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Fiscalité des entreprises - Les exonérations des entreprises sur la sellette

Trop nombreuses, chères et souvent peu efficaces : le Conseil des prélèvements obligatoires n'est pas tendre avec les niches fiscales et sociales aux entreprises dont le montant s'élève à 172 milliards d'euros. Entre 15 et 29 milliards d'euros d'économies pourraient être réalisées.

Les niches fiscales et sociales aux entreprises ont connu un développement "rapide et peu maîtrisé". C’est le constat que dresse le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) dans un rapport présenté mercredi 6 octobre à la commission des finances de l’Assemblée nationale. Selon l’institution présidée par Didier Migaud, par ailleurs président de la Cour des comptes, leur montant s’élève à 172 milliards d’euros. Le nombre de niches fiscales aux entreprises est passé de 252 à 293 entre 2005 et 2010, pour un coût de 35 milliards aujourd’hui (14% des recettes fiscales), soit une augmentation de près de 9 milliards en cinq ans. Quant aux 91 niches sociales, leur montant est de 66 milliards, soit 15% des recettes de la Sécurité sociale. Mais à cela, il faut ajouter 71,3 milliards de niches "déclassées" et qui ne sont plus répertoriées en tant que telles. Et encore, ces chiffres ne tiennent pas compte des dépenses fiscales restant à la charge des collectivités et qui sont compensées partiellement par l’Etat.
Cette évolution "contraste fortement avec les efforts croissants de maîtrise des dépenses budgétaires engagés parallèlement", déplore le CPO en plein débat sur les restrictions budgétaires. Il estime "entre 15 et 29 milliards d’euros" les économies réalisables. Ce qui devrait avoir le don d’irriter le patronat. Mais le CPO demande en même temps d’inverser une "tendance bien française à privilégier des prélèvements aux taux élevés frappant des assiettes étroites". C’est-à-dire de réduire le nombre d’exonérations en tout genre à l’efficacité relative pour privilégier une baisse de la fiscalité des entreprises déjà amorcée avec la suppression de la taxe professionnelle.

Effet mitigé sur le développement des entreprises

Non seulement ces dispositions favorables aux entreprises sont nombreuses et coûteuses, mais elles ne remplissent pas toujours les objectifs fixés, remarque le CPO, rattaché à la Cour des comptes. Certains sont parfois même contraires à l'objectif poursuivi par d'autres politiques publiques ou poursuivent simultanément plusieurs objectifs. C'est le cas du secteur hôtels-cafés-restaurants dont les dispositifs correspondent à une superposition d'aides visant à accroître à la fois l'offre et la demande, pour un coût total de 3,3 milliards d'euros, et avec un impact limité sur l'emploi… Autre exemple : les exonérations dont bénéficient les entreprises de services à domicile. La notion de "services à la personne" ayant été largement étendue, pour couvrir non seulement les métiers de l'aide aux personnes handicapées et dépendantes mais aussi les travaux ménagers, le jardinage, le bricolage ou encore le gardiennage et l'assistance informatique à domicile, la mesure s'éloigne de son objectif initial et "donne lieu à des pratiques abusives de recours à l'exonération de services exercés par des sociétés relevant d'autres secteurs" (opérateurs téléphoniques et internet, entreprises de livraison de pizzas à domicile, etc.).
En revanche, le CPO cite le cas de mesures qui ont démontré leur efficacité, comme les allégements sur les bas salaires, dont le coût est estimé à 22,1 milliards en 2010. "Les évaluations concluent à la robustesse de l'effet sur l'emploi de l'allégement général sur les bas salaires", estime le CPO, qui évalue son impact à 800.000 emplois créés ou sauvegardés. Autre mesure jugée efficace : l'aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d'une entreprise (Accre), qui vise à favoriser la création des entreprises et dont le coût est évalué à 169 millions d'euros en 2010. "Au total, plus d'un tiers (35%) de l'ensemble des créations d'entreprises en 2007 et 2008 a bénéficié de l'Accre", insiste le rapport qui juge que la mesure porte ses fruits. "Les entreprises bénéficiaires de l'Accre présentent un taux de survie plus élevé que les entreprises non bénéficiaires et ce même après trois ans, soit après la fin de l'exonération", précise aussi le rapport. A l'inverse, les mesures destinées à aider les entreprises à recruter des apprentis n'atteignent pas toutes leurs objectifs. Le crédit d'impôt de 1.600 euros dont bénéficient les entreprises pour chaque nouvel apprenti, et dont le coût est estimé à 370 millions d'euros en 2009 et 2010, devait permettre de donner un nouvel élan à l'apprentissage et, surtout, le retour à l'emploi des jeunes les plus éloignés du marché du travail. Or, il bénéficie surtout à des jeunes ayant un niveau de qualification élevé. "Le crédit d'impôt apprentissage paraît en ce sens éloigné de l'objectif initial de la mesure", estime le rapport, qui propose de le cibler sur les apprentis les moins qualifiés.

Aménagement du territoire

Le CPO s’intéresse également de près aux dispositifs d’aménagement du territoire qui ont tendance à se "superposer" les uns aux autres. Aménagement du territoire, politique de la ville, mutations économiques, outre-mer : ces exonérations s’élèvent à 3,633 milliards en 2010, dont plus de la moitié au profit de l’Outre-Mer. Parmi les nombreux chevauchements, le rapport relève le cas des zones franches urbaines (ZFU) constituées comme sous-ensembles des zones de redynamisation urbaine (ZRU) "où sont donc applicables simultanément deux régimes d’allégement de l’impôt sur les bénéfices". Ces dernières années ont vu l’apparition de nouveaux dispositifs comme les bassins d’emploi à redynamiser (BDR), créés en 2007, les zones de restructuration défense (ZRD), instaurées pour compenser les pertes liées à la réforme de la carte militaire, ou encore ceux de la loi pour le développement économique des Outre-Mer du 27 mai 2009 qui a prévu un abattement pour les entreprises exploitant certaines activités en Guadeloupe, à la Martinique et à la Réunion. Or ces nouveaux dispositifs se surajoutent aux anciens : la plupart des communes des bassins d’emploi à redynamiser (BER), de même que les ZRD, sont comprises dans le zonage AFR (aides à finalité régionale). "L’empilement de nombreux dispositifs zonés, tant fiscaux que sociaux, et la disparité des règles applicables nuit à la lisibilité et à la cohérence d’ensemble de la politique menée", constate le CPO. Et tout cela pour une efficacité qui reste à démontrer. L’impact des dispositifs ZRR (zones de revitalisation rurale) et ZRU sur l’emploi et sur la création d’activités "ne peut être établi de façon robuste", note avec retenue le CPO. Quant aux ZFU, elles ont été détournées de leur objectif premier, à savoir le maintien des commerces de proximité dans ces zones. En effet, le dispositif profite, pour plus de la moitié de son coût, aux professions libérales.
Le CPO appelle à une harmonisation et une simplification de ces différents zonages, ce qui suppose au préalable une réforme de la géographie prioritaire maintes fois reportée. Mais dans l’immédiat, il propose de remplacer les exonérations de cotisations patronales par des aides directes concentrées sur les bas salaires avec un système d’allégement dégressif, à l’image de l’aide à l’embauche dans les TPE prévue dans le cadre du plan de relance. Au total, le CPO avance quelque 70 pistes pour réduire le coût de ces niches et améliorer leur efficacité. Des pistes qui "n'ont pas vocation à être toutes appliquées au même moment mais constituent une palette des choix possibles". Certaines touchent à des symboles de la politique gouvernementale, comme la TVA à 5,5% dans la restauration ou l'exonération d'impôts et de cotisations pour les heures supplémentaires. Alors que le budget 2011 sera débattu à partir de la semaine prochaine en commission des finances de l’Assemblée nationale, les préconisations du CPO pourront alimenter les discussions.
 

Emilie Zapalski et Michel Tendil