Les députés votent l'extension du bouclier tarifaire aux boulangers
Les députés ont voté, jeudi, contre l'avis du gouvernement, l'extension du tarif réglementé de vente d'électricité aux TPE énergivores, telles que les boulangeries. Cet amendement à une proposition de loi socialiste sur la renationalisation d'EDF a donné lieu à de vifs échanges avec le ministre Roland Lescure, sur fond de non-conformité supposée au droit européen.
Dans le cadre de l’examen de la proposition de loi socialiste visant à la "nationalisation" d’EDF, les députés ont voté, jeudi 9 février, un amendement pour étendre le bouclier tarifaire aux TPE non couvertes aujourd’hui, tels que les boulangers qui traversent une grave crise. Actuellement, le bouclier tarifaire permet aux TPE qui justifient d’une puissance électrique de moins 36 KVa de bénéficier du tarif réglementé. Or "plus de 80% des boulangers ne bénéficient pas du bouclier tarifaire en raison de leur puissance de raccordement souvent supérieure à 36 KVa", rappelle l'auteur et rapporteur de la proposition de loi Philippe Brun (Eure, PS) dans l’exposé de son amendement. "L’accord conclu le 6 janvier dernier entre le gouvernement et les fournisseurs alternatifs est une première réponse, mais il n’a abouti à aucun acte contraignant et certains boulangers craignent que les fournisseurs alternatifs ne respectent pas leurs engagements", précise-t-il. Aussi l’amendement vise-t-il à ce que "l’ensemble des fournisseurs d’électricité, qu’il s’agisse d’EDF, des fournisseurs alternatifs ou des entreprises locales de distribution" proposent ce tarif règlement à leurs clients.
Concrètement, au terme de l'article, les tarifs réglementés pourraient être proposés "à titre exceptionnel pour une période allant du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2023, aux consommateurs finals non domestiques pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 250 KVa qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excèdent pas 2 millions d’euros".
"Je sais qu’ici, le droit européen, on s’en bat un peu la casquette"
L’amendement a été adopté avec 214 voix (0 contre), les groupes de la majorité n’ayant pas pris part au vote. Il a donné lieu à de vifs échanges avec le ministre délégué à l’Industrie, Roland Lescure, sur fond de procès en "europhobie". "Je sais qu’ici, le droit européen, on s’en bat un peu la casquette", a commenté le ministre, dénonçant un amendement "non conforme". "Les grandes arguties selon lesquelles les socialistes seraient devenus antieuropéens, souverainistes ou je ne sais quoi, ça tombe totalement à côté, nous sommes ici dans le cadre du droit européen et dans le cadre des directives", lui a rétorqué Philippe Brun. Selon lui, la possibilité de recourir de manière temporaire aux tarifs réglementés est "ouverte à l’article 5§6 de la directive n° 2019/944 du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité". Il s’appuie aussi sur une communication du 8 mars 2022 dans laquelle la Commission estime que "la situation actuelle sur les marchés de l’énergie fait qu’une intervention dans la fixation des prix de détail peut s’avérer nécessaire pour permettre aux États membres d’atteindre leurs objectifs stratégiques et d’assurer des prix et des coûts énergétiques abordables et transparents aux consommateurs".
Le ministre a aussi fait valoir l'argument financier, estimant cette mesure à quelque 18 milliards d’euros pour les caisses de l’Etat. Et de renvoyer à la solution trouvée le 6 janvier, à savoir le "tarif garanti" à 280 euros le MWh pour les contrats signés au deuxième semestre 2022, comme s’y sont engagés les fournisseurs (voir notre article du 10 janvier 2023).
Surtransposition
À noter que le sénateur Fabien Genet (LR, Saône-et-Loire) avait déjà fait valoir, dans une proposition de loi déposée il y a quelques semaines, que le plafond de 36 Kva retenu pour le tarif réglementé résultait d’une surtransposition de la directive de 2019 (qui n’imposait pas de critère de puissance), avec la loi Énergie et climat du 8 novembre 2019 (voir notre article du 6 janvier 2023). Son texte avait alors reçu le soutien de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
Plus généralement, la proposition de loi de Philippe Brun vise à mettre EDF à l’abri de tout risque de démantèlement, comme le projet Hercule pouvait le laisser craindre. Au lendemain du vote des députés, Roland Lescure a dénoncé au micro de Sud Radio une loi "inutile, car elle vise à nationaliser une entreprise qui est détenue depuis trois jours à 96% par l'État", "complotiste" (le projet Hercule ayant été abandonné), "contraire au droit européen" et "anticonstitutionnelle".