Chiffres Legaltech : emploi et chiffres d’affaires

Le poids de la LegalTech française ne peut se résumer aux seuls chiffres arrêtés. Outre qu’il convient de les inscrire dans une dynamique, il faut aussi y intégrer tous les ressorts de ce marché si atypique. Car si certains ressorts ont pu brider son développement, d’autres recèlent un potentiel très conséquent.

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A s’en tenir aux seules statistiques, une évidence s’impose : le poids de la LegalTech dans la French Tech est minime. Pour preuve : le volume des montants levés par la LegalTech ne représente que 0,7% du total des investissements en 2021 toutes start-up confondues. Mais une telle approche revient à occulter les nombreuses spécificités de ce secteur : contraintes de marché, caractéristiques des clientèles ou encore le fait qu’il s’y joue un enjeu de souveraineté.

 

LegalTech, un secteur très spécifique qui doit être reconnu comme tel

« Il y a un enjeu de souveraineté et d’éthique car certains acteurs internationaux majeurs proposent déjà des solutions d’arbitrage en ligne, explique Gaëlle Marraud des Grottes, Directrice Influence chez Eliott & Markus et secrétaire générale de la Fédération française des professionnels de la blockchain. « Il est donc essentiel de leur opposer des acteurs français et européens ». Ainsi, Facebook confronté au problème de censure de certains contenus, a conclu qu’il ne pouvait plus prendre seul la décision de retirer du contenu et a décidé de mettre en place une « cour d’appel » pour contenu controversé. C’est aussi le cas de eBay et Cisco (cf. Le Rapport sur l’arbitrage en ligne des clubs des juristes, avril 2019). Cet enjeu de souveraineté est une des spécificités du secteur qui, pour l’heure, pèse peu économiquement quel que soit le paramètre. Ainsi les levées de fond en 2021 ont atteint 85 millions d’euros, une belle performance comparée aux 52,1 millions d’euros levés en 2020. Mais rapporté aux  11,6 milliards d’euros levés pour l’ensemble de la French Tech (contre 5,4 milliards en 2020), cela reste bien peu.

 

Des investissements corrélés aux spécificités du marché et des clientèles

Particuliers, entreprises, professions juridiques, de prime abord, le marché peut paraître diversifié et touffu. Mais, première limite, c’est un marché très réglementé, avec des monopoles professionnels attachés, notamment, au statut d’officier public ministériel ou encore à une déontologie exigeante. Seconde limite : « le marché européen du droit n’est pas unifié et l’accès aux marchés anglo-saxon ou américain est complexe » souligne Gaëlle Marraud des Grottes. Ce qui explique que près de 60% des LegalTechs ne visent que le marché français (Baromètre Maddyness / Wolters Kluwer / Banque des Territoires Les LegalTechs françaises, tendances 2021).

Côté clientèle, le secteur est quasi exclusivement positionné sur du B to B, avec une forte représentativité de la cible clients entreprises. La part des professions juridiques clientes des LegalTechs augmente mais le coût d’acquisition clients avocats est largement supérieur au coût d’acquisition entreprise. La plupart des solutions requiert une conduite du changement conséquente et un investissement en temps homme du fournisseur de la solution important.

Dès lors il n’est pas étonnant que la LegalTech ne soit pas identifiée comme un secteur à part entière dans le recensement opéré par la French Tech pour l’éligibilité à son programme Next40/120, quelle que soit la catégorie considérée (Next40, levée de fonds ou chiffre d’affaires )les entreprises du secteur ne remplissent pas les critères exigés (chiffre d’affaires, volume des levées de fonds, etc.).

Les critères d'éligibilité au programme French Tech

© French Tech

Captaincontrat, Predictice, Doctrine, Hyperlex, Call A Lawyer, ou encore legalstart.fr : le secteur comporte de belles marques mais pas encore une strate de champions susceptibles d’entraîner une dynamique, à la fois modèle et business angel. Une structuration de l’écosystème est essentielle pour accompagner l’émergence de scale up, centaure ou autre licorne. Ainsi le tour de table le plus important dans ce secteur en 2021, celui de Yousign, ne représente que 5,1% du tour de table le plus important de l'année réalisée par une start-up. Et aucune série B n’a encore été recensée.

 

Des freins endogènes à une structuration du marché

Une autre spécificité tient à la typologie des investisseurs. « Contrairement au reste de la French Tech, la LegalTech ne dispose pas de serial entrepreneurs susceptibles de devenir des business angels apporteurs de smart money » souligne Gaëlle Marraud des Grottes. En effet, dans la tech, il est fréquent qu’un investisseur en plus des capitaux apporte son expertise, son réseau, son expérience, et sa vision. Or ce type de tuteurs est quasi absent dans la LegalTech, ce qui est un nouveau frein au développement des jeunes pousses et donc à la structuration du marché.

Pas de serial entrepreneurs business angels, aussi, car le profil des fondateurs de LegalTech est très atypique (cf. Baromètre Maddyness / Wolters Kluwer / Banque des Territoires Les LegalTechs françaises, tendances 2021) : plus des trois quarts des fondateurs ont un profil juridique. Si ces profils garantissent l’adéquation des solutions aux besoins du marché, cela ne les qualifie pas forcément pour être customer centric contrairement aux profils commerciaux, très répandus dans la French Tech. « A cela s’ajoute une autre spécificité : les KPI de la LegalTech ne sont pas facilement compréhensibles pour les investisseurs. Il y a un travail de fond à mener ici pour asseoir la confiance des investisseurs extérieurs à ce secteur » indique Gaëlle Marraud des Grottes.

Les choses sont sans doute en train de changer puisque dans le baromètre précité, 37% des jeunes pousses indiquaient avoir reçu en 2021 des offres d’acquisitions dont certaines en provenance de corporates. « Mais là encore ce secteur est très atypique : il comporte plusieurs belles start-up rentables, mais sous les radars. La discrétion est une valeur forte sur ce marché » souligne Gaëlle Marraud des Grottes.

 

Emploi et chiffres d’affaires : une belle dynamique et du potentiel

Fin 2021, les 11 000 startups de la French Tech comptaient près de 250 000 employés (soit une moyenne de 23 salariés par start up) dont 30 000 salariés pour la seule Fintech dont les effectifs pourraient atteindre 40 000 personnes fin 2022. Ici aussi, la LegalTech semble à la traîne puisque 52% restent des petites structures de moins de 5 salariés selon le Baromètre Maddyness / Wolters Kluwer / Banque des Territoires Les Legaltechs françaises, tendances 2021. Mais les ambitions et les intentions d’embauche sont conséquentes : selon une étude France Digitale, plus de 600 postes sont à pourvoir en 2022 alors même que le secteur ne compte que 150 à 200 entreprises. Un double obstacle se dresse sur ce chemin : le fort besoin de profils très techniques, lesquels sont préemptés par des secteurs tech plus attractifs.

L’évolution de la métrique chiffre d’affaires est aussi plus qu’encourageante. Toujours selon l’étude France digitale, les LegalTechs françaises génèreront plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022. Certes cela peut paraître très peu puisque la plus petite des start-up de l'indice FrenchTech 120 a réalisé un chiffre d'affaires de 18,7 millions d’euros en 2021. Mais là encore il faut regarder la dynamique plus que les seuls chiffres : la part des entreprises déclarant un chiffre d'affaires compris entre 10 et 30 millions d'euros a augmenté de 183% en un an, le nombre d'entre elles générant entre 5 et 30 millions d'euros de chiffre d'affaires a doublé et 27% des jeunes pousses interrogées déclarent avoir une croissance supérieure à 100% (Baromètre 2021, précité). L’international y joue un rôle indéniable : « la part des entreprises ayant des bureaux à l’étranger ne cesse de croître, et la part des clients étrangers des LegalTechs françaises augmente, également. Certaines start-up qui déploient des solutions de contract management, de sécurisation des données, notamment grâce à une infrastructure blockchain, ou encore de gouvernance, sont exportables par nature » indique Gaëlle Marraud des Grottes.

Signal intéressant : DiliTrust, positionnée sur la digitalisation des instances, la gestion des entités juridiques, des contrats, des litiges et contentieux, a clôturé en mai 2022 une opération financière majeure, la plus importante du secteur en France voire en Europe à ce jour, avec 130 millions d’euros investis par des acteurs prestigieux Cathay Capital, Eurazeo et Sagard. Avec cette opération, l’entreprise, déjà présente dans près de 50 pays en Europe, en Amérique Latine, au Moyen-Orient et en Afrique, entend notamment accélérer son développement à l’international.

 

La next step : la “legal data intelligence”

La LegalTech qui connaît un développement moins fulgurant que d’autres secteurs voisins en raison de toutes les caractéristiques mentionnées, a pour autant un fort potentiel. D’abord, parce que l’environnement réglementaire prolixe en termes de renforcement des obligations des acteurs économiques (devoir de vigilance, ESG, etc.) ainsi que les évolutions technologiques (NFT, métavers, etc.), favorisent l’innovation. Avec à la clé un meilleur pilotage de la gestion des risques et plus de temps pour s’investir dans l’amélioration de la relation avec leurs propres clients.

Ensuite, autre tendance du marché, l’interopérabilité entre solutions. « Des start-up comme Lupl, Monjuridique.infogreffe ou encore SeedLegals permettent de gérer efficacement plusieurs solutions de digitalisation grâce à des synergies entre les data sets propres à chaque solution (table de capitalisation et droit de vote dans les instances, levée de fonds et BSPCE, etc. »).« La legal data intelligence, c’est la tendance émergente » souligne Gaëlle Marraud des Grottes. D’où pour les entreprises et professionnels du droit la possibilité de reprendre la main sur la donnée stratégique.

Enfin, parmi les leviers, le process mining c'est à dire « la mise en place d’une stratégie de cartographie numérique qui va permettre d’identifier rapidement dysfonctionnements et leviers de performance au sein d’une entreprise ».

Trois axes qui illustrent la réserve de puissance de La LegalTech, un secteur encore dans sa petite enfance.