Archives

Le massif des Vosges face au défi de la diversification touristique

Face à l'impact du changement climatique sur l'enneigement et à la baisse de la pratique du ski, le massif des Vosges cherche à développer le "tourisme quatre saisons" dans une perspective "résolument durable". Le Pays de Remiremont et de ses vallées vient ainsi de signer la deuxième convention du programme Avenir montagnes ingénierie.

Après le Jura, les Vosges. La deuxième convention du programme "Avenir montagnes ingénierie" a été signée le 18 octobre, avec le PETR Pays de Remiremont et de ses vallées. Ce territoire qui regroupe 580 communes fait partie des 32 premiers lauréats présentés par le secrétaire d’Etat à la ruralité Joël Giraud, le 8 octobre, à l’occasion du Conseil national de la montagne (CNM), à Pontarlier (voir notre article). L’objectif de cette convention : mettre en place une stratégie touristique "résolument durable" qui prenne en compte l’agriculture, l’industrie, la protection de l’environnement, dans une logique d’adaptation au changement climatique, a expliqué le préfet des Vosges Yves Séguy, à l’issue de cette signature, lors d’un séminaire sur le thème "Moyenne montagne et changement climatique", organisé par l’Institut CDC pour la recherche, à La Bresse. "Le massif des Vosges reste à la fois un massif accessible avec des côtés évidemment positifs", mais c’est "aussi un massif qui souffre du changement climatique", a-t-il détaillé, citant pour exemple le scolyte qui ravage les forêts de conifères ou la raréfaction en eau d’un massif qui passe pourtant pour le "château d’eau de la Lorraine". Avec l’aide du programme Avenir montagnes ingénierie, le PETR va ainsi pouvoir travailler à un "tourisme 4 saisons, accessible au plus grand nombre".

Les hivers sans neige se reproduiront tous les deux ans

Comme dans beaucoup de massifs de moyenne montagne, les élus des Vosges s’interrogent avant tout sur l’avenir du ski avec un enneigement qui devrait diminuer au fil des ans, comme le montrent les modélisations issues des travaux du Giec. D’ici à 2050, en haute montagne, l’épaisseur du manteau neigeux baissera de 10% à 40% par rapport à la moyenne de la période 1985-2005, quelles que soient les mesures prises au niveau international, a en effet expliqué Hugues François, Ingénieur de recherche, spécialiste du développement touristique de la montagne à l'université Grenoble-Alpes. Les hivers sans neige qui survenaient tous les cinq ans en moyenne se reproduiront tous les deux ans. Toutefois, élément important : la neige de culture permettra de maintenir la skiabilité des domaines alpins jusqu’en 2050… Mais pour les massifs de moyenne montagne, la situation est encore plus aléatoire. "Il y a une nécessité à agir face à un modèle économique des stations déséquilibré, dont le socle s’effrite (avec un moindre enneigement et moins de pratiquants), et qui ne parvient pas à s’annualiser", les activités d’été ou de ski nordique comptant bien trop peu dans les résultats, a expliqué Isabelle Blaise, directrice de mission à la Scet qui a réalisé une étude sur "l’évolution du modèle des stations des Vosges face au changement climatique", à la demande des élus du massif.

Transition douce

L’urgence à agir diffère en fonction des "vulnérabilités" de chaque type de station. Les petites stations familiales dites "de neige" comme Xonrupt ou Le Tanet n’ont pas un modèle économique robuste mais elles ont une "capacité de résilience" moyenne. A l’opposé, les stations locomotives "structurantes" ont un modèle "moyen" car encore très centralisé et une capacité de résilience elle aussi moyenne. Finalement, celles qui sont les plus exposées au changement climatique sont les stations médianes avec un modèle économique fragile et une capacité de résilience faible. La Scet plaide pour "une transition douce pour progressivement reconstituer une économie plus intégrée où le ski n’est plus seul au centre", tout en maintenant "une exigence environnementale renforcée dans tous les projets" et en s’appuyant "sur la promotion d’une destination Massif des Vosges renouvelée". Ce qui revient à court terme à passer d’une "garantie ski" à une "garantie activités neige" plus large et, à moyen terme, d’une garantie activités neige à une "garantie activités toutes saisons". "Il n’y a pas de solutions toutes faites, mais une nouvelle coordination des acteurs à repenser" dans le cadre d’une "gouvernance de la transition", a insisté Isabelle Blaise. L’intérêt : faire converger les crédits des différents partenaires vers les investissements les plus lourds.
Pour aider les élus dans leur réflexion, les projets retenus dans le cadre du programme Avenir montagnes ingénierie pourront s’appuyer sur un diagnostic Climsnow déjà appliqué sur la station de Métabief, dans le Doubs. Il s’agit de mesurer précisément quel sera le déficit d'enneigement dans les années à venir et de s'adapter pour prolonger la skiabilité le plus possible. Il en ressort que dès 2030, les deux fronts de neige de la station feront face à un manque d’enneigement, même sur les pistes avec neige de culture. Mais la méthode ne s’arrête pas au constat et permet de déterminer l’évolution des "heures froides", celles pendant lesquelles il sera possible de produire de la neige de culture, tout en calculant la consommation en eau nécessaire. "Ce qui plait le plus aux exploitants et aux élus, ce sont les cartes. L’intérêt est de voir que les mauvaises saisons aujourd’hui seront la norme dans trente ans", a prévenu Carlo Maria Carmagnola, du Centre d’études de la neige.

"Un vrai sujet d’obsolescence des équipements"

Un constat alarmiste que ne partagent pas forcément les exploitants vosgiens. "Dire que la crise a été un accélérateur ? Je n’adhère pas à ce discours. En l’absence du ski, nos vallées seront malades (…) La neige n’a jamais été certaine. On a toujours intégré dans nos modèles la diversification", a tenu à nuancer Jean-Yves Rémy, le PDG de La Bresse/Labellemontagne. Avec ses six télésièges, la station illustre bien la forte dépendance des stations locomotives vosgiennes à l’économie du ski : 90 à 95% du chiffre d’affaires y est réalisé en hiver. Le domaine skiable est ouvert 105 jours en moyenne par an et c’est lui qui porte tous les investissements, ceux de l’hiver comme ceux de "la diversification vers un tourisme 4 saisons". Entre sentiers raquettes, soirées luges, luge d’été, circuit VTT de descente, mini-parc d’attractions, Labellemontagne a ainsi cherché à élargir ses activités depuis quarante ans. Une histoire émaillée de quelques abandons… Cette "diversification est loin d’être un long fleuve tranquille", a témoigné Jean-Yves Rémy. Selon lui, les stations vosgiennes doivent faire face à "un vrai sujet d’obsolescence des équipements". Avec un âge moyen des remontées mécaniques de 34 ans contre 28 an au plan national, "le spectre du changement climatique" lui semble "assez accessoire".
"On ne pourrait pas vivre que l’été, il faut qu’on continue. Notre temps de réflexion c’est 2025/2030... pas 2060", a abondé Patrice Perrin, le directeur général de la société d'exploitation des remontées mécaniques du Lac Blanc, station voisine de quelques kilomètres, qui repose en grande partie sur ses 140 enneigeurs. "Ce sont de gros investissements faits au fil du temps, on ne peut pas laisser tomber du jour au lendemain." "L’évolution climatique n’est qu’une composante du problème. L’hiver reste pourvoyeur de richesses. Les ruptures sont dangereuses", a-t-il mis en garde. "La diversification nécessitera des investissements car il n’y a pas de loisirs sans équipements."