Archives

Commande publique - Les acheteurs face aux récentes modifications du droit : les préconisations de Jérôme Grand d'Esnon

Les nouvelles dispositions du droit de la commande publique soulèvent visiblement nombre d'interrogations parmi les acheteurs. Jérôme Grand d'Esnon, avocat et ancien directeur des affaires juridiques du ministère de l'Economie et des Finances (DAJ), leur a apporté un certain nombre de précisions et de conseils le 18 mars dernier lors de la table ronde finale de la 144e session d'études de l'Apasp (voir également notre article du 18 mars quant aux éléments apportés la veille, lors de ce même colloque, par Catherine Bergeal, l'actuelle directrice des affaires juridiques de Bercy).


Relèvement du seuil "de minimis" pour plus d'efficacité

Le relèvement de 4.000 à 20.000 euros HT des marchés sans publicité "ni mise en concurrence préalable" constitue la principale source d'inquiétude des praticiens de la commande publique. Jérôme Grand d'Esnon a tout d'abord tenu à rappeler que "si le risque de contentieux semble très réduit pour des marchés de cette taille", cela ne signifie en aucun cas que tout est permis. L'augmentation du seuil "de minimis" offre aux acheteurs publics une plus grande liberté et une plus grande souplesse pour des achats présentant, en définitive, un "faible enjeu d'un point de vue économique". Cependant, cette recherche d'une plus grande efficacité de l'achat public ne s'oppose pas, bien au contraire, à une mise en concurrence minimale. Ce nouvel espace de liberté doit, comme auparavant, être utilisé différemment en fonction de la taille de la structure acheteuse et de l'objet du marché. Cette mesure devrait néanmoins permettre aux structures de taille importante de consacrer un temps limité à ces "petits marchés" afin de se concentrer sur des marchés aux enjeux plus conséquents. Il est bien entendu possible d'encadrer ce type d'achats par des procédures internes spécifiques mais les différents intervenants ont vivement conseillé aux acheteurs publics de veiller à ne pas se surprotéger afin que la "marge supplémentaire" qui leur est offerte garde tout son intérêt.


 

Pas de changement majeur pour les marchés de travaux

Le relèvement du seuil de 206.000 à 5.150.000 euros HT pour les marchés de travaux ne devrait pas avoir d'impact fondamental sur la pratique des acheteurs puisque "la logique du marché à procédure adaptée suppose que plus l'enjeu est important, plus les principes doivent être respectés et plus la procédure doit être cadrée". Jérôme Grand d'Esnon a par ailleurs rappelé que "le système précédent offrait déjà, pour les marchés situés entre ces seuils, une totale liberté de choix de procédure", ce qui signifie que la négociation était déjà possible pour les marchés de moins de 5.150.000 euros HT. Les acheteurs ont toutefois été invités à profiter de cette modification pour envisager plus fréquemment de recourir à la négociation, laquelle "peut s'avérer, dans bien des cas, plus efficace que l'appel d'offres". Les intervenants ont en outre particulièrement insisté sur l'importance de conserver une trace des discussions et négociations orales (par la rédaction, par exemple, de procès verbaux).
La seule "souplesse" introduite par la suppression du seuil  intermédiaire concerne les délais de procédure. Cette marge de manoeuvre est toutefois limitée par le fait que les délais retenus pour des marchés de travaux de 2 ou 3 millions d'euros devront obligatoirement être très proches de ceux prévus par le CMP afin de garantir une mise en concurrence effective et efficace.


 

Suppression de la CAO : le point noir de la réforme

Selon l'ancien directeur de la DAJ, la suppression de la commission d'appel d'offres (CAO) pour l'Etat et les établissements publics de santé apparaît comme la seule disposition regrettable de cette réforme. L'obligation de réunir la CAO est en effet à l'origine de certaines complications pour les collectivités territoriales en raison notamment de l'allongement des délais et d'une "lourdeur" administrative supplémentaire. Les contraintes de ce système semblent en revanche être négligeables dans le cas des marchés de l'Etat et des établissements de santé puisque la CAO ne réunit en définitive que des fonctionnaires d'un même service d'acheteurs. Renoncer à la collégialité pour des marchés de plus de 206.000 euros semble préjudiciable dans le sens où elle représente une aide précieuse à la décision ainsi qu'une garantie supplémentaire de sécurité juridique. Cet attachement à la collégialité semble se vérifier en pratique puisque de nombreuses administrations ont opté pour la création de CAO "ad hoc" composées de personnalités pertinentes, d'experts et d'observateurs extérieurs.
La suppression de la CAO a par ailleurs suscité de nombreuses interrogations concernant les avenants aux contrats conclus avant la réforme. Selon Jérôme Grand D'Esnon, les dispositions du décret du 19 décembre 2008 n'ont pas d'effet rétroactif. Les avenants aux contrats passés sous l'empire des anciennes règles constituent donc des actes rattachés au passé qui s'inscrivent, par conséquent, dans le régime dudit contrat. Il convient à ce titre de réunir la CAO dans les mêmes conditions que pour l'attribution du contrat.

Suppression des deux enveloppes : première étape avant l'ouverture publique des plis ?

Si une grande majorité des acheteurs publics se félicite de la suppression de la seconde enveloppe, certains praticiens ont fait part de leurs réticences vis-à-vis de cette mesure.
Il a été rappelé que l'enveloppe de candidature n'était qu'une formalité permettant de vérifier au préalable que les candidats répondaient aux critères d'admissibilité. Par conséquent, dès lors que le besoin a été correctement défini et que les critères de choix ont été clairement établis, le fait de disposer de l'élément prix lors de l'examen des candidatures ne devrait pas avoir d'incidence sur la décision finale d'attribution. En outre, si rien ne s'oppose à ce qu'un pouvoir adjudicateur continue d'exiger des plis séparés, il semble, au vu de la récente jurisprudence, que le non-respect de cette formalité par un candidat ne puisse motiver le rejet de sa candidature ou de son offre.
Jérôme Grand d'Esnon a par ailleurs insisté sur le fait que la suppression de la seconde enveloppe pourrait être la première étape avant une ouverture publique des plis. La France est en effet le seul pays à ne pas pratiquer l'ouverture publique des enveloppes lors de l'appel d'offres. Pour l'ancien directeur de la DAJ, cette évolution irait incontestablement dans le bon sens car "elle offrirait une garantie supplémentaire de transparence des procédures". Pour répondre aux interrogations des acheteurs, il a en outre été précisé que le contenu des enveloppes ne serait probablement pas débattu en public, l'ouverture publique des plis se limitant a lister les documents et porter les prix à la connaissance du public.

En conclusion des débats, Jérôme Grand d'Esnon a estimé que la logique de la réforme semble clairement s'inscrire dans une démarche de responsabilisation et de professionnalisation des acheteurs publics. Si les nouvelles mesures de la réforme ont pour objectif principal la recherche d'efficacité,  les différents intervenants ont unanimement insisté sur une vigilance accrue de la traçabilité des procédures afin de garantir la sécurité juridique des marchés.

 

L'Apasp