Le Sénat vote un texte pour favoriser l'habitat dans les territoires ruraux
Le Sénat a adopté ce 8 décembre en première lecture une proposition de loi centriste visant à favoriser l'habitat dans les territoires ruraux en déprise démographique, en desserrant les contraintes d'urbanisme qui pèsent sur les communes.
A l'heure du "zéro artificialisation nette" prévu par la loi Climat et Résilience, les sénateurs ont adopté ce 8 décembre en première lecture une proposition de loi centriste "tendant à favoriser l'habitat en zone rurale tout en protégeant l'activité agricole et l'environnement". "La moitié des communes de ma communauté de communes sont en perte de vitesse démographique, a exposé en séance l'auteur du texte, Pierre Louault (UC-Indre-et-Loire). Le code de l'urbanisme prévoyant la prise en compte de l'évolution de la démographie, il n'est plus possible de construire. Bref, on dit aux communes pauvres : puisque vous êtes pauvres, vous n'avez droit à rien !". "Nos règles d'urbanisme sont adaptées aux territoires urbains et périurbains mais empêchent toute possibilité de construire dans les territoires ruraux", a estimé le sénateur.
Avant l'examen du texte, lors des questions au gouvernement, Jean-Marc Boyer, sénateur LR du Puy-de-Dôme avait brandi des arguments similaires devant le secrétaire d'Etat chargé de la ruralité, Joël Giraud : "L'artificialisation des sols est causée à 71% par 10% des communes, les métropoles surtout. Et c'est la ruralité qui paie le prix fort, avec des refus de permis de construire et d'autorisations d'urbanisme (…). Les exemples se comptent par centaines. Maison d'habitation pour un agriculteur sur son propre terrain ? Refus. Construction sur un terrain traversé par une voie communale ? Refus. Toujours au nom de la continuité. À l'heure où la crise sanitaire entraîne un exode urbain, nos villages ne veulent pas être les boucs émissaires d'un urbanisme débridé." "Avec la loi 3DS, il sera plus facile pour les maires de mobiliser des biens vacants, a répondu Joël Giraud. Des solutions existent. Un PLUi [plan local d'urbanisme intercommunal ou une carte communale, document très simple, permettent de s'affranchir de RNU [règlement national d'urbanisme]et de retrouver des capacités à construire. La loi Montagne, très protectrice, autorise la construction même en discontinuité lorsque la situation le justifie. Cela suppose un dialogue entre les collectivités locales et les services de l'État. Il y a des marges de manoeuvre. L'enjeu réside dans la capacité des élus à les mettre en oeuvre..."
Périmètre initial revu
La proposition de loi, qui a été adoptée juste après, dans le cadre d'une "niche" du groupe centriste, entend, elle, desserrer les contraintes d'urbanisme qui pèsent sur les communes rurales en déprise démographique. Le choix de ces dernières a été fait par la rapporteure, Valérie Létard (UC-Nord), lors de l'examen du texte par la commission des affaires économiques car initialement, la proposition de loi visait le périmètre des zones de revitalisation rurale (ZRR). "Les ZRR concernant près de la moitié des communes françaises et au moins un quart des EPCI, des dérogations trop larges pourraient remettre en question tant la pertinence des documents locaux de planification, qui portent les projets des élus locaux, que la gouvernance des territoires, a justifié la rapporteure en commission. Que dire à une commune non classée, dont la voisine classée en ZRR bénéficierait de possibilités décuplées ? Comment revoir les PLUi pour éviter les effets de compétition ? En outre, ce ciblage est variable et l'avenir des ZRR incertain". C'est donc un critère alternatif qui a été retenu, celui de "communes peu denses en déprise démographique", dont le territoire est principalement constitué aujourd'hui de zones non constructibles au titre du droit de l'urbanisme.
L'ambition du texte est de "donner la possibilité de vivre sur un territoire rural, ça doit devenir un droit et non plus un interdit", a affirmé Pierre Louault, demandant "un peu de souplesse". "On n'ouvre pas la boîte de Pandore et on ne laisse pas faire n'importe quoi", a-t-il assuré. Le texte a été resserré en commission "pour mieux cibler le coeur de la ruralité française", a précisé Valérie Létard. "Les élus des zones rurales sont aujourd'hui soumis à des injonctions contradictoires (...) enrayer le déclin démographique et économique de territoires ruraux en déprise (...) mais aussi assurer l'avenir du secteur agricole français et mieux protéger nos sols de l'artificialisation", a-t-elle souligné.
Garde-fous en matière d'urbanisation
Après plusieurs mesures de portée générale telles que l'inscription des objectifs de revitalisation rurale parmi les grands objectifs du code de l'urbanisme (art.1er), l'article 2 du texte, qui propose de créer au sein de ce même code un chapitre nouveau comportant des règles spécifiques et dérogatoires au profit de ces communes, constitue le cœur du dispositif. Sur proposition de la rapporteure, la commission a adopté plusieurs amendements visant toutefois à prévoir certains garde-fous. Les assouplissements portant sur la constructibilité et les changements de destination ont été recentrés sur l'objectif de création de logement ou d'hébergement, "afin de ne pas détourner les zones agricoles de leur vocation première", selon la synthèse du rapport de la commission. Autre proposition de la rapporteure retenue par la commission : fonder la possibilité de construire en continuité de l'urbanisation sur le périmètre actuel des zones urbanisées, "pour éviter les effets de ricochet". La dispense de compatibilité des documents locaux aux schémas de cohérence territoriale (Scot) et aux schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) a aussi été supprimée car jugée "disproportionnée", d'autant que ses objectifs "peuvent être atteints par d'autres moyens". En séance, les sénateurs ont aussi voulu permettre au PLU de réglementer l’aspect, l’implantation et les dimensions des constructions autorisées. L'article 3 du texte vise à prendre en compte des spécificités des zones rurales lors de la fixation des objectifs chiffrés de réduction de la consommation d'espace des Scot. Deux amendements identiques ont été adoptés en séance pour améliorer cette prise en compte des projets de développement rural des petites communes au sein des Scot. Ils s'inscrivent "dans le prolongement du travail du Sénat sur la loi Climat et Résilience pour garantir que les objectifs chiffrés de réduction de l'artificialisation des sols prendront en compte la diversité des territoires et des besoins en matière de développement rural et de revitalisation", a expliqué Valérie Létard.
Incitations fiscales pour le logement
Autre disposition importante du texte, le soutien à l'effort de réhabilitation et de modernisation du parc de logement en milieu rural (art.4). Initialement, la proposition de loi voulait étendre le bénéfice de la réduction d'impôt "Pinel" à l'investissement locatif dans les communes classées en zones de revitalisation rurale (ZRR), que celles-ci se situent en zone tendue ou non. Plutôt que l'extension du dispositif "Pinel", qui soutient principalement la construction de logements collectifs, la rapporteure a proposé en commission une extension à la fois temporelle – 2025 contre 2022 aujourd'hui - et géographique du "Denormandie dans l'ancien", ciblé sur la réhabilitation du bâti ancien pour créer du logement locatif dans les communes peu denses en déprise démographique à fort taux de vacance.
Sur proposition de Valérie Létard, la commission a aussi voulu "insuffler une forme de territorialisation à la politique de revitalisation", en permettant aux collectivités locales de participer à la détermination des "zonages pertinents" pour le présent texte, s'inspirant en cela de l'expérimentation du "Pinel breton" qui s'appuie sur l'échelle régionale. Les articles 2 et 4 prévoient ainsi que les intercommunalités d'un périmètre départemental proposent au préfet de département une liste des communes concernées par des mesures d'incitations fiscales ou d'assouplissements urbanistiques, "au regard éventuellement de critères qui pourront être encadrés par voie réglementaire", selon la synthèse du rapport.
"Sécuriser le droit au logement des agriculteurs"
Pour faciliter l'exercice d'activités agricoles, la proposition de loi entend aussi "sécuriser le droit au logement des agriculteurs à proximité de leur exploitation" (art. 5). Selon une nouvelle rédaction adoptée en commission, le bénéfice de la dérogation sera ainsi attaché aux besoins de l'exploitation, et non à la personne de l'exploitant. Le texte permet aussi à l'autorité compétente d'édicter des prescriptions relatives au logement édifié, prévoit un avis simple de la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) sur le projet, et un encadrement réglementaire. Enfin, tout changement de destination sera interdit pendant une durée de dix ans. Un seul amendement a été adopté en séance. Pour ne pas risquer de créer de l'habitat diffus, le terme "à proximité de l'exploitation" a été remplacé par "en continuité".
L'article 6, réécrit suite à plusieurs amendements en séance, vise en outre à renforcer l’article L.113-8 du code de la construction et de l’habitation qui protège les agriculteurs déjà installés contre les recours abusifs pour troubles de voisinage.
Enfin, l'article 7 prévoit de modifier la composition des CDPENAF afin de prévoir que, dans les départements dont le territoire comprend des ZRR, au moins l'un des représentants des collectivités territoriales siégeant au sein de la commission soit issu des communes ou EPCI situés en ZRR. Après cet article, les sénateurs ont aussi voté un article additionnel pour "faire émerger une forme de ' doctrine' lisible et cohérente" des CDPENAF.
Saluant un "travail constructif", la secrétaire d'Etat chargée de la Biodiversité Bérangère Abba a relevé que nombre de ses dispositions existent déjà dans le droit actuel. Si elle a reçu un "avis favorable" à gauche des groupes PS et CRCE à majorité communiste, le groupe écologiste s'est prononcé contre la proposition de loi. "D'une manière générale les dispositions du texte viennent à l'encontre des enjeux de préservation des espaces naturels agricoles ou forestiers de la loi Climat et Résilience", a estimé Daniel Salmon, sénateur d'Ille-et-Vilaine, membre d'Europe Écologie Les Verts.
Pour poursuivre son parcours, la proposition de loi doit encore être inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.