Legal tech Europe, l'état des lieux

L’omniprésence des nouvelles technologies a fait émerger l’idée que le Droit et la technologie étaient compatibles. Et depuis quelques années en effet, les LegalTechs ne cessent de gagner en présence sur le marché européen du droit devenant des acteurs incontestables pour les professionnels du secteur. Pourtant, aucune des 15 premières entreprises technologiques du monde n'est européenne, et seulement 4 % des 200 plus grandes plateformes numériques sont européennes. Les disparités se creusent également entre états européens. Comment expliquer ces disparités au sein même de l'Europe ? Quelles sont les offres proposées par nos voisins européens et comment se positionnent les instances dirigeantes européennes sur la question ?

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Comment nos voisins européens perçoivent-ils les LegalTech ? 

En Allemagne, la réaction face à l’arrivée des LegalTech est mitigée notamment dans le domaine de l’avocature car, même si un certain nombre de LegalTechs voient le jour, certains barreaux allemands restent encore opposés à leur reconnaissance professionnelle, jusqu’à même les considérer comme une pratique illégale de la profession. Néanmoins cette vision négative tend à s’atténuer et la fédération nationale des barreaux régionaux allemands a justement émis un avis plus positif concernant les LegalTechs. Toutefois, le dernier mot reviendra aux barreaux régionaux allemands. On constate le même phénomène de réticence des professionnels concernés du côté de la Belgique. En Espagne, les offres LegalTechs sont également moins développées qu’en France, notamment car ni les ordres professionnels ni les institutions ne se sont encore prononcés en faveur des LegalTechs. L’enjeu du marché espagnol est donc de promouvoir ces nouvelles solutions digitales auprès des professionnels nationaux afin qu’ils s’en saisissent. En Italie, si les LegalTechs sont également moins développées qu’en France, on constate néanmoins que de nombreuses solutions digitales de modes alternatifs de règlements des différents voient le jour (cf. notre article « Les Legaltech spécialisées dans la médiation »).

On constate ainsi une réelle disparité dans le développement des LegalTechs au niveau de l’Europe qui s’explique notamment par le manque d’intérêt ou la méfiance des pouvoirs publics pour ces acteurs. Au-delà de ces divergences de perception d’un pays à l’autre, le paysage européen des legaltechs propose une large diversité d’offres. A noter que le panorama des offres présentées ci-après est non-exhaustif.

 

Quelle est l'offre proposée en Europe ?

En premier lieu, les LegalTechs en Europe semblent se focaliser sur le management métier. A ce titre, la plateforme anglaise, Lexoo, a pris le pari d’investir dans une solution axée sur le recrutement des avocats et juristes par laquelle les entreprises et les équipes juridiques internes peuvent facilement comparer et recruter du personnel. Toujours en Angleterre, on peut également citer Autologyx ou Hunit qui proposent d’automatiser des processus de management et d’analyse plus performants. Autologyx s'adresse à de nombreux secteurs mais se concentre principalement sur la gestion des droits et des actifs, la gestion des entités, la distribution et triage du travail, l'évaluation des contrats et des documents, la conformité, la réglementation et gouvernance. Sont visés les services juridiques et professionnels, notamment les cabinets d'avocats et les services juridiques d'entreprise. Une legaltech irlandaise propose un outil similaire : Bundledocs. Concernant les notaires, la plateforme anglaise Exizent fournit une solution pour la gestion du « processus » de deuil. Elle relie les informations et les services utilisés par les cabinets de services juridiques, les institutions et les exécuteurs testamentaires lorsqu'une personne décède, afin de faciliter et d'alléger le parcours des personnes en deuil.

En ce qui concerne le traitement et l’analyse de la documentation juridique, la LegalTech londonienne Workshare offre aux professionnels une plateforme de pointe et intelligente pour les aider à comparer, protéger et partager leurs documents hautement confidentiels à tous les contributeurs et ce, sur n'importe quel appareil. Au Pays-Bas, la legaltech Contractbook, propose une plateforme numérique de gestion des contrats permettant aux particuliers ou aux entreprises de gérer toute la durée de vie de leurs contrats en une seule fois. On retrouve des solutions identiques en Belgique avec Clause Base, en Espagne avec Change the block, et en Angleterre avec Summize. Les utilisateurs peuvent créer, signer et stocker tous leurs documents juridiques sur une seule plateforme numérique afin d'accroître la transparence de leur organisation, d'assurer la conformité et de gagner un temps précieux. On retrouve également la même offre chez les Suédois de Avtal24. Enfin, en Autriche,  la solution « Jaasper » propose un produit d'analyse de contrats, de classification de documents et d'extraction de données à partir de divers types de contrats. En outre, Jaasper offre aussi un outil de contrôle automatique des sites web, qui analyse à la fois les cookies et le contenu des sites web (mentions légales, conditions générales, politique de sécurité des données). Les propriétaires de sites Web obtiennent ainsi un retour d'information rapide sur la conformité juridique de leur site.

Enfin, même si elle se font rares, on trouve quelques LegalTechs européennes spécialisées dans la justice prédictive avec notamment la plateforme allemande Just legal VR qui propose un outil de réalité virtuelle permettant la collaboration et la réalisation des procédures judiciaires (en réalité virtuelle), avec la possibilité d'enregistrer et d'examiner des présentations/arguments oraux depuis différentes positions dans la salle d'audience virtuelle.

Les solutions présentées ci-dessus sont rarement transnationales. En effet, on comprend que des services de type « justice prédictive » peuvent difficilement être européanisés car ils doivent tenir compte des spécificités de chaque système juridique. Cependant, le développement européen de services plus « classiques » tels que la création et le partage de documents ou encore la mise en relation des professionnels reste envisageable.

 

La stratégie digitale de l’Union Européenne : un moteur pour la Legaltech ?

Comme énoncé précédemment, seulement 4 % des 200 plus grandes plateformes numériques sont européennes. En conséquence, la Commission européenne a fait de la stratégie numérique l'une de ses principales priorités pour les prochaines années. A l’instar de la Chine et des Etats-Unis qui investissent massivement dans l'intelligence artificielle, l'UE a choisi de se concentrer sur "l'IA centrée sur l'humain" mais également sur "l'éthique des données" et « la protection des droits des consommateurs ». Les nouvelles lois sur la protection de la vie privée, la directive sur le droit d'auteur et, surtout, le Règlement Général sur la Protection des Données, sont autant d'exemples de l'approche réglementaire et "éthique" de l'UE vis-à-vis du secteur des technologies. Mais comment cela influencera-t-il l'industrie européenne de la LegalTech ?

Concernant les LegalTechs à proprement parler, la Commission Européenne, en concertation avec les représentants des professionnels du secteur, mise sur la protection de la Data Privacy. En effet, des règles strictes en matière de gouvernance des données peuvent être bénéfiques pour les entreprises technologiques européennes et ainsi encourager leur croissance. De nos jours, les utilisateurs accordent de plus en plus d'importance à la confidentialité des données (en démontre les nombreuses réactions suite aux propos de Mark Zuckerberg, PDG de Meta - anciennement Facebook – qui avait affirmé que « la vie privée était morte »). Selon la Commission Européenne au contraire, les entreprises européennes qui excellent dans le domaine de la confidentialité des données auront un avantage concurrentiel sur leurs homologues. Tout cela semble prometteur pour les entreprises européennes de LegalTechs spécialisées dans ce domaine. Cependant, l'approche éthique de la technologie peut également devenir un obstacle majeur pour les entreprises européennes de LegalTechs, en particulier pour celles qui travaillent avec l'intelligence artificielle étant donné les restrictions pouvant exister sur l'utilisation des données personnelles. L’utilisation de la technologie blockchain en complément de l’IA pourrait venir pallier cet obstacle car elle garantit une sécurité accrue des données traitées.

En marge des questions de Data Privacy, un incubateur de start-ups juridiques européen a vu le jour il y a trois ans : Legal Tech Hub. Le Legal Tech Hub Europe est une initiative inter-bureaux de cabinets d'avocats avec comme objectif principal de mener le secteur du conseil juridique vers un avenir numérique. Tous les business model y sont proposés : recherche juridique, traduction juridique, prédiction de cas, modèle de contrat etc. Le Hub sert à incuber toute start-up européenne, y compris dans les pays d'Europe centrale et orientale, et depuis peu, les services sont accessibles au monde entier.

Pays dont sont issus les LegalTech créées par le Legal Tech Hub

Legal Tech Hub

© Legal Tech Hub

Legal Tech Hub

Figure 2 : Panorama des Legaltech créées grâce au Hub - Legal Tech Hub, Overview

En conclusion, l’Europe connait, au même titre que ses homologues chinois, russes et américains, un développement des LegalTechs. Ce développement européen est en outre poussé par les instances dirigeantes européennes qui prônent une stratégie de digitalisation européenne et au niveau national par l’organisation de certains événements. On peut notamment citer la France qui a organisé le 10 février dernier grâce à l’Incubateur du Barreau de Paris, l’édition 2022 de la « Nuit européenne des LegalTechs » ou encore la 6ème édition du sommet du droit, plus grand salon d’Europe consacré à l’innovation, qui se tiendra le 20 avril à Paris.