Cour des comptes - Le rapport de la Cour des comptes scandalise les buralistes
Alors que le gouvernement vient de lancer un audit sur les aides publiques aux entreprises qui représentent un volume estimé entre 65 et 100 milliards d'euros, la Cour des comptes a mis son nez dans le secteur des bureaux de tabac. Ces derniers ont perçu 2,6 milliards d'euros entre 2004 et 2011, selon ses calculs, notamment à travers les différents contrats d'avenir. Des aides "injustifiées", "peu ciblées" avec des "effets d'aubaine massifs", dénonce la Cour, dans son rapport annuel rendu public mardi…
"Le dispositif de soutien aux débitants, concevable dans son principe à titre transitoire au moment de la forte hausse du prix des cigarettes en 2002-2004, s'est prolongé sans justification pertinente", souligne le rapport. Entre 2002 et 2011, le chiffre d'affaires de la profession a progressé de 54% et même de 67% si l'on tient compte des aides de l'Etat.
23.000 fermetures depuis 1965
Alors que ces aides auraient dû bénéficier en priorité aux régions frontalières, les magistrats constatent qu'à 80%, elles ont bénéficié à tous les débitants, sans distinction. Le rapport comptabilise 18 départements sur lesquels l'effort aurait dû être porté. Là, les rémunérations ont continué à diminuer et de nombreux débits ont fermé leurs portes. Les cinq départements les plus touchés sont le Bas-Rhin, la Moselle, le Nord, les Pyrénées-Atlantiques et les Pyrénées-Orientales où la baisse de rémunérations a été supérieur à 20% entre 2002 et 2004. Selon la Cour, le recul des ventes de tabac n'a fait qu'amplifier un phénomène déjà ancien : la France comptait 50.000 débits en 1965, et 33.000 seulement au début des années 2000. Ils sont 27.000 aujourd'hui, soit une accélération ces dernières années, malgré les soutiens publics. Les magistrats relèvent que si les fermetures se sont concentrées sur certaines zones frontalières (Nord, Nord-Est, frontière pyrénéenne), de nombreux départements ruraux non frontaliers ne sont pas épargnés : la Creuse et la Haute-Saône ont vu le nombre de bureaux de tabac chuter de 34% entre 2002 et 2011, le Cantal, la Haute-Marne et l'Yonne ne sont guère mieux lotis. Une situation qui s'explique surtout par le "moindre dynamisme économique et démographique de ces départements".
Les Sages regrettent aussi que certaines aides comme la remise compensatoire n'aient pas été plafonnées avant 2012, conduisant à des "rentes de situation". Elles ont ainsi pu bénéficier à des débitants dont le chiffre d'affaires n'avait pas diminué depuis 2002. Le rapport cite l'exemple d'un débitant qui réalisait un chiffre d'affaires de 25 millions en 2002, et qui aurait perçu 640.000 euros de remise compensatoire en 2011 et près de 4 millions d'euros entre 2005 et 2011 !
Le contrat d'avenir en cours (2012-2016) aurait dû corriger le tir avec la volonté affichée de concentrer les aides vers les débitants les plus fragiles. Or "sous cette apparente rupture, les mécanismes à l'oeuvre dans le deuxième contrat sont perpétués", déplore la Haute Juridiction financière. Elle demande "une remise en cause rapide et complète" de ce contrat pour ne laisser que les aides structurelles (indemnité de fin d'activité, subvention de sécurité, prime de service public) destinées à moderniser le réseau et à renforcer la sécurité des débitants.
Marché parallèle
Dans sa réponse, le président de la Confédération des buralistes, Pascal Montredon, relève des "inexactitudes" et une "erreur de fond" dans le calcul des aides. En tant que préposé de l'administration des douanes, rappelle-t-il, "les buralistes paient chaque année, sur la base du chiffre d'affaires tabac réalisé, un droit de licence et une cotisation à un régime de retraite spécifique que l'Etat abonde". Déduction faite de cette compensation, le montant global des aides serait, selon lui, d'1,2 milliard d'euros au lieu des 2,6 milliards mentionnés par la Cour.
A la publication du rapport, le patron des buralistes ne décolère pas. L'exemple du buraliste rentier est "totalement scandaleux", a-t-il dénoncé, dans un communiqué. "En 2002, les ventes de tabac du plus gros buraliste de France étaient de 12,4 millions d'euros (il était situé à Calais)", assure-t-il. Il remet aussi en cause les augmentations de rémunérations avancées par le Cour qui, selon lui, confond "chiffre d'affaires et bénéfice éventuel". Le résultat net moyen des tabacs-presse a augmenté de "6% entre 2003 et 2009, soit moins d'1% par an : c'est moins que l'inflation", affirme-t-il.
Enfin, Pascal Montredon dénonce un oubli : "Une fois encore, le rapport occulte un marché parallèle à 21% qui voit 3 milliards d'euros de fiscalité s'évaporer chaque année."
Une pétition de soutien à la profession lancée mi-janvier a recueilli "1,2 million de signatures", assure la confédération. Des chiffres provisoires, "car le comptage bat son plein, et les enveloppes continuent d'affluer".