Notarly, interview de sa fondatrice Lucie Schweizer

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Vous êtes diplômée d’un Master Etudes & Marketing Quantitatif de l’IAE Grenoble. Comment en arrive-t-on à fonder une LegalTech dédiée au notariat ?

Lucie Schweizer : Le fil rouge de mon parcours se résume ainsi : faire parler les chiffres. Déjà au lycée, j’étais fascinée par la datavisualisation et la puissance explicative des graphiques. J’ai donc envisagé le journalisme. Mais le parcours était trop académique. J’ai donc opté pour une formation en marketing quantitatif au sein d’un IAE (ou institut d'administration des entreprises). Ma carrière professionnelle a débuté en 2013 chez YouGov, un acteur britannique du secteur des instituts d’études de marché. Après 5 ans, j'ai eu envie d'autre chose. Très curieuse de l'écosystème start up et en 2018, j’ai intégré Toucan Toco, une jeune startup qui voulait réenchanter le monde de la business intelligence avec leur outil de data visualisation simple et design.

Arrive 2020 et le premier confinement durant lequel je découvre le notariat, par l’intermédiaire de ma compagne et désormais associée, Clémentine Klein, qui travaillait alors chez Lacourte & Associés à Paris. Je réalise que c’est une profession qui ne dispose pas d’outils collaboratifs. Et quand Clémentine rejoint une plus petite étude en tant que chef du service Famille, c’est le manque d’outils managériaux et de vision sur la gestion des dossiers clients qui m’interpelle. Commence à germer l’idée d’une application pour aider les collaborateurs à prioriser leur travail.

Comment êtes-vous passé de cette idée d’aider les collaborateurs à cette solution plus large de gestion des offices notariaux ?

Lucie Schweizer : Tout part du constat que les collaborateurs d’offices ont besoin d’outils, pour faire face à une charge de travail très conséquente, avec des effets parfois dramatiques. En 2019 un classement réalisé par Choose my company positionnait les clercs de notaire en première place des salariés les moins heureux et moins motivés ⁽¹⁾. Le bien-être au travail est un vrai sujet au sein du notariat.

C’est en échangeant avec des notaires, souvent créateurs d’offices ⁽²⁾, que nous avons élargi notre réflexion. Ils nous ont aidé à appréhender plus globalement les enjeux qu'il y avait dans la gestion de l'office. Et ils ont confirmé notre intuition : la business intelligence pouvait aider les notaires à structurer l'office, à optimiser leurs processus de travail. En avril 2021 sort notre premier prototype, qui évolue au gré du retour des utilisateurs qui sont au cœur du développement. La commercialisation démarre en février 2022. En octobre 2022, à l’occasion du Congrès des notaires, nous avons officialisé le lancement de la dernière version de Notarly - plus design, plus simple, plus collaborative. Et l’accueil a été très bon !

Le notariat, en termes d’offices, d’expertises ou de personnes, est très divers. Comment votre solution s’adapte-elle à cela ?

Lucie Schweizer : Nous nous inspirons de cette diversité. Le notaire dirigeant doit remplir trois fonctions, très chronophages et qui demandent des compétences très différentes : être un chef d’entreprise, être un manager et être un juriste. Souvent le management est laissé pour compte et c’est une dimension qui, il y a encore peu de temps, n’était que peu présente dans les formations. S’ajoute à cela des enjeux connexes dont le fait que le volume d’activités y est très fort, alors que le notariat est confronté à une pénurie des collaborateurs. D'où l'importance pour les notaires de fidéliser leurs équipes.

Notre solution est une application d’aide à la décision sur trois aspects : le développement de l’office, le management des collaborateurs et le suivi des dossiers. Elle est compatible avec les logiciels de rédaction d’actes puisqu’il s’agit de valoriser les données qui s’y trouvent pour donner une vision synthétique et priorisée de l’activité de l’office, via des tableaux de bord faciles à comprendre.

Les besoins étant très différents selon la taille de l’office, nous disposons de trois offres ajustées au volume d’activité. La tarification ne se fait pas au nombre d’utilisateurs mais bien au regard de l’étude. Il ne doit pas y avoir de barrière à l'adoption de l'outil et chaque notaire doit pouvoir mettre Notarly entre toutes les mains.

En cette fin 2022, première année de commercialisation, quelle est votre clientèle et votre perception du marché ?

Lucie Schweizer : Les créateurs d’office constituent la très grande majorité de notre clientèle. Mais la diversification est initiée et nous comptons aujourd’hui des offices aux effectifs plus importants dans notre portefeuille. C’est logique au regard de l’appétence actuelle du notariat pour la technologie. L’innovation, avec la signature électronique, les data room ou la blockchain, est présente depuis plusieurs années dans ce secteur. Comme pour bien d’autres professions, le premier confinement a déclenché l’appropriation de ces outils et toute une série d’évolutions. Je suis très digitalisée et lorsque j’ai découvert en 2020 les outils utilisés par le monde notarial, ce fut une surprise : ils étaient très datés, peu intuitifs. Et même si on notait une vraie volonté de se digitaliser dans la plupart des offices, il y avait de la pédagogie à faire auprès des notaires autour des nouveaux outils, notamment dans les offices "classiques". Sur les 18 derniers mois, j’ai la sensation que les notaires ont pris conscience des enjeux liés au management et à la digitalisation et du fait qu’ils se répondent. Ils ont compris qu’ils contribuent à la qualité de vie au travail lorsqu’ils proposent des outils gains de temps, simplificateurs du quotidien et qui ne surchargent pas le collaborateur de notifications négatives. La meilleure preuve de cette évolution c’est que certains acteurs traditionnels commencent à mettre à disposition leurs solutions dans une version mobile.

Au-delà de la seule cible notariale ou BtoB, quel regard portez-vous sur la LegalTech ?

Lucie Schweizer : Je ne connais ce secteur dans sa globalité que depuis deux ans ! Le Legal to Business m’apparait comme en pleine expansion : les utilisateurs finaux, les professions réglementées en particulier, sont désormais ouverts aux process digitaux quand auparavant la technologie était souvent perçue comme vecteur de remplacement de l’humain. Le BtoB me semble en termes de dynamisme au même niveau que le Legal to consumers, un secteur qui se renouvelle sans cesse. Je pense par exemple à Pappers, qui après un accès gratuit et illimité aux informations juridiques des entreprises françaises, vient de lancer un nouveau site : Pappers Justice afin d’accéder aux décisions de justice ⁽³⁾.

Quel est le prochain défi de Notarly ?

Lucie Schweizer : Pour accélérer son développement, Notarly est incubé à la technopole de la Réunion. Dans ce cadre et en partenariat avec le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et le Laboratoire de recherche en management de l’Université Paris Dauphine, nous menons une enquête sur la Qualité de Vie au Travail (QVT) dans les études notariales ^{(4 et 5)}. L’objectif est de mesurer le niveau de cette QVT et d’identifier les facteurs d’amélioration ou de dégradation du bien-être de cette profession si particulière, tournée vers l’intérêt général.

1. Classement Choose my company 2019 : https://etudiant.lefigaro.fr/article/classement-des-20-metiers-les-plus-detestes-en-2019_db620820-547d-11e9-b11d-b90b43d16f3d/
2. Sur la réforme contenu dans la loi du 6 aout 2015, dite loi Macron : https://www.vie-publique.fr/en-bref/281376-installation-de-nouveaux-notaires-une-hausse-ralentie#:~:text=Avec%20la%20%22loi%20Macron%22%20du,%22d'installation%20libre%22.
3. Sur Pappers et son nouveau site : https://www.lemondedudroit.fr/professions/337-legaltech/83254-pappers-lance-nouveau-site-pappers-justice.html
4. Sur l’étude menée par Notarly sur la QVT au sein des études notariales : https://notarly.fr/a-propos
5. Pour participer à l’enquête sur la QVT au sein des études notariales (lien d’inscription)