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Patrimoine - Le rapport Rigaud réaffirme le principe de l'inaliénabilité des oeuvres des collections publiques

Jacques Rigaud, ancien directeur du musée d'Orsay et président de l'Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial), a remis à la ministre de la Culture son rapport "sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections". Ce rapport devait répondre à l'une des orientations de la lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Christine Albanel, consistant à rechercher les moyens de "valoriser au mieux" le patrimoine artistique français. Les conclusions du rapport Rigaud sont diamétralement opposées à celles du rapport sur "l'économie de l'immatériel" remis en novembre 2006 par Maurice Lévy, PDG de Publicis, et Jean-Pierre Jouyet, devenu depuis lors secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes. Ce document, qui a inspiré le passage en question de la lettre de mission de la ministre de la Culture, se montrait plutôt favorable à la possibilité de vendre ou de louer des oeuvres appartenant aux collections publiques, dans le cadre d'une plus grande circulation des biens culturels. En septembre 2007, une proposition de loi déposée par Jean-François Mancel, député de l'Oise, suggérait de classer les oeuvres détenues par les établissements culturels en deux catégories : les "trésors nationaux", inaliénables, et les "oeuvres libres d'utilisation", susceptibles d'être vendues.
Jacques Rigaud conclut au contraire que "les quelques avantages financiers que les musées pourraient tirer de la vente d'oeuvres me paraissent dérisoires par rapport à l'effet déplorable qui en résulterait, en France et dans le monde, pour l'image des musées et pour le crédit même de l'Etat, garant de la sauvegarde et du rayonnement du patrimoine de la nation". Le rapport réaffirme donc fermement le principe de l'inaliénabilité des oeuvres appartenant aux collections publiques, tel qu'il a été posé par l'édit de Moulins de février 1566 sur les aliénations du domaine royal et renouvelé par la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France et plus précisément par son article 11 : "Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables". Le rapport regrette toutefois que les dispositions de cette loi prévoyant la possibilité d'un déclassement - et donc d'une vente - après avis d'une commission scientifique "n'ont [...] fait l'objet jusqu'ici d'aucune application pratique". Plutôt que de revenir sur le principe de l'inaliénabilité, il propose donc de s'en tenir à une application de la loi de 2002, mais dans toutes ses composantes. Le rapport se montre toutefois plus souple pour les collections du Fonds national d'art contemporain (Fnac) et pour celles des fonds régionaux (Frac), qui ne relèvent d'ailleurs pas de la loi de 2002.
La ministre de la Culture s'est très rapidement saisie des conclusions du rapport Rigaud, en affirmant que l'inaliénabilité des collections des établissements bénéficiant du label "musées de France" (environ 1.300 établissements) constitue "un principe excellent qui doit être conforté" et que la vente d'oeuvres d'art n'est "pas la solution pour disposer de moyens supplémentaires". Pour réactiver la loi de 2002, Christine Albanel envisage de transformer la commission scientifique chargée de se prononcer sur le déclassement des oeuvres en une "Commission du patrimoine de la nation", qui pourrait accueillir en son sein des élus et des collectionneurs. Cette nouvelle commission serait invitée à se réunir rapidement pour "élaborer une doctrine d'ensemble". La ministre a toutefois pris soin de préciser par avance que d'éventuels déclassements devront rester "rarissimes et complètement encadrés" et porter plutôt sur des pièces secondaires, comme des uniformes militaires, des pièces d'histoire naturelle - allusion directe à l'affaire de la tête maorie de Rouen - ou du matériel d'étude.

 

Jean-Noël Escudié / PCA