Les difficultés de recrutements freinent le dynamisme industriel
Les investissements industriels dans le monde se stabilisent d'après le baromètre mondial 2023 publié le 11 décembre. L'Europe est en retard en matière de volume mais dispose d'une avance dans la qualité des investissements. En France, les critères "Usine du futur" (efforts environnementaux, numérisation, efficacité énergétique) sont notamment en hausse. Mais le pays souffre de difficultés de recrutements, rendant plus difficile la réindustrialisation espérée.
"135 projets de création de sites en 2022/2023 mentionnent des difficultés de recrutements." C'est ce qu'indique l'édition 2023 du baromètre mondial des investissements industriels "L'usine du futur" publié le 11 décembre 2023. Le baromètre a été mis en place en 2016 par Fives, EDF, l'Institut de la réindustrialisation et le cabinet Trendeo, rejoints en 2020 par McKinsey. Il propose une photographie des investissements industriels à travers le monde.
D'après le document, en France, l'ensemble des métiers industriels est touché par le manque de main d'œuvre, autant ceux accessibles avec un bac pro, un BTS ou un diplôme d'ingénieur. "Actuellement la France forme par exemple 42.000 ingénieurs par an alors que le besoin est de 50.000", détaille le baromètre. Il y a 60.000 emplois vacants et le secteur devrait recruter plus d'un million de personnes dans les dix prochaines années. "C'est un frein majeur du dynamisme industriel", a signalé Gwénael Guillemot, directeur de l'Institut de la réindustrialisation durant la présentation du baromètre, les entreprises tentent de s'adapter avec la réforme de l'apprentissage et la création de centres de formation d'apprentis (CFA) en interne, elles s'allient au niveau local pour attirer les talents, néanmoins il y a une pénurie sur certains métiers techniques et de réelles tensions sur les métiers d'ingénieurs".
Un ralentissement des créations d'usines en France
Le manque d'investissement dans la technologie de la part des PME risque aussi de peser sur le développement des activités industrielles en France (194 robots ont été installés pour 10.000 salariés en France, contre 224 en Italie, 371 en Allemagne et 932 en Corée du Sud), tout comme la pénurie de foncier et les délais administratifs jugés encore trop longs, malgré les efforts du gouvernement pour préparer des sites industriels clés en main. "41% des parcs industriels seront saturés à horizon 2025, indique le rapport, 93% à horizon 2030 et 28% le sont déjà".
Ces données expliquent-elles le ralentissement récent en matière de créations d'usines ? Si le solde total entre les créations et les fermetures reste positif, il a tendance à se réduire. D'après Trendeo, de janvier à novembre 2023, 125 ouvertures de nouvelles usines ont été annoncées et 98 fermetures de sites en France, soit un solde positif de seulement 27 usines depuis début 2023. Sur les onze premiers mois de 2022, le solde atteignait 83 nouvelles usines (une seule en 2020 et cinq en 2019).
McKinsey identifie toutefois de nombreux atouts français pour attirer les entreprises : un tissu industriel de filières dynamiques et solides, alimenté par des champions mondiaux, un positionnement très solide dans les secteurs de demain (biotech, informatique quantique, cleantech), une situation géographique et un mix énergétique favorables.
L'Europe en-dessous de sa moyenne annuelle et en décélération
Plus globalement, le baromètre Trendeo constate une stabilisation sur douze mois glissants des volumes d'investissements industriels. Le montant est en hausse de 5% du deuxième semestre 2022 au premier semestre 2023 (1.300 milliards de dollars) par rapport à la même période un an avant, mais le premier semestre 2023 est en baisse de 15% par rapport au deuxième semestre 2022. "Il n'y a donc pas de dynamique forte mais la reprise post-covid se confirme", signale le baromètre. Effet de l'Inflation Reduction Act (IRA), c'est l'Amérique qui progresse alors que l'Europe, l'Afrique et l'Océanie sont en baisse. L'Asie est stable. L'Europe est la troisième destination des investissements avec 10% du total (7% pour l'Union européenne) mais reste très loin du duo de tête (Amérique-Asie) qui concentre 82% des projets. Elle est à la fois en-dessous de sa moyenne annuelle et en décélération. Dans le détail, la situation est plus contrastée avec des pays en baisse sur ces deux indicateurs (Allemagne, Royaume-Uni), la France en baisse mais au-dessus de son niveau moyen, et la Russie en reprise mais restant sous son niveau moyen. "L'Europe perd des parts de marché de l'investissement mondial, précise le document, mais cette baisse provient principalement des pays européens hors Union européenne (Russie et Royaume-Uni). Les parts de marché de l'Union européenne ont plutôt augmenté entre 2016 et début 2021. Un pic a été atteint début 2021, au moment des plans de relance post-covid". A noter également : les investissements européens dans l'industrie sont 40% plus petits que la moyenne mondiale.
Enfin, le baromètre indique que les efforts menés par les entreprises en matière d'environnement et pour les salariés (efforts sociaux) sont stables, tandis que les autres critères (flexibilité de la production, utilisation des technologies numériques, efficacité énergétique, efforts territoriaux) sont en baisse. L'Europe est toutefois en tête ou en deuxième position sur tous ces critères. "Les investissements dans et par l'Union européenne sont de meilleure qualité", assure le document. Ce score "Usine du futur" est en hausse depuis 2020 en France, et en particulier les efforts pour l'environnement et pour le numérique qui sont à un niveau élevé.