le réclamaient certains élus. Le gouvernement a par exemple annoncé que 400 médecins généralistes seraient salariés dans les zones en manque cruel de médecins. Il souhaite aussi pousser les médecins de ville et les autres professions médicales installées en libéral (infirmiers, kinésithérapeutes…) à se regrouper au sein de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en lien avec leur hôpital de proximité. L’objectif est de parvenir à 1.000 CPTS d’ici à 2022. Par ailleurs, 4.000 postes d’assistants médicaux viendraient alléger la charge des médecins…

Mais ce plan s’inspire d’initiatives déjà mises en œuvre localement. De nombreuses collectivités ont ainsi proposé de salarier de nouveaux médecins. C’est le cas de la Saône-et-Loire qui a créé le premier centre départemental de santé, en octobre 2017, "pour soulager le stress des élus locaux qui essayaient de trouver des solutions". L’objectif : créer cinq centres et 45 permanences à travers le département. Le projet a reçu « l’adhésion de tous les élus qui ont proposé des locaux », a témoigné André Accary, le président du conseil départemental. Les premières installations de médecins ont eu lieu en janvier 2018. "Le recrutement se fait avec bon nombre de généralistes qui n’exercent pas leur profession, mais aussi des médecins qui ont fait le choix de travailler sous une forme salariale, car les aspirations ont changé. (…) Le médecin généraliste vient dans le département en complément et non pas en concurrence de la médecine libérale. Il s’installe là où il n’y a pas suffisamment de médecins généralistes", tient à préciser l’élu.

Cabinet médical éphémère

La ville de Pontarlier (Haut-Doubs) a eu une autre idée : créer un "cabinet éphémère" : six généralistes se relaient pour assurer des permanences à tour de rôle. L’ARS s’était engagée à garantir leurs revenus pendant vingt-quatre mois si les visites étaient insuffisantes.  Mais "avec plus de 7.000 visites à ce jour, la garantie n’a jamais été utilisée", a témoigné le maire de Pontarlier, Patric Genre. La mesure se veut transitoire, le temps qu’une véritable maison de santé voie le jour en 2019. L’initiative a séduit la sénatrice de la Mayenne Élisabeth Doineau, l’une des trois délégués à l’accès aux soins, qui se sont rendus sur place l’an dernier : "C’est une très bonne réponse à un problème rencontré momentanément." D’ailleurs, dans son département très marqué par la désertification médicale, Laval s’est dotée du même dispositif, en ayant recours à 12 médecins retraités épaulés par de jeunes internes. "En plus d’acculturer des médecins stagiaires, qui n’ont pas vocation à rester sur place, on forme des jeunes qui un jour prendront la place des retraités", a expliqué Élisabeth Doineau. Selon elle, dans les valeurs associées généralement aux services publics (accessibilité, gratuité…), "ce qu’on oublie c’est la mutabilité, c’est-à-dire la capacité d’adaptation permanente dont font preuve les maires au quotidien".

Les élus ont beaucoup insisté sur l’importance de l’accueil des médecins stagiaires et des internes dans les hôpitaux des villes moyennes. Pour Frédéric Valletoux, maire de Fontainebleau et président de la Fédération hospitalière de France "il faut répondre aux attentes des nouvelles générations et aller vers des pratiques mixtes (ville-hôpital)". "Plus aucun jeune ne rêve d’ouvrir son cabinet", a-t-il insisté.

Il a aussi été question de la télémédecine, un moyen de "libérer de la place dans les salles d’attente et de "désengorger les urgences" qui doivent souvent faire face à de la "bobologie", a fait valoir John Billard, le maire du Favril (Eure-et-Loir), en présentant son projet expérimental de "cabine de télémédecine". "Le local est prêt j’attends une autorisation. (…) Tout le monde est prêt, c’est l’ARS qui freine", a-t-il déploré.

"Il nous faudra tordre souvent le bras aux ARS"

Céline Galien, maire de Vorey-sur-Arzon (Haute-Loire), a pour sa part mis en avant le dispositif régional de "résidence d’entrepreneur" qui lui a permis de financer le déplacement d’un candidat roumain à trois reprises, afin de lui permettre de se familiariser avec son futur environnement. Et de dispenser un précieux conseil : il faut "d’abord trouver le médecin" avant d’entamer des travaux. C’est le meilleur moyen d’éviter "d’avoir une belle cage sans oiseau à l’intérieur", pour reprendre l’expression d’un élu. Seulement, elle a précisé avoir attendu huit mois l’agrément du conseil départemental de l’ordre pour ce médecin roumain. Les travaux, d’un coût de 366.000 euros, ont été financés avec le concours de l’État, de la région et l’Europe. "Il faut quand même qu’on dise que l’Europe avec la politique de cohésion est indispensable", a souligné l’édile.

"Nous ne réussirons pas ce pari à court terme si nous n’avons pas une convergence de l’ensemble des acteurs, a insisté Patrick Bouet, le président du Conseil national de l’ordre des médecins. Il y aura vraisemblablement un effort majeur dans la formation, un effort majeur dans le soutien dans l’innovation et l’initiative et un retrait de la norme administrative pour réussir." Selon lui, il faut "cesser de raisonner en établissement pour raisonner en accès aux soins". "Il nous faudra tordre souvent le bras aux ARS qui ont du mal à comprendre comment nos territoires sont organisés", a aussi prévenu Isabelle Maincion, maire de La Ville-aux-Clercs (Loir-et-Cher), autre co-animatrice de la commission Santé à l’AMF.