Le recrutement dans les Legaltech via l'innovation
Le marché de l'emploi dans la legaltech est en tension. Mais les initiatives se multiplient pour surmonter cette difficulté. Ci-après les partages d’expérience de Florent Muller, COO d’Urban Linker, Thomas Saint-Aubin, co-fondateur de Seraphin.legal et Kristina Colak, Head of People chez Yousign
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Innover pour disposer des bonnes compétences au bon moment
« Dans la tech, la formation est plus que nécessaire et doit être pensée en continu », insiste Florent Muller. Le secteur l’a bien compris et cherche à compenser le manque ou le retard des formations supérieures en la matière. Ecoles 42 et autres écoles de code, boot camps technologiques ou politiques internes de formation via des MOOC ou du collaborative learning, les initiatives foisonnent. Seraphin.legal a ainsi créé la Legal Tech Lawyer Academy, qui délivre depuis 2016 une certification des compétences numériques des juristes via notamment un boot camp de 50 heures. Une offre de formation qui, en s’appuyant sur le référentiel de compétences du juriste augmenté construit par Christophe Roquilly, Directeur de l’ EDHEC Augmented Law Institute, s’est depuis étoffée : ainsi, « la plateforme de cours en ligne Lejuristededemain.com permet d’acquérir les compétences complémentaires du juriste augmenté, c’est-à-dire les soft, business et digital skills attendues par la LegalTech , mais aussi par les directions juridiques ou les cabinets d’avocats » détaille Thomas Saint-Aubin.
Afin de répondre aux enjeux de formation et surtout favoriser la rétention de ses talents Yousign investit dans la projection de carrière de ses collaborateurs : « il s’agit d’accompagner par exemple un développeur qui souhaite grandir dans son expertise ou accéder à un poste d’ingénieur manager en mettant à disposition des boites à outils pour y parvenir » précise Kristina Colak.
Transition écologique, éthique ou diversité : les valeurs favorisent l’attractivité
« Une marque employeur tech attractive c’est avant tout une entreprise qui sait parler de son activité, de l’apport de celle-ci et de son impact, surtout si cela a un lien avec la transition énergétique et écologique. Car les développeurs sont très sensibles à cette notion de Tech for good » avance Florent Muller. Pour lui, une LegalTech doit « penser sa communication corporate afin de vulgariser les apports de son activité d’une part et d’autre part expliquer qu’il s’agit de secouer un monopole. A l’image de ce qu’a pu faire La start up Alan dans le domaine des mutuelles d’entreprise ».
« Être une entreprise engagée, notamment dans tout ce qui relève l’éthique numérique, aide beaucoup pour attirer, constate Thomas Saint-Aubin. « Privacy par default, security by default, ethic by design : tout ce qui peut apporter une vraie différenciation par rapport aux acteurs américains et faire des acteurs français des pionniers de ce nouveau numérique éthique est à valoriser, notamment auprès des ingénieurs » poursuit le co-fondateur de Seraphin.legal dont certains membres (et en premier lieu l’autre fondateur, Pierre Lasvigne) sont issus de l’EPITA, la prestigieuse école d’ingénieurs : « nous sommes en concurrence avec de très grandes entreprises mais nous tirons notre épingle du jeu en donnant du sens à nos actions. Et les ingénieurs perçoivent que le droit est au cœur du système depuis longtemps et que l’interaction tech et droit ne fait que croitre. Code is law et law is code, cela résonne en eux ».
« Les valeurs de l’entreprise jouent comme élément différenciant puisque, dans notre secteur, les offres d’emploi sont le plus souvent équivalentes en termes de missions, de salaires et de positionnement de l’entreprise, relève Kristina Colak. « Certes les avantages proposés comptent mais les soft skills de l’entreprise aussi. Les personnes rencontrées durant les entretiens de recrutement sont donc importantes dans la prise de décision du candidat tout comme les actions en faveur d’une empreinte écologique positive ou d’une vraie et large diversité ». La diversité passe entre autres par la parité hommes/femmes, peu évidente dans la tech, comme l’explique la Head of People de Yousign : « Il y a très peu de femmes dans les écoles d’ingénieurs et elles peuvent craindre d’être isolées au sein d’une équipe de développeurs. Nous avons donc travaillé spécifiquement notre attractivité vis-à-vis d’elles ». D’où, entre autres choses, la signature du Pacte parité porté par la mission French Tech.
Sortir des codes de management du monde juridique classique
Plus des trois quarts des fondateurs de LegalTechs présentent un profil juridique. Avocats ou notaires de profession par exemple, ils doivent au sein de leur start up veiller à ne pas reproduire le management très vertical du monde juridique et dépasser certains a priori. « Vouloir recruter sans proposer un peu de télétravail est une erreur. Cela crée une impossibilité de pourvoir le poste, alerte Florent Muller (Urban Linker). Un management qui ne laisse pas place à l’autonomie du collaborateur nuit aussi car tout se sait très vite dans le secteur tech ». A l’inverse, des congés maternité et paternité plus longs que la moyenne peuvent attirer des candidats. Une révolution pour les professions libérales juridiques où la simple prise de la durée légale de ces congés n’est pas forcément bien accompagnée par la hiérarchie.
Thomas Saint-Aubin, juriste de formation « et toujours juriste », a choisi de « s’adapter puisqu’ il y a très peu de profils disponibles ». Ce qui passe par la prise en compte de deux typologies de candidats : « d’abord l’entrepreneur : au sein de Seraphin.legal, un tiers de nos talents viennent pour acquérir les compétences nécessaires avant que de se lancer. Il faut faire plus que l’accepter, il faut les accompagner ». Tout comme l’autre typologie de candidats, « ceux qui ont comme objectif de rejoindre la direction juridique d’un grand groupe pour y gérer, en tant que numéro 2, tout ce qui n’est pas juridique, le Legal opérationnel donc. Une immersion dans le numérique leur est nécessaire et elle dure environ trois ans ».
Gagner en reconnaissance et cohérence
Interrogé sur les actions autres que les initiatives individuelles susceptibles d’améliorer l'attractivité RH de la LegalTech, Thomas Saint-Aubin attend du monde juridique qu’il reconnaisse les spécificités du secteur et ses métiers : « nous différons du monde classique des juristes mais nous sommes toujours des juristes, dans un exercice nouveau certes. La reconnaissance passe, par exemple, par le développement des masters dédiés pour valoriser nos compétences spécifiques. Pour le moment on trouve essentiellement des diplômes universitaires », des formations complémentaires non reconnues nationalement.
Pour Kristina Colak, « si la LegalTech arrivait à exprimer son importance dans le monde des affaires et son impact positif sur l’environnement – nos solutions font disparaitre le recours au papiers, aux stylos-, cela aiderait grandement ». L’attractivité RH du secteur et des entreprises qui le composent passe donc par une structuration et une représentativité à la hauteur des enjeux.