Coopération transfrontalière - Le transfrontalier, parent pauvre des politiques européennes
Lignes ferroviaires, soins de santé, gestion de l'eau, échanges universitaires, dumping fiscal... les rapports de voisinage entre les Etats ont un impact très concret sur les habitants des zones frontalières, mais peuvent vite devenir un handicap lorsque la coopération fait défaut.
Naturelle pour les citoyens vivant au carrefour de plusieurs pays, la collaboration entre les territoires l'est beaucoup moins dans les administrations de l'Etat. "Le transfrontalier n'est pas sécularisé", résume Olivier Denert, secrétaire général de la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT), à l'initiative d'une conférence à Paris, le 24 octobre.
Dans les ministères français, le suivi de ces questions est "souvent assez limité, non systématique et parfois inexistant", souligne l'organisation. Les services déconcentrés (préfectures, directions régionales...) ne s'en occupent pas suffisamment non plus, par manque de moyens humains.
Plutôt que de naviguer à vue, la création d'un comité de pilotage interministériel (comme il en existe déjà dans les domaines de l'éducation, l'agriculture, l'innovation...) permettrait d'éviter les "décisions contradictoires", estime la MOT, conséquence du fonctionnement cloisonné des ministères sur le thème éminemment transversal des frontières.
Accrochages avec l'Etat
"On souffre d'un déficit d'animation au niveau national", reconnaît Eric Berthon, adjoint au secrétaire général pour les affaires régionales (Sgar) à la préfecture de Midi-Pyrénées. Il n'y a pas de "circulaires pour appliquer les politiques transfrontalières". La construction européenne a bien sûr pesé dans l'effacement des tracés nationaux. Mais même sans l'UE, les principaux intéressés se prennent parfois en main pour résoudre leurs difficultés. A l'instar des travailleurs frontaliers de France et de Suisse, à l'origine d'une association créée dans les années 1960 pour venir en aide aux actifs en quête de couverture sociale ou prisonniers de la double imposition.
Depuis 2006, les collectivités disposent tout de même d'un outil spécifique, baptisé "groupement européen de coopération territoriale" (Gect), leur permettant de donner une existence juridique et un budget cohérent à leurs projets transnationaux. "Le Gect va devenir l'instrument de base de la coopération transfrontalière, prédit Michel Delebarre, sénateur-maire PS de Dunkerque. Mais je ne peux pas garantir que tous les préfets soient vaccinés !"
"Les choses n'ont pas énormément évolué dans les Sgar, estime Joël Giraud, vice-président de la région Paca. Ils se considèrent toujours comme les dépositaires d'une autorité ne collaborant pas avec les collectivités locales." L'avis de l'Etat dans la mise en oeuvre du programme franco-italien Alcotra continue d'être déterminant, observe-t-il, même si la participation financière nationale (1,7 million d'euros) est nettement inférieure à celle des collectivités françaises (8 millions).
Des bébés nés en France et à l'étranger ?
Les accrochages avec l'Etat sont loin d'être la seule embûche, tant le mot de coopération dissimule parfois des réalités plus complexes. Le Gect Alpes-Méditerranée est par exemple entravé par les velléités nationalistes de son président, Roberto Cota, proche de Berlusconi, plus sensible à l'indépendance de l'Italie septentrionale qu'à la construction européenne.
Au-delà des sectarismes locaux, il n'est pas rare de voir les relations entre les collectivités tourner à la bagarre quand il s'agit d'obtenir le pilotage des projets... et la réalisation de ces derniers n'est pas moins complexe. A mesure qu'ils avancent dans leur coopération, les élus sont aux prises avec d'innombrables obstacles. Quel fournisseur d'électricité choisir pour alimenter l'hôpital transfrontalier de Puigcerda quand l'Espagne souhaite privilégier son opérateur Endesa mais qu'ErDF fait une offre beaucoup plus intéressante ? Et quel statut donner aux nouveau-nés pris en charge dans un établissement franco-ibérique situé en territoire espagnol ?
Les équipes s'efforcent de se frayer un chemin, entre créativité et diplomatie. Et proposent par exemple qu'une commune voisine située à 2 km de l'hôpital de Puigcerda puisse établir les actes de naissance des enfants français, évitant ainsi aux parents d'avoir à se déplacer au consulat de Barcelone...
Au casse-tête juridique, la crise ajoute une couche supplémentaire de difficultés. "Nous assistons à la disparition de la quasi-totalité des projets menés par la communauté Montana", constate Joël Giraud. Ce regroupement intercommunal en Val d'Aoste, moteur du programme Interreg Alcotra, a vu ses budgets fondre à la suite d'une réforme de Berlusconi.
Coup de rabot
Les communes "n'arrivent plus à suivre pour les programmes en cours, et je ne sais pas quels seront les porteurs de projet locaux à l'avenir". Des doutes émergent également sur le devenir des accords transfrontaliers impliquant les provinces italiennes, échelon que le gouvernement Monti veut fusionner ou rayer de la carte. Reste également à trancher le budget que Bruxelles pourra allouer. La Commission propose de consacrer 11,7 milliards d'euros aux programmes Interreg pour 2014 et 2020, soit un peu plus de 3% du budget de la politique de cohésion, quand les parlementaires européens réclament 7%...
Et c'est sans doute ce volet qui est le plus menacé par le coup de rabot des Etats. Un paradoxe au moment où Bruxelles leur demande de mieux aiguiser leur stratégie de coopération territoriale en y consacrant un développement dans l'accord de partenariat qu'ils signent avec la Commission sur l'utilisation des fonds régionaux. Dans la même veine, l'eurodéputée UMP Marie-Thérèse Sanchez Schmid, à l'origine d'un rapport d'initiative adopté l'an dernier, propose que les fonds soient directement affectés aux programmes de coopération territoriale, plutôt qu'aux Etats tentés de les utiliser à d'autres fins.