Les campagnes les plus éloignées des villes ne prédisposent pas à l’échec scolaire
La localisation crée-t-elle des prédispositions à l’échec scolaire ? Le géographe Jacques Levy s'est livré à une analyse sur l'éducation et la justice spatiale, publiée mi-juillet 2021 par le think tank Terra Nova. Qui démonte l’idée selon laquelle "les campagnes les plus éloignées des villes prédisposeraient à l’échec scolaire en raison d’un moindre engagement public" mais révèle que "les problèmes se situent ailleurs"…
L'idée selon laquelle les campagnes les plus éloignées des villes prédisposeraient à l’échec scolaire est courante. Mais elle est fausse, affirme la note du géographe Jacques Levy, publiée par Terra Nova en juillet 2021. Des recherches récentes, compilées par le directeur de la chaire Intelligence spatiale de l’Université polytechnique Hauts-de-France, montrent que "les problèmes se situent ailleurs".
Des campagnes bien scolarisées
Tout d'abord, le géographe s'attèle à faire un état de l’école dans les campagnes. Il cite nombre d'études qui ont régulièrement conclu à "la neutralité de ce type de localisation sur les performances scolaires". Une recherche récente, Eper (De l’espace pour l’école de la réussite) démontre, "sans ambiguïté", "un très faible écart dans la réussite des élèves selon le gradient d’urbanité de la commune où ils habitent tant au brevet qu’au bac". Une première conclusion qui surprend puisqu'elle va plutôt à l'encontre des travaux menés par la Direction des études, de la prospective et de la performance (Depp) du ministère de l’Éducation nationale dans sa récente "Géographie de l'école" et qui concluent que dans l’ensemble des académies, les zones rurales éloignées et l’urbain éloigné sont plus défavorisés que les zones périphériques et l’urbain dense (lire notre article du 29 juin 2021).
Toutefois, dans son analyse, le géographe s'appuie sur une autre étude de la Depp et en retient qu'"à mesure qu’on s’éloigne des villes, la dotation en enseignants s’améliore et que les principaux foyers de difficultés scolaires se trouvent en réalité dans les quartiers démunis des centres et des banlieues des grandes villes". "Il y a donc bien des inégalités spatiales dans la réussite scolaire, mais pas là où on les imaginait", conclut Jacques Lévy.
Les dotations ne comblent pas les inégalités scolaires
Par ailleurs, le géographe a cherché "à mettre, en miroir de l’espace des dotations et des performances, la géographie des politiques publiques d’éducation", et essayé de "mesurer l’éventuelle contribution des dispositifs étatiques aux inégalités scolaires". Le résultat est selon lui peu probant, il le qualifie de "rattrapage négatif". Pour incarner son propos, il prend l'exemple de la Seine-Saint-Denis, "département qui concentre les inégalités, notamment scolaires", et où "l’État central dépense moins pour l’éducation que dans le reste du territoire national". "Les enseignants y sont moins formés, moins stables, moins bien notés, moins libres de leur choix d’affectation et moins bien payés que dans l’ensemble du pays ; il y a moins de conseillers d’orientation et d’infirmières scolaires et l’on retrouve ce déficit dans d’autres services publics nationaux comme la police ou la justice", liste-t-il. Selon lui, les "quartiers difficiles" sont "pris dans un système qui associe des éléments objectifs interagissant entre eux" - il cite entre parenthèses "échec scolaire, chômage, délinquance, violence, trafic" - et "une image dégradée qui accroit leur caractère répulsif […]". L'ensemble se traduit par "des mobilités résidentielles, par un filtrage permanent vers le bas de l’échelle sociale de la population scolaire".
Il regrette que les moyens donnés à l’éducation prioritaire (REP+) restent modestes : "1,6 milliard d’euros en 2017 alors que, la même année, le budget de l’Éducation nationale était de 69 milliards d’euros". Pourtant, une autre note récemment publiée par la Depp, démontrait - certes à la seule échelle des collèges - qu'il y a davantage d’offres de formation dans les collèges de l’éducation prioritaire et urbaine que dans les autres (lire notre article du 9 juillet 2021) et notamment que dans les collèges ruraux...Un autre problème pointé du doigt par Jacques Levy est l'allocation de rentrée scolaire qui "alloue sans condition de l’argent aux familles et sans aucun impact mesuré, ni même attendu, sur la réussite scolaire, et qui a coûté 2 milliards d'euros".
Deux puissants corporatismes d'Etat
Jacques Levy dénonce par ailleurs "deux corporatismes d'Etat". Le premier concerne "le pilotage de l’ensemble des parcours scolaires, dès le plus jeune âge, par une logique de la sélection qui évalue la réussite du système scolaire par sa capacité à dégager une 'élite'". Le géographe regrette que "le débat sur la formation se focalise si souvent en France sur les 'grands corps' (surtout l’Ena, Polytechnique et leurs périphéries) et si peu sur l’université ou la formation professionnelle qui regroupent l’essentiel des étudiants et les traitent si mal". Mais selon lui, "cette approche hiérarchique échoue, même sur les objectifs qu’elle s’était elle-même donnés". Il cite les études du programme Pisa menées depuis vingt ans : "On a vu que l’école française est l’une des plus inégalitaires ; et dans les dernières enquêtes, on constate une tendance à la baisse du niveau, y compris chez les meilleurs élèves".
Le second corporatisme serait celui des enseignants qui repose, selon lui, "sur la force de certains syndicats". Il appelle donc à ce que "la justice spatiale dans l’éducation passe […] par une lutte déterminée contre ces corporatismes et note que sur le premier "le gouvernement vient de faire mouvement, laissant augurer des transformations significatives" mais que "sur le second, beaucoup reste à faire".
"Le premier problème des élèves des campagnes, ce sont… leurs parents"
Dans ses dernières pages, l'étude donne une nouvelle lecture du lien entre éducation et campagnes et révèle que "la seule différenciation perceptible [...], c’est une tendance à ce que les élèves sortent plus tôt du système éducatif". En résumant, Jacques Levy écrit que "le premier problème des élèves des campagnes, ce sont… leurs parents". Il émet la thèse selon laquelle "dans les lieux les plus éloignés des villes, beaucoup d’entre eux considèrent que le maintien de leurs enfants dans le même mode d’habiter, très peu mobile, très peu ouvert sur le monde extérieur et à forte composante communautaire va de soi". Ces parents se montreraient "défavorables à l’internat" et souhaiteraient que leurs enfants arrêtent leurs études suffisamment tôt "pour ne pas avoir à quitter le microterritoire où ils habitent et pour trouver un emploi sur place, dans le cadre d’une offre peu qualifiée et très sexuée, et où ils peuvent pérenniser un mode de vie centré sur la famille". Il en conclut que "le problème fondamental des campagnes isolées ne vient donc pas pour l’essentiel du système éducatif mais de ces espaces eux-mêmes, pauvres en ressources favorables à la construction de jeunes personnes, qui se trouvent bloquées dans leur développement individuel".
Enfin, sur la thématique de la fermeture des petites écoles, le géographe tranche. Selon lui, elle "occupe une grande place depuis que différents gouvernements, à partir de 2000, ont osé fermer des garnisons fossilisées par la fin du service militaire obligatoire, dégraisser une administration fiscale pléthorique rendue de plus en plus obsolète par la numérisation ou regrouper des maternités pour assurer une sécurité sanitaire optimale". Sur la base d'un exemple – une petite école à Ganzeville, en Normandie – il estime qu'une éventuelle fermeture de classe dans ce cas ne viendrait que du manque d’effectif et en aucune manière de l’"abandon des territoires" ou du "retrait de l’État".