Le régulateur des transports mise sur le titre unique pour relancer les services numériques multimodaux
La loi d’orientation des mobilités (LOM) n’aura pas suffi à faire décoller les services numériques multimodaux. Face aux cloisonnements et difficultés techniques persistantes, l’autorité de régulation des transports mise sur le projet de "titre unique pour relancer un projet essentiel à la transition écologique du secteur.
La loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 a fixé un cadre pour le déploiement des services numériques multimodaux (SNM), terminologie officielle pour désigner ce que d’autres nomment "mobilité en tant que service" ou MaaS. Cette loi a permis notamment la libération des données sur les réseaux et infrastructures, a encadré l’accès de tiers aux informations billettiques des gestionnaires de transport et fait de l’autorité de régulation des transports (ART) l’arbitre de l’écosystème des SNM. Cette dernière constate cependant dans un rapport daté de mai 2023 que les SNM tardent à se déployer alors même qu’ils sont des "leviers potentiels pour atteindre des objectifs en matière de report modal et d’accessibilité des transports collectifs" indispensables à la transition écologique des transports. On rappellera en effet que le secteur des transports est à l’origine de 30% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle nationale, chiffre qui décroît moins rapidement que dans d’autres secteurs.
Billettique dématérialisée minoritaire
Si les services Mass commencent à émerger, l’ART constate "un degré d’intégration servicielle limité". La billettique dématérialisée reste ainsi très minoritaire : seule une centaine de réseaux locaux, sur les 330 autorités organisatrices de la mobilité (AOM) recensées par le Cerema, disposent d’une telle solution. Les véhicules de particuliers sont par ailleurs la plupart du temps ignorés des SNM alors que la voiture individuelle représente 90% des émissions de CO2, "compromettant, dès lors, leur impact attendu sur le report modal et le trafic routier". Les SNM se révèlent par ailleurs très cloisonnés géographiquement – avec par exemple la coexistence de plusieurs SNM dans les pôles urbains d’une même région – ou par gestionnaires de services. Ces derniers ignorent le plus souvent les offres de mobilité proposées sur leur territoire par des acteurs indépendants.
Manque de moyens et de temps
L’ouverture des services billettiques prévue par la LOM se heurte par ailleurs à de nombreuses difficultés techniques. L’enquête réalisée par l’ART auprès des acteurs (AOM, opérateurs de transports, SNM) note que "les systèmes en place n’offrent pas toujours la possibilité de développer les outils (API ou SDK) permettant à des tiers de vendre des titres". Un constat confirmé par la Fabrique des mobilités qui ajoute qu’il s’agit moins d’une incapacité fondamentale à développer de tels outils que d’un manque de temps et de moyens de la part des gestionnaires de transports. Autre difficulté technique : la prise en compte de l’ensemble de la grille tarifaire (tarifs sociaux, forfaits…), la plupart des systèmes billettiques se limitant aux seuls titres unitaires.
Barrières contractuelles
Enfin, le rapport souligne les obstacles juridiques auxquels se heurtent les plateformes Maas. Les contrats avec les fournisseurs de services de mobilité publics ou privés sont jugés parfois "déséquilibrés", "rigides" quand ils n’intègrent pas des "dispositions contraires à la LOM". Au cœur du sujet : le partage équitable de la valeur entre les différents acteurs de l’écosystème Maas. L’ART annonce vouloir "approfondir le diagnostic" sur les volets techniques, économiques comme juridiques, seulement une quarantaine d’acteurs ayant répondu à son enquête. Elle prévient en outre qu’elle "se réserve la possibilité de rechercher d’office de possibles manquements concernant les droits et obligations relatifs aux SNM".
La piste du titre unique national
Néanmoins, l’ART estime que l’accès aux services de ventes des gestionnaires de mobilité ne sera pas "suffisant" pour garantir l’émergence de solutions de paiement communes. En cause : l’hétérogénéité et le manque d’interopérabilité des systèmes billettiques existants. L’idée du "titre unique" lancée récemment par le ministre des Transports (lire notre article) permettrait cependant de prendre le problème différemment.
Plusieurs scenarios techniques se dessinent : abonnement national à tarif unique pour accéder à l’ensemble des transports publics sur une période donnée, titre unique pour chaque trajet, support unique (carte bancaire, application mobile…) avec un paiement à l’usage. Ce titre unique existe du reste déjà à l’échelle régionale en Bretagne (KorriGo) et en Ile-de-France (Navigo) et un premier pas pourrait être d’en étendre l’usage à d’autres réseaux de transport rendus compatibles. Autre avancée : les travaux menés par la DGTIM et la Fabrique des mobilités sur la normalisation des interfaces Maas et les possibles déclinaisons du titre unique. Si l’ART se réjouit de toutes ces initiatives, elle rappelle la "nécessaire coordination des acteurs de la mobilité" car ce titre unique exigera nécessairement de simplifier les grilles tarifaires.