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Patrimoine - La restitution de la tête maorie du musée de Rouen prend des allures d'affaire d'Etat

Tout a commencé par une décision d'apparence anodine. Le 19 octobre, le conseil municipal de Rouen adopte une délibération prévoyant la restitution à la Nouvelle-Zélande de la tête momifiée d'un guerrier maori de haut rang (justifiant les tatouages couvrant tout son visage), arrivée - on ne sait trop comment - dans les collections de son muséum d'histoire naturelle. Par cette démarche, la ville considère qu'elle "s'inscrit dans une démarche éthique". La délibération précise en effet que "cette tête a en outre un caractère sacré aux yeux des tribus maories : elle retournera donc dans sa terre d'origine et pourra y recevoir une sépulture conforme aux rites ancestraux". La tête doit être plus précisément transmise au musée Te Papa de Wellington, consacré à la civilisation maorie et qui devrait l'héberger le temps que des tests ADN permettent de retrouver la tribu d'origine afin de procéder à une inhumation. Une cérémonie de remise symbolique, avec des dignitaires maoris et l'ambassadeur de Nouvelle-Zélande, était même prévue à la mairie de Rouen le 23 octobre.
Mais, dès le 22 octobre, la ministre de la Culture et de la Communication demande au préfet de Seine-Maritime de saisir le tribunal administratif de Rouen en vue de suspendre la décision du conseil municipal. Elle estime en effet que les collections de muséum d'histoire naturelle et d'ethnographie de Rouen - qui bénéficie du label "Musée de France" délivré par l'Etat - "sont protégées par un régime juridique particulier, destiné à garantir l'intégrité du patrimoine de la Nation". L'article 11 de la loi du 4 janvier 2002 relative aux Musées de France prévoit en effet que "les biens constituant les collections des Musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables". Certaines pièces peuvent néanmoins sortir des collections publiques mais la collectivité gestionnaire doit alors solliciter l'avis d'une commission scientifique, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce (bien que l'administration ait prévenu les élus rouennais des difficultés prévisibles). Au-delà des questions de procédure, le ministère craint surtout qu'une multiplication d'initiatives de ce type suscite des demandes de restitution portant sur des pièces de plus grande valeur historique et muséographique, comme les momies égyptiennes ou certaines pièces du musée du Quai Branly. Toutefois, consciente "des problèmes éthiques particuliers liés à la conservation de restes humains dans les collections publiques", Christine Albanel a chargé Stéphane Martin, le président du musée du Quai Branly, d'une réflexion sur la question, qui devrait également faire l'objet d'un colloque international.
En attendant, le tribunal administratif de Rouen a effectivement suspendu, le 24 octobre, la délibération du conseil municipal, mais ne se prononcera pas au fond avant la fin de l'année. La ville de Rouen a aussitôt fait savoir qu'elle entendait "mener à son terme cette démarche hautement symbolique, tout en respectant le calendrier judiciaire". Elle rappelle également que d'autres pays ont déjà, dans les vingt dernières années, restitué des pièces de ce type à la Nouvelle-Zélande, sans que cela soulève de difficultés.
Le Sénat s'est emparé à son tour de la question en publiant, le 25 octobre, un communiqué du président du groupe interparlementaire d'amitié entre la France et la Nouvelle-Zélande, qui "souscrit sur le fond pleinement à la démarche du muséum de Rouen" et "émet le souhait que la controverse juridique soulevée par l'Etat trouve une issue rapide et conforme aux valeurs humanistes de la France".
Le principal enseignement - provisoire - de cette affaire locale devenue une affaire d'Etat est que les collectivités territoriales ne doivent pas prendre à la légère les implications d'un label officiel, comme celui de "Musée de France" dont bénéficient aujourd'hui près de 1.200 établissements gérés le plus souvent par des collectivités. Attirées par le prestige et l'impact du label en termes de notoriété et de fréquentation, elles ne mesurent pas toujours les conséquences des contreparties à cette délivrance : une intégration de leurs collections dans le patrimoine national et un placement de fait sous la tutelle du ministère de la Culture. Il n'est donc pas trop tard pour se replonger dans une lecture attentive de la loi du 4 janvier 2002.

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

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