Le plan France ruralités à la loupe
Lors d'un déplacement à Saulgé dans la Vienne, la Première ministre, Élisabeth Borne, a détaillé le contenu des quatre axes du plan France ruralités. Il s'agit pour elle de "bâtir un nouveau contrat" avec les territoires ruraux qui connaissent un "renouveau". Le plan reprend notamment l'idée portée par l'AMRF d'un programme d'ingénierie spécifique baptisé "Villages d'avenir", dans le prolongement d'Action coeur de ville ou de Petites Villes de demain.
C'est dans un décor de carte postale, entourée de meules blondes, que la Première ministre a présenté, le 15 juin, le plan France ruralités préparé depuis de longs mois. Plus précisément à Saulgé, un village de 1.000 habitants dans la Vienne, département dont elle fut préfète. "Je vous propose de bâtir un nouveau contrat avec nos territoires ruraux", a-t-elle clamé, assurant que le "renouveau de nos ruralités d'accélère", que le "temps de l'exode rural est révolu", que les campagnes ont "par leur volonté, enrayé la spirale du déclin"… Même si subsiste un "sentiment d’abandon, de relégation, auquel on ne peut pas se résoudre". Sans un mot pour l'Agenda rural, dont le plan est censé prendre la suite, elle a promis "des solutions concrètes aux effets rapides".
La Première ministre a ensuite détaillé les quatre axes de ce plan connus depuis quelques semaines : le programme d'ingénierie Villages d'avenir, le plan d'action pour l'amélioration de la qualité de vie, le financement des aménités rurales et la réforme des zones de revitalisation rurale.
Le programme "Villages d'avenir"
Né d'une proposition de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), le programme Villages d'avenir se place dans la continuité de ce qui a déjà fait pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs avec Action cœur de ville et Petites Villes de demain. Il s'agira d'aider les collectivités et les élus à mener des projets qui "transforment le quotidien" : équipement sportifs et culturels, mobilités, accueil des enfants, développement économique… Ce nouveau programme d'ingénierie, piloté par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), s'appuiera sur un réseau de 100 chefs de projets "mutualisés à l'échelle départementale et installé dans les sous-préfectures", détaille Matignon, dans son dossier de presse. Ils interviendront en "subsidiarité et complémentarité" avec l'offre existante (EPCI, PETR, conseil départemental et région). Les communes volontaires devront se faire labelliser. Le chef de projet pourra alors conduire un diagnostic rapide du territoire (20 jours maximum), avant d'apporter une assistance technique locale. Le programme pourra aussi se construire localement avec les départements et les régions invités à "co-labelliser" les communes. La dimension du programme reste cependant à préciser : l'entourage de la Première ministre évoquait mercredi un panel de 500 communes...
La valorisation des aménités rurales
Le gouvernement a accédé à la demande du Parlement rural de porter de 41 à 100 millions d'euros la dotation "biodiversité et aménités rurales" pour récompenser les efforts entrepris par les communes rurales pour entretenir le patrimoine naturel. Dès 2024, la dotation sera en même temps "profondément" réformée autour d'un "principe simple" : "Plus de surfaces protégées, plus de subventions", a expliqué la Première ministre. "Les communes qui s’engagent pour protéger notre environnement doivent être mieux accompagnées", a-t-elle plaidé, ajoutant : "Quand des maires ruraux se mobilisent pour l’entretien d’une forêt, c’est toute la France qui en bénéficie, en préservant ses puits de carbone, et en limitant les risques d’incendie. Ils agissent pour nous tous, nous devons les aider." Ces principes figuraient déjà dans l'Agenda rural de 2019.
L'amélioration du quotidien
Pour améliorer le quotidien des campagnes, le plan vise à apporter des "solutions nouvelles". Il s'agit pour la Première ministre de donner vie à la "différenciation" inscrite dans la loi 3DS. Le plan comporte une trentaine réparties dans sept thématiques : mobilités, vie quotidienne des élus locaux, égalité des chances et éducation, attractivité des services, santé, culture, habitat et logement.
En matière de mobilité, il s'agit de sortir de la dépendance à la voiture individuelle, de trouver des alternatives aux déplacements domicile-gare, de développer une offre de transport du dernier kilomètre… Un fonds de soutien de 90 millions d'euros sur trois ans est créé pour "accompagner les autorités organisatrices des mobilités rurales".
Le plan s'attache aussi à la police de l'environnement : les 3.000 enquêteurs environnementaux pourront aider les maires à réaliser des diagnostics de sûreté. Il prévoit aussi une revalorisation des métiers de garde-champêtre et de secrétaire de mairie. S'agissant des violences contre les élus, la Première ministre a annoncé qu'elle présenterait "des mesures nouvelles très prochainement".
En matière d'éducation, il est prévu de généraliser les "territoires éducatifs ruraux" expérimentés depuis 2021 (voir notre article du 3 mai 2022), d'ouvrir 3.000 places supplémentaires d'internat d'excellence, de donner une vision à trois ans sur l'évolution de la carte scolaire, de recruter 1.250 services civiques en ruralité et d'installer des relais "info jeune" dans les maisons France services.
Concernant les services justement, le financement des maisons France services sera bonifié dans les zones de revitalisation rurale. À noter que le sénateur du Cantal Bernard Delcros (Union centriste) remettra dans les prochains jours à la Première ministre un nouveau rapport pour améliorer le fonctionnement de ces maisons. Le volontariat territorial en administration (VTA) sera prolongé jusqu'en 2026 avec, dès 2024, des "VTA expertises" plus expérimentés pour répondre à des projets plus complexes. Le fonds de 12 millions d'euros en soutien aux commerces ruraux sera pérennisé pendant la durée du plan. Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des PME, du commerce, de l'artisanat et du tourisme, a annoncé ce même jour la liste des 76 premiers lauréats de ce fonds. Par ailleurs un fonds de 2 millions d'euros géré par l'ANCT et la DGE sera créé pour porter des "lieux de convivialité innovants". La possibilité pour les communes de moins de 3.500 habitants de se doter de licence IV est pérennisée. Enfin, un fonds de 3 millions d'euros est créé pour soutenir les projets locaux d'économies sociale et solidaire.
Autre gros volet de ce plan d'action : la santé, avec la création de 100 médicobus d'ici fin 2024, le doublement des maisons de santé (objectif de 4.000 en 2027 avec une enveloppe de 45 millions d'euros sur trois ans). Élisabeth Borne a par ailleurs salué la proposition de loi Valletoux visant à "améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels" en cours d'examen qui, selon elle, permettra de "donner un cadre clair à la médecine de ville" (voir notre article du 13 juin). Le gouvernement compte aussi s'appuyer sur l'instauration d'une quatrième année de formation en médecine générale dans les zones sous-denses.
Pour lutter contre la vacance de logement – qui atteint 37% dans les communes rurales pour 24% du parc de logements –, le plan prévoit la création d'une prime de sortie de la vacance de 5.000 euros pour les propriétaires qui effectuent des travaux de réhabilitation dans leur logement pour le mettre en location. L'Anah consacrera une enveloppe de 10 millions d'euros sur cinq ans pour l'accompagnement à la réalisation et à l'animation d'opérations programmées d'amélioration de l'habitat dédiées à la revitalisation rural (Opah-RH). Une budget spécifique sera prévu pour accompagner les collectivités dans la mise en œuvre d'opération de revitalisation des territoires (ORT), notamment sur les procédures d'expropriation des biens vacances ou biens sans maître.
Hormis le recrutement de 60 VTA "culture" et l'"implantation d'au moins 200 micro-folies", la culture ne fait pas l'objet de mesures nouvelles, si ce n'est la revalorisation des subventions pour l'entretien des monuments aux morts ou la protection du patrimoine religieux, dans les lignées des annonces d'Emmanuel Macron au mont-Saint-Michel.
Élisabeth Borne a souligné le rôle "essentiel" que mènera la Banque des Territoires pour accompagner les projets des élus (voir encadré).
La réforme des ZRR
Le quatrième gros volet de France ruralités sera la mise en œuvre de la réforme des zones de revitalisation rurale, telle qu'elle l'avait annoncée lors du dernier congrès des maires. "Je le redis solennellement : il n’est pas question de se priver de cet outil essentiel", a-t-elle déclaré, alors que le dispositif expire à la fin de l'année. On notera que la réforme des ZRR figurait déjà dans l'Agenda rural. La concertation entamée depuis plusieurs mois va se poursuivre pour en déterminer les détails. On sait simplement que le zonage devrait comporter deux niveaux d'intervention, avec des exonérations fiscales et sociales "mieux calibrées et ciblées" pour les territoires les plus fragiles. Par ailleurs, le zonage inclura automatiquement les six départements en déprise démographique depuis 1999.
La Banque des Territoires sera partie prenante du plan France ruralités. Elle assurera tout d'abord une assistance juridique et financière gratuite, par téléphone, pour permettre aux élus, confrontés à des projets de plus en plus complexes, de poser des questions à des spécialistes. Elle apporte aussi un soutien en ingénierie et en investissement dans plusieurs secteurs stratégiques : couverture numérique, production énergétique, transformation agricole (foncier agricole, transformation et distribution des produits, structuration de filières telles que le bois…), mobilités… Enfin, la Banque des Territoires financera des solutions de soutien au maintien d'activités de commerce ou de logement complexes, par le biais de foncières de revitalisation. L'idée est de faciliter des opérations de rénovation d’immeubles dans les cœurs anciens dans une logique "multifonctionnelle" : habitat, pied d'immeuble, local d'artisanat… L'objectif est d'équilibrer ces opérations complexes et de permettre le développement du logement social, favoriser les "parcours résidentiels", là où les bailleurs sociaux se positionnent peu. |