Open data - Le principe de gratuité des informations publiques se confirme
Les données publiques soumises à redevance vont plutôt à l'encontre de la doctrine de l'Etat qui pose aujourd'hui le principe selon lequel "les données produites par le service public, quand elles ne sont pas personnelles et ne touchent pas à la sécurité nationale, doivent être mises à la disposition du plus grand nombre, gratuitement, dans des formats réutilisables". Le Premier ministre avait missionné un magistrat de la Cour des comptes, Mohammed Adnène Trojette, pour évaluer les modèles économiques de chaque redevance existante et mettre au clair la position des pouvoirs publics. Il vient de publier son rapport et ses conclusions. Il préconise notamment une généralisation de la gratuité, la constitution d'une infrastructure de plateformes de diffusion et la recherche de nouveaux modèles économiques.
Il existe encore 27 catégories de données soumises à redevance. Mais le chiffre d'affaires de cet ensemble plafonne à 35 millions d'euros, enregistre de fortes baisses (-33% en deux ans) et reste porté par un nombre très restreint d'opérateurs et de ministères : l'Insee et l'IGN perçoivent chacun 10 millions d'euros, le ministère de l'Intérieur 4 millions et les 14 plus petites redevances rapporteraient, ensemble, moins de 5% du total (1,75 million). Sans compter que 15% du montant total perçu serait acquitté par des acteurs publics (autres services de l'Etat, collectivités territoriales, entreprises publiques, etc.). De quoi relativiser les débats qui ont longtemps agité le secteur public et déclenché tant de batailles pour le maintien des positions acquises. Le poids économique de ce secteur serait donc faible et le maintien des redevances "préjudiciable" au regard de la qualité des données concernées - pour l'essentiel géographiques, météorologiques et de santé -, jugées par le rapporteur "utiles à l'exercice de la démocratie" et "à fort potentiel socio-économique".
Un potentiel de plus en plus reconnu
Tout en reconnaissant le "manque de recul" en France, qui permettrait chiffrer le potentiel économique des données ouvertes, le magistrat prend notamment pour exemple l'information géographique qui apporterait selon lui les arguments les plus solides en faveur de "l'open data". Une étude finlandaise indique en effet que les entreprises réutilisatrices se développent davantage dans les pays ou ces informations publiques sont ouvertes. Tendance également confirmée par l'Institut géographique national (IGN) – pourtant longtemps réticent à l'ouverture – qui estime à 114 millions d'euros par an "le bénéfice social" du passage à la gratuité du référentiel à grande échelle pour les organismes chargés d'une mission de service public, pour un manque à gagner de 6 millions d'euros. Les exemples étrangers apportent aussi leur lot de confirmations. Le Royaume-Uni, qui passe pour l'un des pays les plus avancés, estime à 7,9 milliards d'euros pour 2010 et 2011 les bénéfices de l'ouverture des données publiques pour la société britannique, dont 5,8 milliards d'euros de bénéfices sociaux.
Un tel potentiel ne serait pas hors de portée de la France. L'Hexagone, qui occupe déjà avec le Japon la troisième place mondiale en matière d'ouverture des données publiques, derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, peut en effet compter sur des volumes importants de données publiques ouvertes et de qualité ainsi que sur un potentiel de réutilisateurs aux profils très variés.
Mais la réussite repose sur une plus grande lisibilité de l'action de l'Etat. Notamment sur une stratégie d'infrastructures fondée sur "des plateformes performantes de mise à disposition" et "des formats permettant le traitement automatisé". Cette mise en place posera dans certains cas la question de son financement, à condition de raisonner sur les coûts marginaux. Mais selon le rapporteur, le maintien du principe de la redevance n'est plus tenable compte tenu du changement de modèle : la position monopolistique de l'Etat s'est progressivement érodée au point de l'inciter à une refonte assez profonde des politiques publiques.
L'information géographique, indicateur de la redistribution des cartes...
Historiquement, l'administration centrale a joué un rôle essentiel dans la production et la collecte des données publiques. Aujourd'hui, cette position s'est beaucoup affaiblie au regard du rôle croissant joué par les collectivités territoriales sur leur territoire et de l'apparition de démarches ouvertes participatives de contournement des sources d'information publiques imposant des redevances de réutilisation. Ce phénomène "concurrentiel", particulièrement sensible dans le domaine de l'information géographique, met en lumière la montée en puissance des collectivités locales qui, avec l'achat de prestations d'orthophotographie aérienne (1) pour leur utilisation propre, l'ouverture libre et gratuite de ces données aux réutilisateurs et l'encouragement du "crowdsourcing" (2), pour disposer de mises à jour plus fréquentes que celles de l'IGN, ont peu à peu modifié l'équilibre de la relation avec l'IGN.
Les projets collaboratifs gratuits, libres et ouverts ont de plus introduit une nouvelle dimension en produisant des informations supplémentaires, voire complémentaires. Ainsi, le wiki cartographique OpenStreetMap propose des données thématiques de plus en plus précises en matière de pistes cyclables, de cheminements pour les handicapés, y compris des mises à jour de plus en plus détaillées. Sans oublier les grands opérateurs comme Google qui pratiquent aussi la cartographie collaborative. Au total, les données concurrentes de celles de l'IGN sont de plus en plus fréquemment utilisées par le grand public, les collectivités territoriales, les entreprises et aussi par les services de l'Etat, tous clients traditionnels de l'établissement public. Elles ont conduit ce dernier à changer de politique. Aujourd'hui, l'institution ouvre gratuitement ses données aux organismes chargés d'une mission de service public, développe des projets collaboratifs impliquant par exemple les services de l'Etat et les collectivités locales et envisage même "des voies de coopération avec le chapitre français d'OpenStreetMap", ce qui implique des changements profonds dans la culture interne de l'entreprise.
Des plateformes de services pour "ouvrir" et conserver la maîtrise
Pour accélérer les effets porteurs de l'ouverture des données, le rapporteur préconise la mise en place d'une infrastructure informationnelle de base garantissant le principe de la gratuité et l'utilisation de modèles économiques plus dynamiques. Ceci passe par un ensemble de mesures durables :
- l'ouverture gratuite de jeux de données génériques à laquelle la France s'est engagée vis-à-vis de ses partenaires du G8 (statistiques, données géospatiales, observation de la terre, transports et infrastructures…) ;
- la prise en charge sur le budget de l'Etat des coûts de production et de collecte des informations publiques ;
- le déploiement de plateformes permettant aux propriétaires des données de les proposer à tous les usages tout en conservant la maîtrise des ressources mises à disposition ;
- la recherche de modèles de financement des plateformes fondés sur la valeur ajoutée produite et qui, à côté de la gratuité, permettraient d'instituer une rémunération, mais seulement au titre d'un retour raisonnable (et non substantiel). Le produit ne couvrirait que les coûts marginaux de mise à disposition ;
- l'expérimentation de modes de financement coopératifs (une troisième voie) sous la forme de contribution volontaire d'un ou de plusieurs acteurs extra étatiques ou en faisant appel à des acteurs plus nombreux y compris des citoyens dans le cadre du "crowdfunding" (3) à condition qu'ils ne conditionnent pas l'ouverture des données publiques.
Les décisions consécutives à la publication de ce rapport devraient être révélées lors du prochain comité interministériel de la modernisation de l'action publique (Cimap), programmé dans le courant du mois de décembre.
Philippe Parmantier / EVS
(1) Technique permettant de redresser une image ou une photographie aérienne suivant le relief de l'objet qu'elle représente.
(2) Pratique par laquelle des organisations font appel aux citoyens, aux internautes ou aux consommateurs, selon les cas, pour co-participer à la réalisation de projets collectifs.
(3) Technique de financement qui consiste à solliciter un grand nombre d'internautes pour participer au financement de projets d'intérêt public ou privés.