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Culture - Les archivistes ne veulent pas du droit à l'oubli

Depuis quelques semaines, les archivistes se mobilisent contre un projet de règlement européen "relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données", qui devrait être adopté au printemps. Le texte de la Commission européenne part pourtant d'une bonne intention. Il entend en effet préserver le "droit à l'oubli" et le respect de la vie privée. Sous peine de fortes sanctions, tout organisme public ou privé devrait ainsi détruire ou anonymiser les données recueillies auprès des internautes, soit une fois achevé le traitement ayant justifié le recueil d'information, soit au terme d'un délai qui s'annonce court.
Le règlement concernera toutes les données personnelles, qu'elles soient conservées sur papier ou sur support informatique. Mais même si Bruxelles se garde de les citer, il est clair que la Commission vise tout particulièrement les géants de l'internet grands consommateurs de données personnelles comme Google ou Facebook. Selon l'Association des archivistes, ce règlement - s'il est adopté - devrait donc conduire une école ou une université à éliminer le dossier d'un élève après son diplôme, une entreprise à supprimer toute trace d'un salarié après son départ de la société, ou encore le cadastre à supprimer toute trace de l'ancien propriétaire après la vente d'un bien.

Le bébé avec l'eau du bain ?

Ce texte suscite un vif émoi dans la communauté des archivistes, comme dans celle des généalogistes. Dans une pétition en ligne qui a déjà recueilli 35.000 signatures, l'Association française des archivistes estime ainsi que "s'il est évident que la réutilisation des informations personnelles à l'insu des citoyens et à des fins commerciales, qui est largement facilitée par les techniques informatiques, doit être combattue par tous les moyens, la destruction systématique de ces données ou leur anonymisation pour éviter des dérives revient en revanche à jeter le bébé avec l'eau du bain. Comme si, plutôt que de renforcer la conservation sécurisée de notre patrimoine et l'accès à celui-ci dans des conditions respectueuses des libertés individuelles, l'Europe, pour notre bien, nous imposait une amnésie collective". "Afin d'éviter une décision irréparable", les archivistes demandent donc à la Commission européenne de suspendre l'adoption de ce règlement et d'approfondir le débat.
L'Association des archivistes affirme en effet que "les moyens technologiques actuels permettent de sécuriser la conservation et l'accès aux informations, de manière bien plus fiable que par le passé. Les 'fuites', les pertes de données sont dues aux organismes qui négligent de mettre en place une bonne gouvernance de l'information, au détriment des citoyens eux-mêmes". Elle trouve par ailleurs "aberrant" d'imposer les mêmes obligations drastiques aux organismes à visées commerciales, "qui conservent des données personnelles à seule fin de les monnayer", aux organisations privées dont la constitution d'un patrimoine historique est déjà partie intégrante de leur culture et aux structures en charge de missions de service public.
Le projet semble également susciter de fortes réticences au Parlement européen. Plus de 3.100 amendements ont ainsi été déposés sur le projet de texte. Un nombre supérieur à celui des amendements habituellement déposés sur les textes relatifs à la politique agricole commune ! 
Après trois autres commissions - dont celle des affaires juridiques qui a donné un avis favorable - la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures se prononcera sur ce projet de règlement les 29 et 30 mai.