Le quartier après la rénovation urbaine : quand les habitants témoignent
"Il y a eu une cassure quelque part… Et maintenant, on fait quoi ?" est le titre du quatrième rapport de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France et de Question de ville sur la parole des habitants des quartiers populaires.
La Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) et Question de ville - l'association des directeurs des centres de ressources de la politique de la ville - viennent de publier leur quatrième rapport destiné à mettre en lumière la parole des habitants des quartiers populaires. Réalisé en partenariat avec une vingtaine d'associations et services – centres sociaux et centres de ressources politique de la ville -, ce travail de recueil de la parole a été conduit auprès de 250 habitants de quatorze villes, de Marseille à la Courneuve en passant par Bavans près de Montbéliard (1).
"Ils nous disent que ces transformations fragilisent le lien social"
"Que nous disent-ils ?", s'interrogent Fabienne Keller, conseillère de la métropole de Strasbourg et sénatrice du Bas-Rhin, et Patrick Braouezec, président de Plaine Commune, en préface de l'ouvrage. "Que, bien que le renouvellement urbain soit absolument nécessaire dans ces quartiers issus de l’après-guerre, les démolir peut être ressenti comme une réelle violence pour celles et ceux qui s’y sont installés (…) ; Que ces transformations fragilisent le lien social et qu’il leur faut beaucoup de volonté et de courage pour le reconstruire ; ?Que la mauvaise image des quartiers leur colle à la peau et les enferme ; ?Que le sentiment d’insécurité est prégnant. L’insécurité aussi."
"Sentiment de relégation, d’abandon et d’isolement, inaccessibilité des métropoles et donc de l’emploi, désertion des commerces de proximité, des médecins et des services publics, la colère est grande pour ces habitants." Pour la FCSF et Question de ville, ces paroles d'"habitants historiques" et de "nouveaux venus" constituent un témoignage des "difficultés grandissantes dans les quartiers".
"Les habitants ne sont pas contre le changement, mais ils déplorent que ça se décide 'tout là-haut'"
Alors que s'ouvre le grand débat national, les auteurs soulignent le besoin de considération des habitants des quartiers populaires. "Rénovation urbaine, amélioration des habitats, transformation de l’image de la ville, les habitants ne sont pas contre le changement, mais ils déplorent que ça se décide 'tout là-haut', sans construction commune avec eux. Ils demandent à avoir un peu plus de pouvoir sur ce qu’il leur arrive, sur ce qui les concerne directement."
Les paroles des habitants portent sur l'après rénovation urbaine et sur les difficultés d'intégration dans son propre quartier, sur les évolutions de la vie sociale – "Aujourd’hui, c’est bonjour/bonsoir : chacun chez soi" -, la diversité culturelle vécue à la fois comme une richesse et un défi, sur les inquiétudes des adultes quant à l'avenir de leurs enfants et sur leur besoin de soutien sur le terrain éducatif…
Intitulé "Il y a eu une cassure quelque part… Et maintenant, on fait quoi ?", le rapport s'attache à dépasser le constat pour valoriser les "leviers". Jugée parfois correcte et souvent insuffisante, la présence de certaines ressources est présentée comme décisive : les commerces, les médecins, la Poste, les équipements socioculturels, les éducateurs, la police de proximité, les gardiens d'immeuble, les transports en commun…
À Melun, les habitants du quartier Schuman ont préféré le maintien des solidarités au désenclavement
"Bien des problèmes peuvent se 'dégonfler', à partir du moment où les habitants ne se sentent plus 'abandonnés'", observent la FCSF et Question de ville. Les habitants doivent pouvoir solliciter la mairie, leurs élus ; ils le feraient généralement moins pour demander que pour se mobiliser eux-mêmes, agir pour reprendre le contrôle de leur destin. "Le but, c’est de se mettre tous ensemble. Et là, après, ça bouge", de l'avis d'un habitant.
Le rapport relate ainsi l'expérience de mobilisation des habitants du quartier Schuman à Melun, opposés à toute destruction. Prônant la réhabilitation pour éviter la destruction du tissu social et la hausse des loyers, les habitants réunis en collectif ont finalement obtenu gain de cause en juillet 2018, alors que les élus souhaitaient initialement des destructions pour "désenclaver" le quartier.
"'Arrêtez d’urbaniser : humaniser !', c’est un peu le mot d’ordre lancé par les participants à la démarche", concluent la FCSF et Question de ville.
(1) Ont été interrogés des habitants de : Angers et Cholet (Maine-et-Loire), Bavans (Doubs), Bar-le-Duc (Meuse), Bourg-en-Bresse (Ain), Longvic (Côte-d'Or), La Courneuve (Seine-Saint-Denis), Marseille (Bouches-du-Rhône), Osny et Sannois (Val-d'Oise), Rezé et Saint-Herblain (Loire-Atlantique), Sedan (Ardennes), Vitry-le-François (Marne).