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Le Parlement rural français se pose en "groupe de pression"

Inauguré le 4 juin, le Parlement rural français a tenu sa première session les 15 et 16 octobre à Nevers. L'occasion de faire le point sur la mise en oeuvre des propositions de l'Agenda rural. Sur les 200 propositions avancées, une cinquantaine seraient effectivement dans les tuyaux.

En langage sportif, c’est ce qui s’appelle "marquer à la culotte". Le Parlement rural français qui tenait sa toute première session, les 15 et 16 octobre à Nevers (Nièvre), n’entend rien céder de son rôle de "shadow cabinet" de la ruralité. Cette instance composite, autoproclamée le 4 juin, est née de la convergence de plusieurs associations emblématiques* du monde rural. "C’est à la fois un groupe de réflexion et un groupe de pression", souligne le sénateur de la Nièvre Patrice Joly, président de l’Association nationale Nouvelles Ruralités.

Une cinquantaine de mesures réellement retenues sur 200

Habitués des déconvenues et des annonces sans lendemain, les élus de la ruralité restent en effet prudents au moment où le gouvernement met en route le plan d’actions annoncé par le Premier ministre à Eppe-Sauvage (Nord), le 20 septembre, sur la base du rapport de la mission Agenda rural remis le 26 juillet (cette mission était composée du député d’Indre-et-Loire Daniel Labaronne, de Patrice Joly et des maires Dominique Dhumeaux, Cécile Gallien et Pierre Jarlier). "C'est la première fois depuis longtemps que la ruralité est dans le faisceau de l'action du gouvernement. Cela a permis d'apporter un autre regard. Il faut qu'on sorte de la culture du handicap", s'est félicité Pierre Jarlier, le maire de Saint-Flour (Cantal), lors de cette session. Mais les élus ont fait les comptes. Sur les 200 propositions de cette mission, Matignon avait indiqué que 173 seraient retenues. "On a épluché le dossier de presse, on est plutôt à 50", confie un responsable de l’Association des maires ruraux de France (AMRF).

Cette première session a permis de passer en revue les différentes mesures, avec parfois de légers flottements, comme lorsque le député LREM d’Indre-et-Loire Daniel Labaronne, membre de la mission Agenda rural, se voit interrogé sur le sujet. "Je ne sais pas précisément le nombre de propositions que le gouvernement va retenir", avoue-t-il, précisant qu’à Eppe-Sauvage n’ont été reprises que "les propositions majeures" et qu’un travail interministériel est en cours pour examiner l’ensemble des propositions. "Je suis assez ébahi de la volonté du gouvernement de s’emparer du sujet", affirme-t-il. Un amendement pourrait par exemple être déposé pour rehausser les crédits de la future Agence nationale de la cohésion des territoires : 50 millions d’euros ont été inscrits dans le projet de budget pour 2020 quand la mission estimait entre 150 et 200 millions d’euros les besoins nécessaires au démarrage de l’agence.

Un suivi spécifique pour quatre mesures phares

Parmi les mesures déjà actées par le gouvernement, le Parlement rural entend assurer un "suivi spécifique" pour quatre d’entre elles : défendre, à l’heure des négociations sur le futur budget européen 2021-2027 un engagement de "haut niveau" en faveur du développement rural, "résorber en 5 ans les zones blanches de téléphonie mobile et déployer la 4G sur tous les pylônes existants d’ici deux ans" ; accélérer le recrutement et le déploiement de postes de médecins salariés dans les zones sous-dotées ; créer des "zones de revitalisation commerciale" dans les communes de moins de 3.500 habitants… Ce plan de revitalisation commerciale des petites communes sera lancé début 2020 a pu confirmer Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des territoires, dans une vidéo diffusée le 16 octobre. D’ailleurs le dispositif figure bel et bien dans le projet de loi de finances pour 2020. Il permet aux communes isolées de décider des exonérations de contribution économique territoriale et de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les activités commerciales (possibilité étendue aux communes ayant contracté une Opération de revitalisation de territoire). La ministre a aussi promis de nouvelles licences IV "non transférables", des campus connectés et 600 poses de médecins salariés (leur nombre n’avait pas été arrêté jusque-là). Interviewée sur Public Sénat, lundi, elle a aussi laissé entendre que l’élargissement des emplois francs à la ruralité pourrait aussi être envisagé. "C'est un dossier que nous sommes en train d'étudier pour voir si c'est transposable dans la ruralité", a-t-elle dit.

L'ouverture des licences IV est une revendication forte de la profession, alors que leur nombre est passé de 200.000 dans les années 1960 à environ 40.000 aujourd’hui. "25.000 communes n’ont plus de licence IV, quand il n’y a plus de licence IV, il n’y a plus rien. Quand l’école ferme, c’est que le reste a déjà disparu", a pu arguer Roland Heguy, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH).

De grandes absences

Le Parlement rural français se félicite aussi que le plan gouvernemental comporte des mesures qui ne figuraient pas dans le rapport de la mission, en particulier sur les questions de sécurité. Mais il note aussi de grandes absences. Quatre sont jugées prioritaires, comme la création d’un fonds d’innovation territoriale issu du Programme d’Investissement d’Avenir (PIA), "qui pourrait être abondé par les régions pour soutenir les projets des territoires ruraux" ou encore la garantie d’un accès à un socle de services universels à moins de 30 minutes de trajet. "Le gouvernement se réfugie derrière les maisons France services. Dans l’Agenda rural, on a surtout dit que les mairies devaient être le lieu d’accueil de premier recours", a déclaré Dominique Dhumeaux, président des maires ruraux de la Sarthe et membre de la mission.

Le Parlement rural souhaite aussi améliorer l’accueil des personnes âgées à la campagne (en revalorisant par exemple les métiers d’aide à domicile) et plaide pour une relocalisation des services supports des administrations et des opérateurs pubIics en milieu rural. Pour Dominique Dhumeaux, le projet de loi Orientation des mobilités (LOM) constitue un loupé car "en l’état aucune solution n’est proposée pour permettre autre chose que la voiture". "L’Agenda rural, on n’en parlerait pas s’il n’y avait pas eu la crise des gilets jaunes. Depuis les émeutes des banlieues de 2005, la ruralité était devenue la variable d’ajustement", a-t-il fait observer. "S’ils n’ont pas un peu peur de notre capacité à nous mobiliser, nous n’y arriverons pas."

Pourtant, Jacqueline Gourault a donné des gages pour le suivi : le Premier ministre présidera deux fois par an un comité interministériel sur la mise en oeuvre de l'Agenda rural, a-t-elle annoncé. Un comité de suivi avec tous les ministères et les membres de la mission Agenda rural sera également installé. Autre signal positif : d’après l’AMRF, l’Insee a récemment reçu une commande de Matignon lui demandant de revoir ses critères de zonage. Une revendication portée par le géographe Gérard-François Dumont, qui a rappelé que l’Insee a transformé les communes rurales en "communes isolées en dehors des pôles", limitant ainsi mécaniquement leur poids démographique et géographique. "C’est extrêmement attractif comme formulation", a-t-il ironisé. "Si cette clé de voûte n’est pas mise en œuvre, c’est tout l’Agenda rural qui dégringolera."

* Association des maires ruraux de France, Association nationale des nouvelles ruralités, Leader France, Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, Familles rurales, Union nationale des maisons familiales rurales...