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Lutte contre l'exclusion - Le Sénat reconnaît la vulnérabilité économique comme motif de discrimination

La commission des lois du Sénat a adopté, le 10 juin 2015, la proposition de loi de Yannick Vaugrenard - député de Loire-Atlantique - et de plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale. Ce texte connaît, pour l'instant, un parcours rapide, puisqu'il a été déposé seulement le 31 mars 2015. Il répond à une préconisation du défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (voir nos articles ci-contre du 1er octobre 2013 et du 20 octobre 2014). Cette mesure est également réclamée par plusieurs associations de lutte contre l'exclusion, à l'image d'ATD Quart Monde (voir notre article ci-contre du 14 octobre 2014). Le thème était aussi présent - de façon sous-jacente - dans le rapport de la délégation à la prospective du Sénat "Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !" (voir notre article ci-contre du 3 avril 2014).

Un 21e critère de discrimination

En pratique, la proposition de loi ajoute à la liste des critères de discrimination énumérés à l'article 225-1 du Code pénal "la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur" [l'auteur de la discrimination, Ndlr]. La vulnérabilité économique devient ainsi le 21e critère de discrimination reconnu par le Code pénal, après le sexe, le handicap, l'âge, les opinions politiques, l'orientation sexuelle, la race, la religion... Une disposition similaire est introduite dans le Code du travail (article L.1132-1) et dans la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
L'exposé des motifs de la proposition de loi donne plusieurs exemples - réels autant qu'accablants - de cette forme de discrimination : un bailleur qui revient à la dernière minute sur son accord de louer à une famille de sept enfants aux ressources modestes (mais pour laquelle l'APL couvre pourtant la totalité du loyer et est versée entre les mains du bailleur), une mère et son enfant auxquels un dentiste annonce qu'il refuse de poursuivre des soins parce qu'ils sont passés entre-temps à la CMU-C, un enfant évincé de la cantine scolaire parce que sa mère a été licenciée et qu'elle est donc disponible pour s'occuper de lui à midi...

De la précarité sociale à la vulnérabilité économique

La commission des lois du Sénat a adopté quatre amendements sur les cinq déposés par son rapporteur. Deux d'entre eux (n°Com-1 et n°Com-3, sur l'article unique) revêtent une importance particulière. Ils modifient en effet l'intitulé du nouveau motif de discrimination. Le texte originel de la proposition de loi parlait d'une discrimination fondée sur "la précarité sociale". Le rapporteur de la commission des lois a jugé cette notion "trop subjective pour être inscrite dans notre droit pénal", dans la mesure où "elle ne répond ni au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, ni à celui d'interprétation stricte de la loi pénale".
Il a été suivi par la commission, puisque l'amendement adopté remplace cette expression par "la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur". Cette notion de "vulnérabilité" présente en effet l'avantage de figurer déjà dans le Code pénal. En revanche, le titre de la proposition - qui devrait normalement être modifié par un amendement ultérieur - continue de faire référence à la précarité sociale.

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale (adoptée en première lecture par la commission des lois du Sénat le 10 juin 2015, examinée en séance publique le 18 juin).