Politique de la ville - Le Sénat veut déclencher un "électrochoc républicain" pour les banlieues
Le Sénat va créer une instance transpartisane et transcommission, où les élus locaux seront bienvenus, pour réfléchir à l'avenir des banlieues et à la manière de susciter un "électrochoc républicain" en leur faveur. L'annonce a été faite en clôture d'une matinée organisée le 19 juillet à l'initiative du président Larcher et des sénateurs Philippe Dallier et Patrick Kanner. Les sujets abordés constituent un bon programme de travail pour la future instance.
Qui a dit que les sénateurs se désintéressaient de la politique de la ville ? Pas Sophie Primas en tous les cas. La sénatrice des Yvelines a annoncé le 19 juillet la création d'un "baromètre des banlieues", une instance au sein de la commission des affaires économiques qu'elle préside. Cette instance, transpartisane, réunira des sénateurs de toutes les commissions permanentes et accueillera des élus locaux, pour "travailler sur le temps long", nous a précisé Philippe Dallier, sénateur de Seine-Saint-Denis.
La nouvelle instance se constituera en septembre prochain. Elle pourrait commencer par se pencher sur le débat budgétaire de l'automne mais aussi sur la notion de "différenciation territoriale" introduite dans la future réforme constitutionnelle. Il n'est pour le moment pas question de préparer une proposition de loi spécifique aux banlieues.
"L'électrochoc est une technique médicale pour traiter la dépression"
L'annonce de la création de cette instance a été faite en clôture d'une matinée intitulée "Banlieues : pour un électrochoc républicain", organisée au Sénat sous le haut patronage de Gérard Larcher qui a assisté à toutes les tables rondes, et à l'initiative de Philippe Dallier et de Patrick Kanner, sénateur du Nord et ministre en charge de la politique de la ville sous le précédent gouvernement. "L'électrochoc est une technique médicale pour traiter la dépression", s'est amusé le président du Sénat en concluant la matinée. Et si la création du baromètre ne va sans doute pas traiter tous les maux des banlieues, la proposition de Sophie Primas lui plaît bien. C'est pour lui la preuve que "nous ne sommes pas que l'assemblée du seigle et de la châtaigne"*. Il lui semble aussi "utile de porter une dynamique nouvelle" qui pourrait "redonner confiance aux maires".
"On fait de l'homéopathie alors qu'il faudrait un traitement de cheval"
"Aujourd'hui, on fait de l'homéopathie alors qu'il faudrait un traitement de cheval", a déclaré Philippe Dallier après avoir listé les annonces du gouvernement sur les banlieues depuis le discours de Tourcoing d'Emmanuel Macron en novembre à la feuille de route présentée la veille en conseil des ministres par Jacques Mézard. "Oui la politique de la ville coûte cher, mais si on ne fait rien, on se dira quoi dans 10 ans ?", s'est-il exclamé. "On a mis des sommes colossales dans les quartiers parce que pendant des années on n'avait rien mis, on les a laissé crever !", a estimé de son coté Patrick Kanner.
"On a l'impression que des sommes considérables sont déversées dans les quartiers", mais ce n'est qu'une "impression", a rappelé le sociologue Renaud Epstein, maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. "Tous les rapports montrent avec constance que les quartiers prioritaires de la politique de la ville bénéficient de moins de moyens que les autres", assure-t-il. Il fut d'ailleurs beaucoup question, durant cette matinée, du rapport sur "l’Evaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis", des députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LaREM). Renaud Epstein suggère de renouveler l'exercice pour les autres territoires de la politique de la ville, aussi bien "à Grigny qu'à Vierzon" pour "objectiver" les discours sinon, "la population restera bloquée sur un discours délétère, mortifère pour la France, qui consiste à opposer les quartiers populaires et le reste de la France". Le sociologie voit également d'un bon oeil l'idée de "Cour d'équité territoriale" développée dans le rapport Borloo.
"La politique de la ville est une politique de temps long"
Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, suggère quant à lui de réfléchir sous l'angle "culturel". L'enjeu des banlieues n'est selon lui "ni social, ni économique, ni urbain", "l'enjeu est d'ordre culturel". "C'est avec cet angle de vue qu'il faudrait aborder les questions de fondamentalisme et de communautarisme", sachant que cela implique "une politique de longue haleine". Il estime également que "tant que nous n’aurons pas redonné dignité et fierté, toutes les politiques sociales ne pourront pas être opérantes".
"La politique de la ville est une politique de temps long", aprouve Frédéric Leturque, maire d'Arras, vice-président de la communauté urbaine. "On ne peut pas faire une politique de la ville dans la violence en mettant sur la table des sujets caricaturaux et en baissant les moyens". Et d'ailleurs, question budgétaire : "nous n'avons pas tous besoin des mêmes moyens, ni des mêmes outils, parce que nous ne vivons pas tous la même réalité".
"La générosité dans les quartiers, c'est ce qui les fait tenir"
Petit moment de tension, lorsque, dans le public, Driss Ettazaoui, conseiller municipal d'Evreux et vice-président de l'agglomération en charge de la politique de la ville, a voulu "mettre une touche d'enthousiasme" dans le débat (on parlait alors de narcotrafiquants, de délinquants, de prostitution...), rappelant que les habitants des quartiers développaient aussi des talents et qu'ils aspiraient "à la normalité", ainsi que le soulignait le président de la République. Tout le monde en a naturellement convenu. "C'est 5% des habitants qui pourrissent la vie des autres", a rappelé Xavier Lemoine, ajoutant que "quand on voit la générosité dans les quartiers, on se dit que c'est ce qui les fait tenir". "Il y a énormément de valeurs et de personnalités à pousser", a confirmé Frédéric Leturque, soulignant sa "chance" de pouvoir travailler avec "des militants et des acteurs républicains bénévoles". Renaud Epstein a toutefois mis en garde sur ces "discours valorisant ce qui se passe de positif dans les quartiers (pour mieux) masquer le recul de l'action publique".
Auparavant, il avait instillé un léger malaise en mettant sur la table la question de la dépénalisation du cannabis. Pas sûr que ce sujet-là sera abordé en commission sénatoriale.
*L'expression date des années 50, elle vient de Georges Vedel, doyen de la Faculté de droit de Paris.