Congrès de l'ADF - Les départements, les grands oubliés ?
L'Assemblée des départements de France (ADF) avait formulé deux demandes précises à Jean-Michel Baylet. "Sur ces deux points, vous ne nous avez pas entendus, nous le regrettons profondément", a tranché Dominique Bussereau, le président de l'association, au terme de l'allocution du ministre des Collectivités.
Ce dernier était venu clore le 86e Congrès qui avait réuni pendant deux jours, les 6 et 7 ocotbre, les présidents de départements au Futuroscope de Poitiers à l'invitation de la Vienne. Bien conscient du fait que les élus auraient préféré avoir François Hollande ou Manuels Valls à la tribune, il n'a pas éludé les problèmes qui se posent aujourd'hui aux départements qu'il connaît bien pour avoir été président de conseil général pendant 30 ans - que ce soit sur le social, sur les compétences ou sur les moyens financiers. En rappelant au passage qu'il n'était "peut-être pas pour rien" dans l'abandon du dessein de suppression du département esquissé par Manuel Valls en avril 2014… Mais sur le terrain des moyens financiers, Jean-Michel Baylet a été clair : s'il ne "nie pas les difficultés", il "ne partage pas la vision alarmiste" véhiculée par les élus départementaux.
Les demandes de l'ADF portaient, d'une part, sur le montant du fonds d'aide devant être inscrit en loi de finances rectificative afin de soutenir les départements les plus en difficulté. Dans sa courte motion finalement adoptée à l'unanimité (les présidents de gauche ayant jugé "nécessaire de sortir de ce congrès avec une motion commune, certes réduite" malgré les différences de vue sur certaines questions et malgré le contexte pré-électoral), l'association exigeait un fonds d’aide "qui ne soit pas une aumône". A ce titre, "400 millions apparaissent ainsi comme un minimum", disait la motion.
Or Jean-Michel Baylet n'a pu que confirmer le chiffre qu'il avait déjà mentionné une semaine plus tôt devant la presse : ce sera 200 millions, pas plus. En rappelant qu'en 2015, le fonds d'urgence avait été de 50 millions d'euros. Sauf qu'entre temps, le nombre de départements en déséquilibre financier n'est plus de dix mais de trente voire quarante. Le ministre a apporté une précision : la répartition du nouveau fonds se fera sur un double critère : la situation financière de chaque département et le niveau du reste à charge. Et a souligné que le projet de loi de finances pour 2017 comprend en outre un fonds d'appui aux politiques départementales d'insertion doté de 50 millions (et, a-t-il mentionné, "de 100 millions dès 2018").
Article 14 du PLF : la balle est dans le camp... du Parlement
Deuxième exigence de l'ADF : "Que le scandaleux hold-up prévu par le projet de loi de finances pour 2017 dans son article 14, notamment par l'évolution de la Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) ainsi que la Dotation de compensation pour transfert des compensations d’exonération de fiscalité directe locale, enlevant 400 millions de ressources aux Départements, soit immédiatement abandonné", avaient par ailleurs inscrit de concert les élus dans leur motion (voir notre article relatif à la première journée de congrès).
Comme on pouvait s'y attendre, Jean-Michel Baylet n'a pas pu annoncer de marche arrière sur cette disposition glissée plutôt discrètement dans le PLF et que les départements n'avaient absolument pas vu venir. "Ces dotations mises en oeuvre depuis 2011 et figées depuis plusieurs années (…) s’éloignant progressivement des dynamiques territoriales, leur exclusion du champ des variables soumises à minoration ne se justifie plus", justifie l'exposé des motifs de l'article 14 du PLF.
Le ministre a simplement déclaré que "le Parlement examinera" la chose et que "le débat sera animé", ajoutant toutefois : "Je souhaite que ce débat aboutisse à un compromis équilibré. Je m'y emploierai". Selon lui, cet épisode contribue d'ailleurs à prouver le besoin d'un projet de loi de finances spécifique aux collectivités – un "PLFC" – qui apportera plus de clarté dans les mesures touchant aux finances locales.
Pour le reste, Jean-Michel Baylet a passé en revue les divers efforts consentis depuis 2013 en direction des départements, depuis le "pacte de confiance et de solidarité" - qui aurait, a-t-il dit, apporté 1,4 milliard de recettes supplémentaires par an depuis 2014 – jusqu'aux récentes décisions relatives au financement de l'aide à domicile avec "740 millions d'euros qui vont être dégagés". Il a aussi mis en avant l'évolution favorable des recettes de DMTO et son corollaire, à savoir "le doublement du fonds de péréquation des DMTO", lequel aurait atteint 572 millions d'euros cette année. Enfin, il a fait valoir que si une part de TVA allait être accordée aux régions, c'était bien pour "couvrir les 600 millions d'euros qui restent dans les caisses des départements" malgré le transfert aux régions de la compétence économique.
Interventions économiques : le grand bricolage...
S'agissant, précisément, de la question des compétences, le ministre a assuré que le département a au final été "réaffirmé dans ses compétences fondamentales" en tant que "collectivité de référence pour la proximité", a rappelé que la culture, le sport et le tourisme restaient des compétences partagées et a souligné que le soutien du département aux communes, "indispensable pour les petites communes", n'était en rien remis en cause.
Soit. Sauf que les prises de parole des élus au cours des deux jours de congrès avaient montré que les principaux problèmes se situent surtout ailleurs. Se situent par exemple dans le domaine des transports, notamment avec le transfert des transports scolaires aux régions. "Sur les transports scolaires, ça se durcit actuellement. Et d'une région à l'autre, on a des lectures différentes de la loi quant aux possibilités de délégation", a témoigné, comme d'autres, Dominique Bussereau. "Il y a autant de variantes que de départements", a acquiescé André Viola, le président du groupe de gauche de l'ADF, soutenant à ce titre la proposition de loi déposée par son collègue Bruno Sido pour permettre la subdélégation.
Le chapitre le plus critique reste sans doute le champ des interventions économiques. Pour André Viola, "les départements resteront bien des acteurs économiques incontournables même s'ils perdent l'aide aux entreprises". Ceci, via par exemple leurs interventions en matière de "BTP, de très haut débit, d'économie sociale et solidaire ou de silver économie". Germinal Peiro, président PS de la Dordogne, a lui aussi fait valoir "les possibilités réelles qui existent y compris avec la loi actuelle", par exemple par le biais de sociétés publiques locales (SPL), d'ententes interdépartementales…
La majorité de droite de l'ADF, dans ses propositions de modification de la loi Notre, préconise en tout cas notamment que les aides économiques départementales restent possibles "en complément de l'aide régionale aux entreprises" et que les départements puissent continuer à financer les travaux au sein des zones d'activité dont ils sont propriétaires. Mais certains présidents vont plus loin. Tel Bruno Belin, le président LR de la Vienne, qui "milite pour le retour de la clause de compétence générale"… et souhaite carrément "la suppression de la loi Notre", une "loi boulet" qui "nuit gravement à la santé de nos territoires".
En tout cas attendant que les choses se stabilisent et que les régions aient pleinement pris possession de leurs nouvelles compétences, nombre de territoires ont visiblement l'impression de devoir "bricoler". "Les préfets eux-mêmes nous disent de continuer à faire de l'action économique discrètement car la région n'est pas prête", glisse Dominique Bussereau.
Ruralité : pour une loi d'orientation et de programmation
Réaffirmer les compétences de solidarité sociale et territoriale du département. Reconnaître que la France rurale est diverse et est porteuse d'atouts. Promouvoir une ingénierie territoriale forte au service de l'aménagement du territoire. Réaffirmer les complémentarités entre agglomérations et départements. Faire du département la collectivité de subsidiarité et, à ce titre, aménager les possibilités de déroger à la perte de la clause de compétence générale en cas de crise (environnementale, alimentaire…). Etre l'acteur majeur de l'aménagement numérique avec, en ligne de mire, le 100% fibre. Valoriser le marketing territorial. Etre proactif sur le maintien des services au public.
Telles sont quelques-unes des principes énoncés vendredi 7 octobre par Pascal Coste, président de la Corrèze et président de la commission Nouvelle ruralité de l'ADF, pour rendre compte de la plateforme de propositions sur la ruralité élaborée au nom de l'association en vue des prochaines échéances électorales. Avec, en conclusion, la nécessité d'"avoir une véritable loi d'orientation et de programmation en faveur des territoires ruraux, loi qui réaffirmerait que le département est chef de file là-dessus".
Les présidents de départements, qui avaient choisi de consacrer l'unique table-ronde de leur deuxième jour de congrès à l'enjeu de "l'aménagement du territoire au service de la ruralité", venaient de trouver un précieux appui avec l'exposé du géographe Christophe Guilluy. Ayant réalisé pour l'ADF un nouvel "Atlas des départements" intitulé "La représentation d'une nouvelle géographie des territoires", celui-ci a en effet délivré devant les élus, à travers sa critique bien connue des excès de la métropolisation, un puissant plaidoyer en faveur du département. Pourquoi il faut "donner du pouvoir à ce qui constitue aujourd'hui le dernier échelon territorial représentant la France des invisibles". Pourquoi, sachant que "les métropoles ne font pas société", le maintien du département est "un enjeu de cohésion nationale", le besoin de "collectivités fortes politiquement pour porter une vision sociale" est une nécessité. De quoi faire résonner les propos tenus le même jour par Vanik Berberian qui, dans une interview accordée à Localtis à la veille du congrès de l'Association des maires ruraux qu'il préside, convoque des "états généreux de la ruralité" et se dit convaincu que la ruralité sera un enjeu fort des prochaines élections... (voir interview ci-contre)
"Le fait métropolitain est un fait de recentralisation"
Ces mêmes présidents de département ont par ailleurs trouvé un écho favorable à leurs échanges en la personne de Jean-Pierre Raffarin venu clore la table-ronde en tant que sénateur de la Vienne. Celui que l'on a longtemps considéré comme "régionaliste" lorsqu'il avait, en tant que Premier ministre, dessiné son "Acte II" de la décentralisation, n'hésite pas à acquiescer aujourd'hui : oui, le département est une "réponse à cette invisibilité" et a "un rôle de médiation" à jouer dans cette "France du milieu".
Jean-Pierre Raffarin a lui aussi fustigé les excès de zèle des chantres de la métropolisation. "Le fait métropolitain est un fait de recentralisation. Les métropoles ne sont pas décentralisatrices, c'est une forme de recentralisation dans la décentralisation", analyse-t-il. Et l'ancien chef de gouvernement de craindre des métropoles qui, en s'étendant, absorbent "la ruralité connectée" mais laissent forcément de côté "la ruralité éloignée", créant une nouvelles fracture entre les territoires ruraux eux-mêmes alors que jusqu'ici, les uns "tiraient" le développement des autres. Pour Jean-Pierre Raffarin, le département reste bien le lieu de "l'attachement, l'enracinement, l'identité, facteur de mobilisation et donc de développement".
Sur ce terrain du développement local, le sénateur a fait part d'une conviction : on ne peut totalement "séparer le social de l'économique" et il est donc impensable que le département "n'ait plus rien" en matière d'économie. "Pour créer et attirer sur son territoire, le département a besoin d'un bout de levier économique".