Legaltech emploi, les spécificités | Banque des Territoires
Pénurie de compétences tech sur le marché de l’emploi, concurrence avec des start up plus séduisantes, besoins très spécifiques : les LegalTech peinent à recruter. Décryptage avec Florent Muller, COO d’Urban Linker, Thomas Saint-Aubin, co-fondateur de Seraphin.legal et Kristina Colak, Head of People chez Yousign.
Temps de lecture : 3 minutes
Kristina Colak
Head of people chez Yousign
Thomas Saint Aubin
Co-fondateur de Seraphin.Legal
Florent Muller
Chief Operating Officer (COO) d'Urban Linker
Des effectifs qui croissent de plus de 50% d'année en année et plus de 600 postes à pourvoir en 2022: le marché de l’emploi dans la LegalTech est dynamique, en écho aux ambitions affichées du secteur. Revers de la médaille, il pâtit de ses spécificités, notamment sa jeunesse : 52% des LegalTechs sont des structures de moins de 5 salariés. Dès lors, dans leurs recrutements, elles sont en concurrence avec des startups mieux financées, plus en vue et très gourmandes en compétences. Et toujours plus nombreuses : « en dix ans, dans le secteur tech, le nombre d’entreprises et de fonds d’investissements a cru de manière exponentielle. D’où de forts besoins de recrutements sur de profils spécifiques, constate Florent Muller, COO d'Urban Linker, un cabinet de recrutement spécialisé dans l’écosystème des start up et entreprises du digital. Mais l’alimentation en candidats ne suit pas ».
Un marché ultra pénurique et ultra concurrentiel
« Les LegalTechs peinent à grandir car il leur est difficile de trouver les compétences nécessaires, qui sont de plus en constante évolution » résume Thomas Saint-Aubin, co-fondateur de Seraphin.legal, un éditeur de solutions en SaaS pour la gestion de contrats, créé en 2017 et qui compte près de 30 collaborateurs. Un point de vue partagé par Florent Muller, dont le cabinet de recrutement intervient souvent après une levée de fond de série A ou B. Il parle d’un « marché ultra pénurique qui constitue un obstacle majeur au développement des LegalTech ». A cela s’ajoute le fait que les LegalTechs sont souvent positionnées sur un marché de niche : « l’attractivité RH est alors limitée, explique Kristina Colak, auparavant dénicheuse de talents spécialisée dans le digital, car la force de frappe financière est contrainte et les profils recherchés très spécifiques ». Yousign, que Kristina Colak a rejoint il y a 18 mois, n’est pas dans ce cas de figure. Acteur majeur de la signature électronique, sa cible est large et sa capacité financière importante. Mais même Yousign doit se confronter à « une guerre des talents ».
Recruter reste possible puisque la part des entreprises de plus de 50 salariés a explosé en 2021 : +133%. Yousign qui projette un effectif de 200 salariés avant la fin de l’été 2022 a pour cela déployé une stratégie RH très structurée : « Il faut bien évidemment un plan de recrutement, un budget, des personnes dédiées au talent acquisition mais aussi penser la coordination des équipes et la chronologie » souligne Kristina Colak dont l’entreprise accueille 8 à 12 personnes par mois. « Nous avons opté pour une date d’arrivée par mois, avec un process précis : trois jours communs à tous les entrants dédiés au partage d’informations relatives à l’entreprise puis un on-boarding par équipe au sein de chaque métier ».
Les profils techniques recherchés mais pas seulement
« Ingénieur développement, product owner, product manager mais aussi sales, marketeurs, la pénurie existe sur toutes les fonctions dans la tech, relate Florent Muller (Urban Linker) qui déplore que cette pénurie soit « devenue structurelle sur les profils tech par manque de formations supérieures dédiées. Bien souvent une offre d’emploi ne génère aucune candidature pertinente. A l’inverse, sur les postes commerciaux par exemple, nous avons beaucoup de candidatures mais elles sont peu pertinentes : il leur manque la dimension technologique – l’expérience de vente d’un SaaS typiquement ».
La pénurie sur les profils tech doit inciter les entreprises à travailler leur attractivité technologique et la valorisation de l’apport du candidat. « Il faut éviter de commencer le recrutement par un test de 3 heures ; mieux vaut d’abord échanger avec le candidat sur ses projections, ses attentes et insister sur les défis qu’il y à relever ou le niveau tech en interne, conseille Florent Muller. Un directeur technique de bon niveau, des projets open- source, des participations à des conférences et meetups tech constituent de vrais critères de choix d’entreprise pour un bon candidat ».
Autre défi, le recrutement d’expertises très spécifiques au secteur. « Tout ce qui touche à la sécurité est très prégnant dans la LegalTech. Il y a donc une forte recherche d’expertise eIDAS, la norme européenne de sécurité européenne ou encore d’expertise en matière de protection des données, sur différentes fonctions », pointe Kristina Colak (Yousign). « La LegalTech évoluant par définition dans un écosystème très réglementé, elle a aussi besoin de juristes disposant de compétences digitales ou technologiques, confirme Thomas Saint-Aubin (Seraphin.legal). Or, les juristes issus des masters numériques sont formés à la régulation, pas à l’opérationnel ou à la culture numérique». Face à ces manques et à l’évolution ultra-rapide des problématiques à traiter, certains acteurs ont porté des initiatives pour dispenser les compétences nécessaires.