Fonds social européen - L'emploi, une compétence de plus en plus locale en Europe ?
Avec un taux de chômage qui avoisine les 10% en Europe, le chantier à mener est colossal. Pourtant, la place du Fonds social européen (FSE), qui complète l'action des Etats dans le domaine de l'emploi, n'a eu de cesse de s'éroder au fil du temps. A la fin des années 80, il représentait encore 40% du budget dédié à la politique régionale européenne. Aujourd'hui, le chiffre a fondu de moitié.
Avec la refonte des aides régionales européennes annoncée le 6 octobre, Bruxelles tente de rebattre les cartes. Premièrement, la Commission veut tirer son budget à la hausse, en proposant une dotation de 84 milliards d'euros entre 2014 et 2020 contre 75 milliards à présent. Deuxièmement, Bruxelles en fait l'un des instruments financiers de la stratégie 2020, avec ses objectifs en cascade (taux d'emploi porté à 75%, pauvreté diminuée de 25%...)
Enfin, elle veut s'assurer que les actions en faveur de l'emploi ne soient pas éclipsées par les investissements en infrastructures. "En France, il y a un vrai tropisme pour le Feder (fonds européen de développement économique régional, ndlr) encouragé par la Datar et les collectivités locales", observe une source bruxelloise.
"Fin du programme national"
Pour les élus, communiquer sur la réalisation d'une bibliothèque ou d'un centre de soins est plus vendeur qu'une action de formation qui n'offre pas une garantie certaine de retour à l'emploi… Résultat, les régions françaises riches réservent en moyenne 44% de leurs dépenses en fonds régionaux au FSE, quand ce taux atteint 50% au Royaume-Uni ou en Allemagne, a rappelé Pascale Beauchamp, administratrice à la Commission européenne, lors d'une conférence organisée par l'Association des départements de France.
Dans la réforme annoncée, un seuil minimum de dépenses de FSE est imposé aux régions (52% pour les territoires avancés comme l'Ile-de-France ou Paca par exemple). Un changement de taille puisque jusqu'ici, la répartition entre le FSE et le Feder était laissée au bon vouloir des Etats et des régions. Aujourd'hui, bien que fortement déconcentré en régions, le FSE fait l'objet d'un programme national, contrairement au Feder qui est, lui, décliné en programmes opérationnels régionaux. Le ministère de l'Emploi garde d'ailleurs la main sur 15% des crédits FSE. Dans cette configuration, il est difficile d'imaginer comment cette réserve nationale pourra coïncider avec les sommes dont chaque région est en droit de disposer en vertu des seuils européens... "Avec ce système-là, c'est la fin annoncée du programme national pour le FSE en France", prédit un expert. Par essence, la politique régionale est "destinée aux territoires". Elle ne devrait pas être "un outil de l'Etat se substituant aux fonds nationaux pour financer Pôle emploi", renchérit un fonctionnaire territorial.
Si la Commission européenne compte fermement sur l'appui du Parlement européen pour défendre l'idée de montants minimum par région dédiés à l'emploi et l'accompagnement social, des voix discordantes s'élèveraient déjà parmi les Etats qui souhaiteraient le retrait de cette mesure. Ce ne semble pas être le cas de la France et de l'Italie qui, dans une note commune du 30 septembre, approuvaient cette "orientation raisonnable", ajoutant que "ces seuils reflèteront un certain niveau d'ambition".
L'hypothèse de la régionalisation intégrale du FSE est renforcée par une autre évolution. Bruxelles cherche à encourager l'utilisation d'une palette variée de subventions (Feder, FSE, Fonds pour le développement rural…) dans laquelle les collectivités locales piocheraient pour financer des projets ayant une logique d'ensemble sur leur territoire. L'occasion pour les conseils régionaux de convoiter la mise en place d'une feuille de route pour l'emploi adaptée aux spécificités de chaque territoire (à l'image des programmes opérationnels pour le Feder), revenant ainsi sur le principe d'un seul plan FSE pour l'Hexagone.
"Anomalie"
Certains élus poussent la logique à son paroxysme, quitte à utiliser l'UE comme un levier de décentralisation. En France, qu'il s'agisse du Feder ou du FSE, seules les préfectures (à l'exception de l'Alsace) sont reconnues comme "autorités de gestion" des fonds européens. En dehors de la Pologne, où les régions ont été créées avec l'adhésion du pays à l'UE, le modèle centralisé à la française fait peu d'émules en Europe, et cette exception devient une source majeure de protestation. C'est une "anomalie discriminatoire", s'est plaint Jean-Yves Le Drian, président de la région Bretagne, à l'issue d'une rencontre organisée à Bordeaux par l'Association des régions de France. "Nous refusons d'être les marginaux des régions européennes."
Dans les faits, les collectivités locales sont étroitement associées aux projets européens, depuis leur sélection jusqu'au versement des crédits européens, qu'elles redistribuent dans de nombreux cas aux bénéficiaires. Mais sur le terrain, une certaine confusion demeure. Une fois la subvention européenne versée, toute collectivité locale doit rendre des comptes aux services de l'Etat, qui s'assurent de la légalité des dépenses. Si l'UE donne des orientations "généralement lisibles", explique-t-on dans un département de l'Ouest, les procédures imposées par l'Etat pour le suivi des dépenses ne le sont pas. "Cela ne fonctionne pas très bien", poursuit la même source. Dans une autre région, on s'énerve de voir qu'un surplus de dépenses FSE prend un mois pour être régularisé car les services de l'Etat en région (Direccte) imposent la rédaction d'un avenant et la réunion du "comité de programmation" où siègent le président de région et le préfet. Cas typique, la Direccte assure que les règles sont imposées par la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, "mais on se rend compte en discutant avec nos partenaires en région que ce n'est pas vrai".
Tractations
La complexité est portée à son comble lorsque l'Etat se contredit lui-même sur les projets éligibles. Des actions de médiation destinées aux familles dont les enfants rencontrent des difficultés scolaires pourront par exemple être financées par le FSE dans une région, et refusées dans une autre.
Un transfert accru de compétences aux régions serait-il la panacée ? Rien n'est moins sûr, répondent les administrations centrales, pour qui la politique de l'emploi a plus de sens si elle reste gérée à l'échelle nationale. Même dans certaines collectivités locales, on s'interroge parfois des conséquences de cette mesure : "Il ne faudrait pas qu'elle génère des inégalités d'une région à l'autre, si l'accès à la formation n'est plus le même pour tous", souligne un responsable. Avec l'élection présidentielle en 2012, les tractations vont bon train. Un candidat de gauche victorieux aurait bien du mal à s'aliéner la cohorte de présidents socialistes en quête de décentralisation…
Donner plus de latitude aux régions reviendrait aussi à responsabiliser ces dernières face aux citoyens. Or, la Commission européenne ne cache pas son intention de renforcer le volet performance. "Nous paierons sur la base des résultats et non des factures", a déclaré sans ambages László Andor, commissaire aux Affaires sociales. Pour espérer conserver leurs financements européens, les gestionnaires du FSE devront donc afficher des taux de retour à l'emploi justifiant leur maintien. Les départements, habitués à suivre des populations en grande difficulté, se demandent s'ils pourront relever le défi. "On accompagne des personnes bénéficiaires du RSA, quelquefois très éloignées de l'emploi, qui cumulent souvent problèmes de logement et problèmes familiaux. Il faut alors commencer par un voire plusieurs contrats aidés. C'est un long travail social, qui prend plus d'un an", résume une fonctionnaire. Selon un rapport réalisé en 2010, 19% des personnes ayant bénéficié d'un accompagnement financé par le FSE en France sont parvenues à retrouver un emploi durable après un passage dans une entreprise d'insertion. L'objectif à atteindre était de 30%.