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Aménagement numérique - Le regain d'optimisme sur les RIP se confirme

L'horizon des réseaux d'initiative publique (RIP) semble s'éclaircir. Alors que les territoires continuent de se mobiliser, l'Etat annonce de nouveaux outils pour assurer et réussir la commercialisation des RIP. Le Trip 2016 de l'Avicca a témoigné de ces nouvelles perspectives.

Très riche, le Trip 2016 de l'Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel) s'est tenu les 5 et 6 avril dernier. Teinté d'un certain optimisme malgré des inquiétudes récurrentes sur la commercialisation, les financements, le respect des délais ou encore les zones Amii, le colloque de l'Avicca a été l'occasion de réaffirmer, aussi bien pour son président, Patrick Chaize, que pour le ministre Emmanuel Macron, la place des réseaux d'initiative publique (RIP) dans l'aménagement numérique des territoires. Devenus "réalité", les RIP restent pourtant fragiles, et, comme l'a rappelé Patrick Chaize, il "faut en créer sans cesse les conditions". Le ministre de l'Economie a tenu à rassurer son auditoire sur son engagement, tout en traçant les contours de son action pour faciliter la commercialisation des réseaux publics. Enfin, si le suivi des déploiements très haut débit dans les territoires a fait l'objet de toutes les attentions, les débats ont également porté sur la connectivité des entreprises ou encore sur les technologies hertziennes.

Les RIP, une "réalité"

Les acteurs des RIP se sont montrés beaucoup plus enthousiastes sur l'avenir du plan France Très Haut Débit qu'en novembre dernier. Selon Emmanuel Macron, "l'avancée [du plan] est une réalité, c'est aujourd'hui un succès intermédiaire, une phase d'accélération, d'intensification". "Nous n'en sommes plus à nous interroger sur l'existence de ces réseaux mais sur la façon dont ils vont vivre." Afin de relever les défis et tenir "la promesse républicaine d'égalité", le ministre de l'Economie assure les collectivités de son "plein engagement". Pour le président de l'Avicca, "il y aura bien un big bang dans les télécoms, au bénéfice et de l'investissement, et des consommateurs", grâce aux RIP déployés par les collectivités sur 85% du territoire, avec l'aide de l'Etat.
Patrick Vuitton, le délégué général de l'Avicca, constate effectivement "une augmentation accélérée du nombre de construction de prises publiques" sur 2015, qui devrait atteindre prochainement (au deuxième trimestre 2016) le million. Pour lui, "c'est la première fois que se traduit le plan France Très Haut Débit, sachant que les autres prises étaient davantage le fruit de projets plus anciens des collectivités", signe que plusieurs projets sont véritablement entrés en phase de réalisation. Pour rappel, un million de prises devront être livrées annuellement d'ici 2022 pour atteindre l'objectif des 7 millions de prises FttH sur les RIP. En ce sens, Patrick Vuitton estime que "l'année 2016 va être tout à fait décisive", aussi bien pour la commercialisation des RIP que pour basculer vers un rythme de construction des prises satisfaisant.

Pour les RIP aussi, c'est le printemps

Sur cette question des déploiements, l'ensemble – ou presque – des départements (et collectivités d'outre-mer) sont désormais mobilisés. En effet, comme l'a souligné Emmanuel Macron, 97 départements ont déposé un dossier au titre du plan France THD. Soit 8 de plus qu'en novembre. Ces 8 nouveaux projets (500.000 nouvelles prises pour 900.000 millions d'euros d'investissement) ont dissipé les craintes quant à de possibles difficultés de ces territoires, et marquent au contraire, pour Patrick Vuitton "une volonté de rattrapage et une ambition très forte". Bloquée en novembre, l'instruction des dossiers de RIP a également repris ces derniers mois : 19 départements (72 au total) ont reçu une autorisation préalable (phase 1) et 13 (21 au total) se sont vu signifier une décision de financement (phase 2). De plus, si seuls 38 millions d'euros ont effectivement été décaissés par l'Etat jusqu'ici (18 millions en novembre), 150 à 180 millions d'euros devraient l'être avant fin 2016. Pour 800 millions d'euros de travaux effectués.
Annoncée à plusieurs reprises, le rachat de Bouygues Télécom par Orange n'aura finalement pas lieu. Mettant ainsi fin aux spéculations sur le devenir des RIP. Visiblement agacé par certains commentaires sur l'affaire, Emmanuel Macron a rappelé qu'"en tant qu'actionnaire, l'Etat a regardé cette opération pour protéger les intérêts du contribuable". Pour le ministre, "ce n'est pas l'intérêt du cours de bourse quotidien qui nous dicte où se fait l'intérêt général", et la mission de l'Etat est celle d'un régulateur : "s'assurer des bons investissements", "s'assurer des conditions d'emploi dans le secteur" et "s'assurer de la protection du consommateur".

Un GIE pour la commercialisation

Comme l'a rappelé Patrick Chaize, "notre premier défi, c'est la venue rapide de tous les opérateurs sur tous les réseaux d'initiative publique". "Insupportable" pour le sénateur, l'absence des opérateurs est également un sujet de "préoccupation majeure" pour le ministre : "une fois qu'on a déployé les prises, évidemment qu'il peut y avoir une certaine frustration s'il n'y a rien derrière." Pour assurer le succès commercial des RIP, Emmanuel Macron entend mettre les "fournisseurs d'accès à internet [FAI] devant leurs responsabilités". Et confirme la volonté exprimée par l'Etat depuis quelques semaines d'avancer sur l'harmonisation des systèmes d'informations des RIP (éligibilité, prise de commande, premier niveau de service après-vente), qui prendrait la forme d'un groupement d'intérêt économique (GIE).
Développant les propos du ministre, le directeur de l'Agence du numérique, Antoine Darodes, a rappelé que l'Etat laissera la place aux opérateurs s'ils souhaitent s'emparer du sujet. En attendant, et avant d'atteindre un possible "point de non-retour" à l'automne, "on avance en parallèle", explique-t-il. Du côté de Bercy, le cap est donc apparemment fixé : "Le ministre a dit que s'il fallait changer la loi, mettre des millions d'euros, on le ferait." Quant à Patrick Chaize, il s'est montré ouvert sur le sujet, "progresser sur l'homogénéisation, pourquoi pas ?", tout en s'inquiétant d'une possible instrumentalisation de l'outil par les opérateurs, qui pourraient être tentés d'en faire un "prétexte pour retarder leur arrivée".

Une grille tarifaire indicative en construction

Ce GIE, dont une préfiguration pourrait être lancée dans les prochaines semaines, doit permettre d'"industrialiser la commercialisation de l'ensemble des réseaux". Si le dispositif est avant tout pensé pour les opérateurs nationaux et notamment Free, Antoine Darodes a insisté sur la dimension disruptive des réseaux FttH publics ouverts et neutres, ajoutant qu'il pourrait favoriser l'arrivée potentielle de nouveaux acteurs – comme le rapprochement Coriolis Canal +. En ce sens, l'Agence du numérique, en lien avec l'Arcep, travaille à l'élaboration d'une grille tarifaire indicative qui devrait être publiée mi-mai. Si les lignes directrices du Régulateur définies fin 2015 ont encadré les tarifs, pour Antoine Darodes, "l'objectif, c'est de tendre vers une grille tarifaire qui soit unique sur l'ensemble du territoire et qui permette de lever au maximum les freins à la venue des FAI". Autrement dit, d'inciter les opérateurs de RIP à adopter des offres tarifaires et des conditions contractuelles unifiées. Qui permettront également, selon lui, d'éviter les phénomènes de "cherry-picking" qui consiste à choisir les meilleures parties des réseaux et à délaisser le reste.

Le Régulateur, sécuriser commercialement les réseaux

Même son de cloche du côté de l'Arcep, où le succès des RIP sera déterminé par les taux de remplissage. Pour son directeur général, Benoît Loutrel, les niveaux tarifaires devront certes "prendre en compte les particularismes" mais "le but, à la fin, est d'avoir des grilles comparables", d'"avoir les mêmes offres partout". A l'inverse, il a mis en garde contre un possible risque de mise en concurrence des RIP par les opérateurs nationaux. Afin de protéger "la solidité de vos plans d'affaires", que "vos réseaux ne soient pas bradés", l'Arcep pourvoira "une sécurité économique et une sécurité juridique", et invite les gestionnaires des RIP à échanger en amont avec ses équipes. Autre atout, la construction d'un "dispositif contractuel de référence", pour "avoir des contrats types". Enfin, sur demande de l'Avicca, l'Arcep intégrera des indicateurs de suivi de la commercialisation à son observatoire trimestriel du très haut débit. Patrick Vuitton avait pointé qu'aucun des quatre grands opérateurs n'étaient venus sur des réseaux publics qu'ils n'opéraient pas.

Deux écosystèmes de RIP, deux logiques de commercialisation

Partenaire historique des RIP, la Caisse des Dépôts s'est interrogée publiquement, par la voix de Laurent Depommier-Cotton, sur le problème de leur commercialisation. Pour le directeur du département transition numérique de la Caisse des Dépôts, il existe deux "écosystèmes de RIP", divisés entre les opérateurs intégrés et les opérateurs de gros. Sur les 48 projets FttH attribués, 70% sont portés par des opérateurs de gros (pour 60% des lignes).
Pour les RIP les plus ouverts (exploités par les opérateurs de gros), les opérateurs de communication d'envergure nationale (Ocen) sont "curieusement" absents. Pour les Ocen, cette absence s'explique par des contraintes techniques et une capacité d'investissement restreinte. Tout en donnant du crédit à leurs arguments, Laurent Dupommier-Cotton met en avant d'autres explications comme la volonté de protéger leurs investissements passés (sur le cuivre et le dégroupage) ou de subordonner leur offre de services aux seuls RIP qu'ils exploitent. "Serein" malgré tout, il "s'attend à ce que la situation bouge dans les [deux ou trois] années qui viennent". A l'origine de son optimisme, la concurrence exercée sur les Ocen par les nouveaux entrants, la fin programmée de l'hyper-concurrence dans les zones les plus denses ou encore la fin des procédures d'attribution des RIP, qui mettra à mal les arguments commerciaux. Quant à l'absence des opérateurs multi-locaux dans les RIP exploités par les Ocen, elle s'explique pour lui par la plus petite taille de ces acteurs alternatifs, "qui n'ont pas forcément les moyens, ou pour lesquels ça n'a pas de sens d'accéder à la seule offre [IRU*  uniquement par tranche de 5%] qui permette de vivre de manière pérenne sur ces RIP". L'absence de "barreaux intermédiaires" (bitstream), notamment face à des coûts fixes importants (collecte et hébergement), est donc rédhibitoire à leur venue. Pour y remédier, et faciliter l'arrivée de tous ces nouveaux entrants sur tous les réseaux (aussi bien dans les zones denses que peu denses), il y a "des mesures réglementaires et éventuellement industrielles à prendre". Thématique importante du colloque, le maintient d'un "jeu ouvert", c'est-à-dire ouvert à tous les acteurs et en particulier aux nouveaux entrants, sur les réseaux publics et privés, est indispensable. Présentée à l'occasion des états généraux des RIP en mars dernier, la feuille de route d'investisseur d'intérêt général de la Caisse des Dépôts, rappelée par Laurent Depommier-Cotton, vise notamment à développer des réseaux ouverts et neutres.

Zone fibrée : les gestionnaires de réseaux devront assumer

Attendu et sujet à un "lifting" législatif lors du passage du projet de loi Numérique au Sénat, le statut de "zone fibrée" a été présenté par Benoît Loutrel comme une "arme extrêmement puissante" qui impose que le gestionnaire de réseau soit "prêt à s'engager et à tenir ces engagements dans la durée". Pour lui, en demandant à être labellisé, en initiant le processus de migration, le gestionnaire du nouveau réseau s'engage à respecter un cahier des charges, à avoir un niveau de complétude suffisant et à pouvoir rapidement couvrir les dernières zones blanches. Cet outil, qui permet d'"accélérer le remplissage des réseaux", doit faciliter la transition vers les réseaux fibre en augmentant progressivement les coûts du cuivre. Pour le directeur général de l'Arcep, "un réseau à moitié rempli ou vide" est problématique pour tous les opérateurs (des RIP et du cuivre) qui supportent des coûts d'exploitation importants, et peuvent alors trouver un intérêt commun à migrer. Enfin, chargé de veiller à sa bonne application, le Régulateur s'assurera également qu'il s'articule "pleinement avec la régulation tarifaire".

L'Etat en soutien des collectivités pour les conventions

Mais les opérateurs nationaux, pourtant piliers du succès du plan France Très Haut Débit, ne font pas uniquement défaut sur la commercialisation. Comme Patrick Chaize l'a pointé, "le deuxième sujet majeur, c'est le respect des intentions d'investissements que les opérateurs privés ont librement établies". Pour le sénateur, le constat est globalement sans appel malgré des différences entre les opérateurs (1,3 million de prises pour Orange, 70.000 pour Numericable SFR en 2015) : "A mi-chemin du programme 2010-2020, nous en sommes au quart des prises pour la zone très dense et la zone Amii". Le conventionnement (66 signées à ce jour, couvrant 40% des locaux), en progrès sur tout le territoire, est un "instrument utile" aux collectivités, estime Emmanuel Macron. Et le ministre d'expliquer avoir demandé aux opérateurs présents dans les zones Amii d'établir "systématiquement des conventions de programmation et de suivi des déploiements [CPSD]". En cours de discussion, la conclusion de ces conventions "suppose non seulement la mobilisation des opérateurs mais aussi celles des collectivités".
Appelant chacun – et surtout les opérateurs – à "honorer" les engagements pris, le ministre a tenu à réassurer les territoires de son soutien. A travers les constats de carence, comme ce fut le cas dernièrement à Lille, mais également en effectuant un suivi public et transparent des conventions (zones préemptées par opérateur, taux de complétion…). Sorte d'outil de "gouvernance par la data", il permettra de "suivre l'avancement du conventionnement et sa généralisation jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une zone Amii mais une série de territoires conventionnés avec des instruments de suivi précis des déploiements".

Technologies hertziennes, une alternative crédible pour les territoires

Bien souvent associé au FttH sur tout le territoire, le plan France Très Haut Débit s'avère en réalité plus complexe, mêlant entre autres fibre optique, opérations de montée en débit et utilisation de technologies hertziennes. Moins en vue, ces dernières apparaissent pour leurs promoteurs comme une alternative crédible aux technologies filaires dans les zones peu denses, en attendant l'arrivée de la fibre. Pour le vice-président d'Axione, Eric Jammaron, "le LTE [4G] peut tout à fait répondre à ce pourcentage des foyers qui ne va pas accéder tout de suite à du très haut débit [fibre]". Proposant des services équivalents aux technologies filaires (hors fibre), ces technologies semblent désormais identifiées par les opérateurs commerciaux. Tant Philippe Le Grand (vice-président de la Firip) que Jean-François Bureau (Eutelsat) ont ainsi insisté sur l'industrialisation en cours, estimant qu'un million de foyers pourraient être potentiellement concernés par ces technologies radio.
Pour les territoires, elles apparaissent comme une solution alternative crédible et moins coûteuse à la montée en débit cuivre, a témoigné le président du conseil départemental du Lot-et-Garonne, Pierre Camani. Limité sur son territoire par une géographie difficilement conciliable avec des déploiements filaires, le sénateur voit dans ces technologies un outil efficace pour offrir une montée en débit rapide, à moindre coût (2,7 millions) et valorisant les investissements passés.

La fibre, nécessaire à la numérisation des entreprises

Sujet d'inquiétude, la numérisation des entreprises et notamment des plus petites est aujourd'hui l'une des priorités de l'action publique. Pour le Régulateur, le premier chantier est de "démocratiser la fibre pour les entreprises", comme l'a expliqué Guillaume Mellier, directeur de l'accès fixe et des relations avec les collectivités territoriales. Concrètement, l'Arcep espère faire émerger une offre de services intermédiaires spécialement conçues pour les entreprises, sur base des infrastructures mutualisées en fibre optique. Autrement dit, favoriser l'apparition de nouveaux acteurs proposant des offres dédiées aux entreprises sur la base d'une fibre mutualisée et non plus dédiée, comme c'est le cas aujourd'hui. Les tarifs seraient alors moins prohibitifs et les entreprises disposeraient d'offres adaptées à leurs besoins. Pour l'instant dominé par Orange (et Numericable SFR dans une moindre mesure), le marché entreprise bénéficierait de l'arrivée de nouveaux acteurs, alors que l'Arcep craint un duopole. Quant aux opérateurs d'infrastructures, ils semblent s'être déjà emparés du sujet. Aussi bien Jean-Michel Soulier, président de Covage, que David El Fassy, président d'Altitude Infrastructure, ont ainsi fait de la connectivité des entreprises une de leur priorité.

Ivan Eve / EVS

* IRU : "Indefeasible Right of Use" ou "droits irrévocables d'usage à long terme"