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Le projet de loi 4 D en conseil des ministres… et sous l'oeil du Sénat

Le très attendu projet de loi 4 D (différenciation, décentralisation, déconcentration et diverses mesures de simplification), qui vise à adapter l'action publique locale aux spécificités des territoires et prévoit de nouveaux transferts de compétences aux collectivités, a été présenté ce 12 mai en conseil des ministres. Les sénateurs qui examineront la réforme en juillet, jugent qu'elle "manque de souffle" et, cependant, qu'elle a "le mérite d'être sur la table". Ils ont dévoilé, mardi, l'état d'esprit dans lequel ils préparent leurs amendements.

Le texte, qui "traite de la quasi-totalité des champs de l'action publique locale", représentera "un tournant dans les relations État-collectivités", sans toutefois tomber dans le piège d'une "énième redistribution des compétences", a déclaré ce 12 mai Jacqueline Gourault à l'issue du conseil des ministres, où elle venait de présenter son projet de loi "relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale", le fameux projet de loi 4D.

Les objectifs de ce texte attendu et dont plusieurs versions provisoires ont déjà circulé au gré des diverses consultations (auprès entre autres du CNEN, du CSPT... voir nos articles en lien ci-dessous) : "répondre aux besoins concrets et opérationnels des collectivités locales et de leur permettre de conduire une action plus adaptée aux particularités de chaque territoire", "donner les moyens de répondre aux besoins de proximité et d’efficacité", selon les termes de la ministre de la Cohésion des territoires. Tout cela est le fruit du "cycle de concertations locales conduit depuis janvier 2020 dans toutes les régions" mais aussi, a-t-elle souligné, d'un "énorme travail interministériel".

Sans entrer dans le détail des 80 mesures, Jacqueline Gourault a cité quelques exemples des nombreuses dispositions liées à chacun des quatre D. Sur le D de différenciation, elle a ainsi mentionné la plus grande "latitude" qui sera donnée aux collectivités pour "fixer localement la réglementation des compétences qu’elles exercent".

Pour D comme décentralisation, il s'agit moins d'attribuer de nouvelles compétences aux collectivités que de "conforter" celles qu'elles exercent déjà, qu'il s'agisse de mobilité, de logement, d'insertion, de transition écologique ou d'insertion. Et la ministre de citer la possibilité pour les départements et les métropoles de "se voir confier les tronçons de routes nationales liés aux réseaux routiers dont ils ont déjà la responsabilité" ou encore l'expérimentation d'un "financement différencié du RSA" (financement repris par l'État ; on sait que six ou sept départements à ce jour sont demandeurs). La communication diffusée à l'issue du conseil des ministres mentionne en outre la possibilité pour les collectivités de "financer des établissements de santé ou recruter du personnel soignant pour les centres de santé qu’elles gèrent" ou, pour les régions, de "poursuivre leurs actions de préservation de la biodiversité via la gestion des sites Natura 2000".

Jacqueline Gourault a aussi rappelé que c'est dans ce projet de loi que figurera la prolongation au-delà de 2025 du dispositif issu de l'article 55 de la loi SRU, afin de "pérenniser les objectifs de production de logements sociaux tout en prenant mieux en compte les réalités locales". Ce volet-là a naturellement été travaillé avec la ministre en charge du logement, Emmanuelle Wargon, qui en assurera la discussion au Parlement. En sachant que des échanges ont déjà eu lieu avec les sénatrices Dominique Estrosi-Sassone et Valérie Létard, avec des "ouvertures possibles" de la part du gouvernement.

Côté D de déconcentration ont été mentionnés le fait que le préfet de région sera désormais le délégué territorial de l'Ademe, et que les collectivités pourront plus facilement avoir recours aux "capacités d'appui" du Cerema en termes d'ingénierie. Quant au D de la "décomplexification", ce terme qui a finalement disparu de l'intitulé du projet de loi, l'une des mesures, préparée par Amélie de Montchalin, porte sur le renforcement du dispositif "Dites-le nous une fois" grâce au "partage des données entre administrations nationales et locales".

Le texte, sur lequel Localtis reviendra point par point dans une prochaine édition (lorsque la version adoptée en conseil des ministres sera publiée), sera examiné en première lecture au Sénat à partir du 5 juillet. Il arrivera à l'Assemblée nationale "après l'été, assez tôt à la rentrée", a indiqué Jacqueline Gourault. Celle-ci avait précisé le matin même que cela pourrait impliquer une session extraordinaire. Et que le gouvernement déclarerait l'urgence – autrement dit une seule lecture par chambre.

De D à E comme efficacité

La veille, mardi après-midi, le Sénat avait pris les devants en organisant une conférence de presse sur le sujet.

Le projet de loi, que le président de la République avait annoncé à l'issue du Grand Débat, en avril 2019, "ne répond pas tout à fait aux attentes", mais le Sénat "s'attachera à l'enrichir" pour "lui donner de la force", a sans surprise déclaré le président de la chambre représentant les collectivités locales, Gérard Larcher (LR), aux côtés des deux rapporteurs, Françoise Gatel (UC) et Mathieu Darnaud (LR). "Le projet de loi doit permettre de construire un nouvel équilibre des pouvoirs entre l'État et les collectivités territoriales, de nature à restaurer la confiance", a-il souligné. Pour Gérard Larcher, il y a "urgence" : les manifestations des "gilets jaunes" et la crise sanitaire ont fait "la démonstration d'un État fragilisé par ses rigidités" et ont, au contraire, "confirmé l'agilité et la réactivité des collectivités territoriales".

À la ministre en charge de la Cohésion des territoires qui "nous tend une main", "nous tendons les bras", dès lors qu'elle donnera son accord à un minimum de propositions du Sénat – "entre quinze et vingt" – a lancé Françoise Gatel. "Nous ne serons pas contre le gouvernement."

"Le Sénat propose de pousser le texte plus loin, ou une lettre plus loin, pour atteindre le E d''efficacité'. "L'objectif, ou l'obsession, c'est l'efficacité de l'action publique", a aussi indiqué la rapporteure. Pour "sortir de cette crise et en tirer les leçons", le Sénat sera "exigeant, mais constructif", a-t-elle souligné. Françoise Gatel s'est montrée confiante dans la capacité du gouvernement à trouver un accord avec le Sénat sur un certain nombre de mesures : sur la loi du 27 décembre 2019 dite "Engagement et proximité", "le gouvernement a su nous entendre", a-t-elle dit. "Nous avons la volonté d'un texte pragmatique", afin de "donner aux acteurs des territoires tous les outils simples d'usage et efficaces pour les populations", a complété François-Noël Buffet (LR), président de la commission des lois.

Il est déjà possible d'esquisser une partie des amendements que les sénateurs déposeront au début de l'été sur le projet de loi. Car, sans surprise, les 50 propositions "pour aller au bout de la décentralisation", qu'ils avaient présentées en juillet 2020, leur serviront de fil rouge. Avec le soutien appuyé de Territoires unis (le mouvement qui regroupe l'Association des maires de France, l'Assemblée des départements de France et Régions de France), ces recommandations avaient donné lieu, dans la foulée, au dépôt de trois propositions de loi "pour le plein exercice des libertés locales". La Haute Assemblée avait adopté à l'automne deux d'entre elles (voir notre article du 21 octobre).

Compétences intercommunales à la carte

Le président du Sénat et les rapporteurs l'ont confirmé. Le Sénat soutiendra les transferts de compétences qui sont demandés par les collectivités locales. Mais dans le même temps, la Haute Assemblée estime qu'un certain nombre de transferts sont incontournables, tels que la médecine scolaire et les compétences médicosociales en direction des départements. Ceux-ci doivent par ailleurs retrouver "une capacité en matière d'économie de proximité", a jugé Gérard Larcher. S'agissant des régions, il a souhaité un renforcement de leurs compétences "en matière de santé, d'emploi et d'économie".

Le Sénat veut aussi "redonner de la souplesse et de l'agilité" aux collectivités en permettant que l'organisation des compétences tienne mieux compte des spécificités territoriales. Ce principe doit se traduire, pour le rapporteur Mathieu Darnaud, par la possibilité pour les intercommunalités, notamment les plus grandes, de choisir les compétences qu'elles exercent. Lors des débats sur la loi "Engagement et proximité", la majorité sénatoriale n'avait pas réussi à convaincre le gouvernement de la nécessité de cette "intercommunalité à la carte". S'agissant de l'article portant sur la loi SRU, le Sénat entend "laisser une marge d'adaptation" aux collectivités qui sont soumises à des obligations trop "rigides" de construction de logements sociaux.

Dans le domaine de la déconcentration, le Sénat "propose de restaurer l'autorité du préfet du département", a souligné Gérard Larcher, en critiquant la volonté du gouvernement de mettre fin au corps préfectoral, si utile selon lui depuis le début de la crise sanitaire. La Chambre haute entend aussi favoriser le développement de l'ingénierie territoriale, en particulier dans les zones rurales. Enfin, en matière de simplification, le Sénat plaidera pour un renforcement du rôle et de la place du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), qui se prononce sur tous les projets de textes concernant les collectivités.

Les rapporteurs du projet de loi au Sénat "ont clairement annoncé leur volonté positive de voir aboutir ce texte", s'est félicitée ce 12 mai la ministre en charge de la Cohésion des territoires. Jacqueline Gourault a également jugé "très constructive" la position de Gérard Larcher. "Je connais par cœur les cinquante propositions du Sénat, et nous en avons déjà intégré environ la moitié", a-t-elle ajouté, se disant naturellement ouverte à d'autres évolutions. "Une loi ne peut sortir du Sénat sans enrichissements !", a-t-elle lancé.

  • Approfondir la décentralisation : une nécessité pour 70% des élus locaux

Les propositions de la Haute Assemblée "sont conformes aux attentes des élus" des collectivités, s'est vantée Françoise Gatel, lors de la conférence de presse, ce 11 mai. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation – que la sénatrice préside – voulait s'en assurer. Elle a donc organisé au début de cette année une consultation à laquelle quelque 3.300 élus locaux ont répondu. Celle-ci venait compléter un sondage mené à l'automne par l'institut CSA auprès d'un échantillon représentatif de 500 élus locaux.
Selon ce sondage, les édiles se disent très majoritairement (70%) enclins à davantage de décentralisation. Pour les conseillers départementaux et régionaux, l'action sociale et médico-sociale et l'accompagnement des demandeurs d'emploi devraient être davantage transférés aux collectivités territoriales. De leur côté, les élus municipaux plaident pour une décentralisation plus grande des politiques en matière d'environnement et de logement.
En outre, les élus locaux approuvent une plus grande différenciation territoriale : les trois quarts se disent "favorables à ce que les lois nationales puissent être adaptées aux spécificités des territoires", ou encore "que la loi puisse confier des compétences différentes à des collectivités territoriales de même catégorie dans le cadre d’une expérimentation".