Fonction publique - Le projet de loi sur les contractuels enrichi par un long train de mesures éclectiques
Le Sénat a adopté le 26 janvier à la quasi-unanimité (seuls les communistes s'abstenant) le projet de loi destiné à réduire la précarité dans la fonction publique, qui devrait déboucher sur 40 à 50.000 titularisations et la transformation des CDD de 100.000 agents en CDI. "C'est une éclaircie dans un ciel très sombre, obscurci par le dénigrement systématique des fonctionnaires et les réductions drastiques d'effectifs au nom de la RGPP", a déclaré le rapporteur, Catherine Tasca. Le projet de loi concrétise un accord signé le 31 mars 2011 par six organisations syndicales sur huit. "C'est un évènement pour le dialogue social dans la fonction publique", a ajouté Catherine Tasca.
Le texte concerne les trois versants de la fonction publique, qui emploient 891.000 contractuels, soit 17% de l'ensemble des agents. Il permet l'ouverture pendant quatre ans de l'accès à la titularisation, notamment via des examens ou concours, pour les agents occupant un poste qui répond à un besoin permanent et ayant effectué au moins quatre ans de service public sur les six dernières années. En outre, il prévoit qu'un CDI sera "obligatoirement proposé à l'agent contractuel" employé pendant au moins six ans au cours des huit dernières années. La durée est réduite à trois ans pour les agents de plus de 55 ans.
Le projet de loi vise également à éviter de reconstituer un vivier de précaires et redéfinit donc les conditions de durée et de renouvellement des CDD. "Ce projet de loi est un texte de responsabilité et de justice sociale d'exemplarité, qui doit inspirer tous les employeurs publics", s'est félicité le ministre de la Fonction publique, François Sauvadet.
Le Sénat s'est employé à renforcer les garanties accordées aux agents contractuels en assouplissant la détermination des cadres d'emplois accessibles à la titularisation. Il a porté de 3 à 4 mois la durée des interruptions entre deux contrats, qui autorise la prise en compte des périodes de services discontinues pour l'accès au CDI, mesure destinée principalement aux contractuels de l'Education nationale.
Moins de reçus-collés ?
Par ailleurs, la "petite loi" affirme explicitement que les mesures de "CDIsation" et de titularisation bénéficient aux agents contractuels de droit public des administrations parisiennes. Les collaborateurs de groupes politiques des collectivités n'ont pas non plus été oubliés : au-delà de deux CDD de trois ans, ils bénéficieront d'un contrat à durée indéterminée sur décision expresse de l'employeur. Enfin, à titre dérogatoire, les périodes de service à temps incomplet ou partiel des travailleurs handicapés seront considérées comme des périodes de service à temps plein pour l'accès à l'emploi titulaire.
D'autres mesures ajoutées au texte visent à prévenir la précarité, comme l'institution dans les trois fonctions publiques d'un registre unique du personnel, inspiré de celui qui existe dans les entreprises privées. Etabli par l'employeur, ce registre devrait améliorer la transparence sur les emplois et ainsi permettre aux organisations syndicales d'avoir une meilleure connaissance des situations de précarité, a expliqué le groupe communiste républicain et citoyen, auteur de cette mesure.
Contre l'avis du gouvernement, les sénateurs ont porté de 2 à 4 ans la période pendant laquelle une collectivité qui ne trouve pas de fonctionnaire pour un poste peut le remplacer par un agent non titulaire. Selon eux, la mesure empêchera que les 55.000 agents non titulaires concernés ne se retrouvent au chômage au bout de deux ans.
De plus, le lauréat d'un concours sera inscrit sur une liste d'aptitude durant quatre ans, au lieu de trois actuellement. En plus des circonstances déjà prises en compte, comme le congé maternité, la période de détachement suspendra ce délai. Mais le gouvernement a signifié son opposition à cette disposition, qui ne devrait pas être conservée par les députés.
Les sénateurs ont aussi créé des commissions administratives paritaires pour les agents territoriaux non titulaires recrutés sur des emplois permanents.
Meilleure coordination des centres de gestion
Ils ont profité de l'examen du dernier texte de la législature relatif à la fonction publique pour introduire plusieurs réformes, dont certaines sont très attendues. L'une d'elles concerne le recrutement des magistrats des juridictions financières et administratives.
Le gouvernement a par ailleurs obtenu le vote de plusieurs amendements mettant en oeuvre les conclusions de la concertation menée pendant de longs mois avec les organisations syndicales sur les droits et moyens syndicaux. Ils simplifient et rendent plus transparente la gestion des mises à disposition syndicales et accordent des garanties à la carrière des agents exerçant des responsabilités syndicales. Ces amendements concernent la fonction publique territoriale. "La réforme doit se faire à moyens constants, sans transfert de charges entre les collectivités territoriales et les centres de gestion", a précisé sur ce point le ministre. Dans les fonctions publiques d'Etat et hospitalière, la traduction du relevé de conclusions se fera par la voie réglementaire.
Un morceau de la réforme des centres de gestion à l'origine prévue dans une proposition de loi d'Hugues Portelli a également été intégré au texte. La coordination régionale et interrégionale des centres de gestion est renforcée et des plateformes nationales pourront être mises en place pour la gestion des missions organisées à l'échelon régional. Les auteurs de deux amendements relatifs à la participation des grandes collectivités (non affiliées aujourd'hui) à un socle de prestations, contre le versement d'une contribution, ont dû les retirer. En effet, la commission des finances les a considérés comme irrecevables financièrement en vertu de l'article 40 de la Constitution. Le ministre a donc proposé de mettre en place un groupe de travail commun aux deux assemblées qui se réunira "dès la semaine prochaine".
Revalorisation des carrières des cadres supérieurs territoriaux
Enfin, le gouvernement a obtenu le vote de plusieurs dispositions destinées à revaloriser les fonctions d'encadrement supérieur des collectivités territoriales. Des mesures inspirées d'un rapport du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) adopté début 2009 et qu'Alain Marleix, alors secrétaire d'Etat chargé des Collectivités, avait souhaité mettre en oeuvre sans tarder. Pour l'essentiel, cette réforme crée un cadre d'emplois spécifique des ingénieurs territoriaux en chef, des postes de directeurs de projets et d'experts de haut niveau, de même que des postes de directeurs généraux adjoints des services dont le nombre - déterminé par décret - sera proportionnel à la taille des collectivités. Ces personnels pourront bénéficier de la prime de responsabilités que perçoivent aujourd'hui les seuls directeurs généraux des services. En outre, il est institué, pour les agents exerçant de hautes responsabilités, un grade à accès fonctionnel et un échelon spécial - deux dispositifs qui existent déjà à l'Etat (pour les administrateurs civils). Par ailleurs, les cadres d'emplois des administrateurs et des ingénieurs en chef seront accessibles dans le cadre de la promotion interne par la voie d'un examen professionnel national. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) fixera le nombre des postes ouverts et établira la liste d'aptitude.
Des mesures diverses ont également été intégrées lors de l'examen : la composition des conseils régionaux d'orientation du CNFPT a été modifiée ; conséquence de la réforme des retraites, des dispositions transitoires ont été prises pour le congé spécial dont bénéficient les agents occupant un emploi fonctionnel ; enfin, la période durant laquelle les fonctionnaires de la Poste peuvent intégrer les trois fonctions publiques a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2016.
Le texte, inscrit en urgence (une seule discussion par chambre), sera examiné le 7 février par les députés.